Dominique Meeùs
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Engels an Joseph Bloch, in Königsberg

Engels an Joseph Bloch in Königsberg, London, 21. Sept. 1890. MEW 37, p. 462-465, http://www.mlwerke.de/me/me37/me37_462.htm.
Engels to Joseph Bloch in Königsberg, London, 21[-22] September 1890. MECW 49, p. 33-37, www.marxists.org/archive/marx/works/1890/letters/90_09_21.htm.

Mots-clefs : ❦ interaction de la base et de la superstructure dans l’histoire ❦ hommes, font leur propre histoire ❦ individu, action sur l’histoire

Ceci est un des rares passages sur le matérialisme historique où Marx et Engels parlent de « la production et la reproduction de la vie réelle » et non seulement de la production (de l’économie). Par ce que la continuité de la vie suppose de faire des enfants, « le rapport entre homme et femme » est considéré dans l’Idéologie allemande au même titre que la production des moyens d’existence. On peut considérer que dans la fameuse préface à la Contribution…, « der gesellschaftlichen Produktion ihres Lebens » couvre la procréation autant que la production des moyens d’existence. (La traduction par existence en français et en anglais est un parti-pris sur le sens de Leben.)

Je souligne la phrase « ni Marx, ni moi n’avons jamais affirmé davantage ». Je pense que « davantage » veut dire « plus qu'en dernière instance ». Remet-il en cause la préface à la Contribution…, où Marx dit bien davantage, énonce des lois qui vont bien plus loin que ce qu'Engels dit ici essentiel dans une conception matérialiste de l'histoire ? Ici, Engels met d'abord en garde contre la réduction du matérialisme historique à un déterminisme économique. Il insiste sur l’interaction entre base et superstructure.

Cependant, il fait lui-même un glissement théorique bizarre, que je comprends mal. En dehors du facteur déterminant en dernière instance de la production et de la reproduction de la vie réelle, il y a [A] une multiplicité de facteurs. Cependant, ces facteurs [A] ne déterminent en fin de compte pas plus que la forme. Ils sont suffisamment indépendants [B] qu'on puisse les considérer comme hasard et ils finissent donc par se neutraliser. Ah ! penserait-on : maintenant qu'on a éliminé la diversité, on peut appliquer la théorie. Eh bien ! non [C]. Mais là, je ne comprends pas à quoi s'oppose « Sinon ». Surtout, je ne vois pas de quelle théorie on parle. On a commencé par la relation entre base et superstructure d'une société et on est passé subrepticement au changement d'une société dans l'histoire et à une théorie non autrement précisée. de ce changement.

L'idée revient ensuite d'une diversité qui se neutralise, qui se résout dans une résultante, « une force agissant comme un tout ». En fin de compte : « l’histoire […] se déroule à la façon d’un processus de la nature et est soumise aussi, en substance, aux mêmes lois de mouvement qu’elle. » On est arrivé ainsi à l'extrême opposé du « jamais affirmé davantage » du départ. On se demande pourquoi les historiens perdent leur temps à étudier l'histoire. Ils feraient mieux d'étudier les lois communes du mouvement de la nature et de l'histoire, qui leur permettraient de déduire toute l'histoire avec une certitude absolue, puisque la multiplicité des facteurs et les contingences se neutralisent et que seules interviennent les « lois de mouvement ». Pourquoi alors a-t-il dit plus haut [C] que ce n'est pas si simple ?

Cette contradiction revient tout le temps chez Engels (Anti-Dühring, Dialectique de la nature…). D'abord, dans un désir de scientificité, il voudrait qu'il y ait des « lois de mouvement ». Puis dans un sursaut de matérialisme, il insiste sur la primauté des faits. Je pense donc qu'il faut retenir surtout le [C], qu'on ne fait pas de l'histoire en appliquant des recettes simples. Cela concorde avec ce que Marx dit