Dominique Meeùs
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Introduction de 1857, dite Introduction à la critique de l’économie politique

« A.) Einleitung. », 1857. Dans le carnet M des manuscrits de 1857-1858.

« Diese Arbeit von Marx steht am Beginn seiner ökonomischen Handschriften aus den Jahren 1857 und 1858, die vom Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der KPdSU 1939 unter dem Titel Grundrisse der Kritik der Politischen Ökonomie (Rohentwurf) in deutscher Sprache herausgegeben wurde. 1953 erschien ein Nachdruck im Dietz Verlag Berlin.

Die „Einleitung", an der Marx von Ende August bis Mitte September 1857 gearbeitet hat, stellt einen unvollendeten Entwurf einer „allgemeinen Einleitung" zu einer von ihm geplanten großen ökonomischen Arbeit dar, deren Hauptpunkte Marx bereits in der „Einleitung" aufführt. Im Verlauf weiterer Forschungen hat Marx seinen ursprünglichen Plan mehrmals verändert und es entstanden die Werke Zur Kritik der Politischen Ökonomie und Das Kapital " (siehe Anmerkungen, 1, s. 657).

Die „Einleitung" wurde 1902 in Marx’ Papieren entdeckt und 1903 in der Zeitschrift Die Neue Zeit [Band. I, Nr. 23-25] erstmalig veröffentlicht. » (MEW Band 13, p. 707, note 402.)

« A.) Einleitung. » en ligne dans l’édition MEGA : telota.bbaw.de/mega/#?doc=MEGA_A2_B001-01_ETX.xml&book=1&part=1&pageNr=21
Einleitung [zur Kritik der politischen Ökonomie], MEW Band 13, p. 615-642.
« Introduction à la critique de l’économie politique », dans Contribution à la critique de l’économie politique, Éditions sociales, Paris, 1957, p. 147-175. Rééd. 1977, ISBN 2-209-02539-7, p. 147-176.
« Introduction » (Cahier M), dans Fondements de la critique de l’économie politique : Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie (ébauche de 1857-1859), traduit par Roger Dangeville, Éditions Anthropos, Paris, 1969, p. 10-42.
« Annexes : I. Karl Marx, Introduction », dans Contribution à la critique de l’économie politique, Éditions du Progrès, Moscou, 1975, p. 185-215, traduction des Éditions sociales en 1957. Rééd. 1978, p. 187-218, même traduction.
« Introduction à la “Critique de l’économie politique” » (tirée des manuscrits économiques de 1857-1858), dans Préface et Introduction à la « Critique de l’économie politique », Éditions en Langues étrangères, Beijing, 1980, p. 8-51.
En ligne : 1859 (sic) « Introduction à la critique de l'économie politique », www.marxists.org/francais/marx/works/1857/08/km18570829.htm, sans indication d’origine ; apparemment la traduction des Éditions sociales en 1957.
« Inleiding tot de Bijdrage tot de politieke economie » (mais il est abusif de titrer ça comme si c’était l’introduction au livre de 1859), Te Elfder Ure nr. 17, marxisme 3, het marxistisch wetenschapsbegrip, 1974, 21ste jaargang, en ligne : www.marxists.org/nederlands/marx-engels/1857/bijdrage/inleiding.htm.
« A) Introduction », MECW, vol. 28, p. 17-48.

Sommaire

A. Introduction

1o La production en général

2o Rapport général entre production, distribution, échange et consommation

3o La méthode de l’économie politique

4o Moyens (forces) de production et rapports de production. Rapports de production et de circulation, etc.

Dans le texte, les sous-titres ne constituent pas une hiérarchie cohérente. Ainsi aucun chiffre II ou 2 ne correspondent au I et 1 des premiers titres. Il y a sur la couverture du carnet M une sorte de sommaire (ci-dessus) probablement postérieur parce qu’il est mieux structuré. Je donne ci-dessous comme du texte en gras les titres du texte, sans chercher à les hiérarchiser.

I.) Production, consommation, distribution, échange (circulation)

1) Production

a) L’objet de cette étude est tout d’abord la production matérielle. Des individus produisant en société — donc une production d’individus socialement déterminée, tel est naturellement le point de départ. Le chasseur et le pêcheur individuels et isolés, par lesquels commencent Smith et Ricardo, font partie des plates fictions du 18e siècle. Robinsonades qui n’expriment nullement, comme se l’imaginent certains historiens de la civilisation, une simple réaction contre des excès de raffinement et un retour à un état de nature mal compris. De même, le contrat social de Rousseau qui, entre des sujets indépendants par nature, établit des relations et des liens au moyen d’un pacte, ne repose pas davantage sur un tel naturalisme. Ce n’est qu’apparence, apparence d’ordre purement esthétique dans les petites et grandes robinsonades. Il s’agit, en réalité, d’une anticipation de la « société bourgeoise » qui se préparait depuis le 16e siècle et qui, au 18e marchait à pas de géant vers sa maturité. Dans cette société où règne la libre concurrence, l’individu apparaît détaché des liens naturels, etc., qui font de lui à des époques historiques antérieures un élément d’un conglomérat humain déterminé et délimité. Pour les prophètes du 18e siècle — Smith et Ricardo se situent encore complètement sur leurs positions —, cet individu du 18e siècle — produit, d’une part, de la décomposition des formes de société féodales, d’autre part, des forces de production nouvelles qui se sont développées depuis le 16e siècle — apparaît comme un idéal qui aurait existé dans le passé. Ils voient en lui non un aboutissement historique, mais le point de départ de l’histoire, parce qu’ils considèrent cet individu comme quelque chose de naturel, conforme à leur conception de la nature humaine, non comme un produit de l’histoire, mais comme une donnée de la nature. Cette illusion a été jusqu’à maintenant partagée par toute époque nouvelle. Steuart, qui, à plus d’un égard, s’oppose au 18e siècle et, en sa qualité d’aristocrate, se tient davantage sur le terrain historique, a échappé à cette illusion naïve.

Éternisation des rapports de production historiques. Production et distribution en général. Propriété.

Mots-clefs : ❦ production, appropriation de la nature

Toute production est appropriation de la nature par l’individu dans le cadre et par l’intermédiaire d’une forme de société déterminée.

III. La méthode de l’économie politique

Mots-clefs : ❦ concret, synthèse de multiples déterminations, résultat, non point de départ

Il semble que ce soit la bonne méthode de commencer par le réel et le concret, qui constituent la condition préalable effective, donc en économie politique, par exemple, la population qui est la base et le sujet de l’acte social de production tout entier. Cependant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que c’est là une erreur. La population est une abstraction si l’on néglige par exemple les classes dont elle se compose. Ces classes sont à leur tour un mot creux si l’on ignore les éléments sur lesquels elles reposent, par exemple le travail salarié, le capital etc. Ceux-ci supposent l’échange, la division du travail, les prix, etc. Le capital, par exemple, n’est rien sans le travail salarié, sans la valeur, l’argent, le prix, etc. Si donc on commençait ainsi par la population, on aurait une représentation chaotique du tout et, par une détermination plus précise, par l’analyse, on aboutirait à des concepts de plus en plus simples ; du concret figuré ou passerait à des abstractions de plus en plus minces, jusqu’à ce que l’on soit arrivé aux déterminations les plus simples. Partant de là, il faudrait refaire le chemin à rebours jusqu’à ce qu’enfin on arrive de nouveau à la population, mais celle-ci ne serait pas, cette fois, la représentation chaotique d’un tout, mais une riche totalité de déterminations et de rapports nombreux. La première voie est celle qu’a prise très historiquement l’économie politique à sa naissance. Les économistes du 17e siècle, par exemple, commencent toujours par une totalité vivante : population, nation, État, plusieurs États ; mais ils finissent toujours par dégager par l’analyse quelques rapports généraux abstraits déterminants tels que la division du travail, l’argent, la valeur, etc. Dès que ces facteurs isolés ont été plus ou moins fixés et abstraits, les systèmes économiques ont commencé, qui partent des notions simples telles que travail, division du travail, besoin, valeur d’échange, pour s’élever jusqu’à l’État, les échanges entre nations et le marché mondial. Cette dernière méthode est manifestement la méthode scientifique correcte. Le concret est concret parce qu’il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité. C’est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de synthèse, comme résultat, non comme point de départ, bien qu’il soit le véritable point de départ et par suite également le point de départ de la vue immédiate et de la représentation. La première démarche a réduit la plénitude de la représentation à une détermination abstraite; avec la seconde, les déterminations abstraites conduisent à la reproduction du concret par la voie de la pensée. C’est pourquoi Hegel est tombé dans l’illusion de concevoir le réel comme le résultat de la pensée, qui se concentre en elle-même, s’approfon­dit en elle-même, se meut par elle-même, alors que la méthode qui consiste à s’élever de l’abstrait au concret n’est pour la pensée que la manière de s’approprier le concret, de le reproduire sous la forme d’un concret pensé. Mais ce n’est nullement là le procès de la genèse du concret lui-même. Par exemple, la catégorie économique la plus simple, mettons la valeur d’échange, suppose la population, une population produisant dans des conditions déterminées ; elle suppose aussi un certain genre de famille, ou de commune, ou d’État, etc. Elle ne peut jamais exister autrement que sous forme de relation unilatérale et abstraite d’un tout concret, vivant, déjà donné. Comme catégorie, par contre, la valeur d’échange mène une existence antédiluvienne. Pour la conscience — et la conscience philosophique est ainsi faite que pour elle la pensée qui conçoit constitue l’homme réel et, par suite, le monde n’apparaît comme réel qu’une fois conçu — pour la conscience, donc, le mouvement des catégories apparaît comme l’acte de production réel — qui reçoit une simple impulsion du dehors et on le regrette — dont le résultat est le monde ; et ceci (mais c’est encore là une tautologie) est exact dans la mesure où la totalité concrète en tant que totalité pensée, en tant que représentation mentale du concret, est en fait un produit de la pensée, de la conception ; il n’est par contre nullement le produit du concept qui s’engendrerait lui-même, qui penserait en dehors et au-dessus de la vue immédiate et de la représentation, mais un produit de l’élaboration de concepts à partir de la vue immédiate et de la représentation. Le tout, tel qu’il apparaît dans l’esprit comme une totalité pensée, est un produit du cerveau pensant, qui s’approprie le monde de la seule façon qu’il lui soit possible, d’une façon qui diffère de l’appropriation de ce monde par l’art, la religion, l’esprit pratique. Après comme avant, le sujet réel subsiste dans son indépendance en dehors de l’esprit ; et cela aussi longtemps que l’esprit a une activité purement spéculative, purement théorique. Par conséquent, dans l’emploi de la méthode théorique aussi, il faut que le sujet, la société, reste constamment présent à l’esprit comme donnée première.

Mots-clefs : ❦ travail abstrait, chez Adam Smith ❦ abstraction, sur base du concret le plus riche

Un énorme progrès fut fait par Adam Smith quand il rejeta toute détermination particulière de l’activité créatrice de richesse pour ne considérer que le travail tout court, c’est-à-dire ni le travail manufacturier, ni le travail commercial, ni le travail agricole, mais toutes ces formes de travail dans leur caractère commun. Avec la généralité abstraite de l’activité créatrice de richesse apparaît alors également la généralité de l’objet dans la détermination de richesse, le produit considéré absolument, ou encore le travail en général, mais en tant que travail passé, objectivé dans un objet. L’exemple d’Adam Smith, qui retombe lui-même de temps à autre dans le système des physiocrates, montre combien était difficile et important le passage à cette conception nouvelle. Il pourrait alors sembler que l’on eût par là simplement trouvé l’expression abstraite de la relation la plus simple et la plus ancienne qui s’établit — dans quelque forme de société que ce soit — entre les hommes considérés en tant que producteurs. C’est juste en un sens. Dans l’autre, non. L’indifférence à l’égard d’un genre déterminé de travail présuppose l’existence d’une totalité très développée de genres de travaux réels dont aucun n’est plus absolument prédominant. Ainsi, les abstractions les plus générales ne prennent somme toute naissance qu’avec le développement concret le plus riche, où un caractère apparaît comme commun à beaucoup, comme commun à tous. On cesse alors de pouvoir le penser sous une forme particulière seulement. D’autre part, cette abstraction du travail en général n’est pas seulement le résultat dans la pensée d’une totalité concrète de travaux. L’indifférence à l’égard de tel travail déterminé correspond à une forme de société dans laquelle les individus passent avec facilité d’un travail à l’autre et dans laquelle le genre précis de travail est pour eux fortuit, donc indifférent. Là le travail est devenu non seulement sur le plan des catégories, mais dans la réalité même, un moyen de créer la richesse en général et a cessé, en tant que détermination, de ne faire qu’un avec les individus, sous quelque aspect particulier. Cet état de choses a atteint son plus haut degré de développement dans la forme d’existence la plus moderne des sociétés bourgeoises, aux États-Unis. C’est donc là seulement que l’abstraction de la catégorie « travail », « travail en général », travail « sans phrase », point de départ de l’économie moderne, devient vérité pratique. Ainsi l’abstraction la plus simple, que l’économie politique moderne place au premier rang et qui exprime un rapport très ancien et valable pour toutes les formes de société, n’apparaît pourtant sous cette forme abstraite comme vérité pratique qu’en tant que catégorie de la société la plus moderne.