Dominique Meeùs
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Le Rabotchéié Diélo (p. 380, ¾) situe explicitement le problème comme « appréciation différente de l’importance relative de l’élément spontané et de l’élément consciemment « méthodique ».
Union de l’agitation et des tâches historiques
Pendant le 19e siècle, diverses grèves et émeutes marquent un début de conscience, plus désespoir et vengeance que lutte (p. 381, ½). Grèves généralisées après 1890 marquant un progrès de la conscience (p. 381, ½), éveil de la conscience (p. 382, haut) de l’antagonisme entre ouvriers et patrons, d’une conscience de classe.
« L’histoire atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste 1, c’est-à-dire à la conviction qu’il faut s’unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telle ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels. […] De même en Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit d’une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier ; elle y fut le résultat naturel, inéluctable du développement de la pensée 2 chez les intellectuels révolutionnaires socialistes 3. » (Lénine, p. 382, ¼.) donc (p. 383, haut) à la fois éveil spontané des masses ouvrières et théorie dans la jeunesse révolutionnaire.
Depuis le début, les premiers sociaux-démocrates de Russie combinaient l’agitation économique avec les tâches historiques révolutionnaires (p. 383, haut, jusque p. 385, ½). Ils étaient seulement mal préparés face à la répression (p. 383, ½, p. 384, ¼, ½). C’est plus récemment que des gens oublient cela et théorisent leur culte du spontané (p. 385, ½).
La classe ouvrière ne développe pas d’idéologie indépendante. L’idéologie socialiste vient des intellectuels. La spontanéité, c’est donc laisser le champ libre à l’idéologie bourgeoise.
L’éditorial du premier numéro de la Rabotchaïa Mysl 5 (p. 386, ½) est un bon exposé de l’économisme : « … Le mouvement ouvrier doit sa vitalité au fait que l’ouvrier lui-même se charge enfin de son sort, qu’il a arraché des mains de ses dirigeants. » (P. 387, ¼.)
En réalité, la police avait arraché les social-démocrates des mains des ouvriers (p. 387, ½). La Rabotchaïa Mysl appelle à un retour en arrière :
— « la base économique du mouvement est obscurcie par la tendance à ne jamais oublier l’idéal politique » ;
— la devise du mouvement ouvrier est la « lutte pour la situation économique » ou « les ouvriers pour les ouvriers ;
— les caisses de grève « valent mieux pour le mouvement qu’une centaine d’autres organisations » ;
— il faut mettre au premier plan non la « crème » des ouvriers mais l’ouvrier « moyen », l’ouvrier du rang ;
— « le politique suit toujours docilement l’économique ».
Ces mots d’ordre ont séduit des jeunes inexpérimentés (p. 388, haut), écrasant la conscience par la spontanéité. Ce trade-unionisme 6 est en fait propagé par la bourgeoisie pour écarter la menace du socialisme (p. 388, ½).
Le spontanéisme n’est pas le résultat d’une lutte déclarée entre deux conceptions, c’est la conséquence de l’affaiblissement du mouvement en cadres formés, « spontanément ! » du fait des arrestations.
L’économisme a été avancé par les « jeunes » en opposition aux « vieux » (qui partaient vers l’exil) (p. 385, ½)7.
L’ouvriérisme se base sur les arguments bourgeois « uniquement trade-unionistes ». Tout culte de la spontanéité laisse un vide qui sera rempli par l’idéologie bourgeoise (p. 389, fin). Le mouvement ouvrier ne pourra pas élaborer une idéologie indépendante « en se libérant de ses dirigeants » (p. 390, haut). Kautsky discute cette question comme suit8 (p. 390, ¼) :
On impute à tort à Marx l’« affirmation que le développement économique et la lutte de classes, non seulement créent les conditions de la production socialiste, mais engendrent directement la conscience de sa nécessité. » On cite alors le contre-exemple de l’Angleterre où la classe ouvrière est la plus trade-unioniste. Mais la lutte de classes et le socialisme naissent parallèlement du développement économique et de la lutte de classes (p. 390, ¾). Le socialisme naît dans le cerveau d’intellectuels bourgeois (p. 390, fin). Il est alors communiqué aux prolétaires les plus avancés qui le répandent dans la masse selon les possibilités de la lutte de classes (p. 391, haut).
Dans une société de classe, il n’y a d’idéologie que de classe (p 391, ½). Les ouvriers ont peut-être quelques traits idéologiques propres mais la classe ouvrière ne peut pas développer spontanément une idéologie indépendante. Il n’y a que l’idéologie bourgeoise et l’idéologie socialiste 9. Si on prétend « libérer » la spontanéité du mouvement ouvrier en le « préservant » de l’idéologie socialiste, on laisse le champ libre à l’idéologie bourgeoise 10 (page 391, fin, p. 392, ⅓) parce qu’elle est la plus élaborée, la plus présente (p. 393, ⅓). Il faut donc « combattre la spontanéité » (p. 392, haut), d’autant plus que le mouvement socialiste est encore jeune (p. 393, ½). C’est ce qui a été fait en Allemagne par Lasalle (p. 392, ½) et ce n’est pas fini (p. 392, bas).
La Rabotchaïa Mysl ne nie pas la lutte politique. Seulement elle dit que « le politique suit toujours docilement l’économique » (p. 394, ¼) ou que « la lutte économique est inséparable de la lutte politique » (p. 394, ⅓). Oui mais il ne s’agit pas de politique social-démocrate (p 394, ½). La confusion ntre économique et politique conduit à une politique purement trade-unioniste. Compter sur la politique qui surgit spontanément du mouvement ouvrier lui-même (p. 394, ¾), c’est refuser de développer une politique social-démocrate (p 394, fin).
Le Rabotchéié Diélo joue à la neutralité dans sa défense des économistes (p. 396, haut) mais il soutient en fait les positions de l’économisme et du spontanéisme (p. 397, haut). Il condamne l’établissement d’un plan (p. 399, fin).
⁂
Le développement de la lutte spontanée exige précisément une plus haute conscience social-démocrate (p. 404, ⅓). Le problème est que le mouvement peut prendre de vitesse (p. 404, ⅔) la préparation des révolutionnaires sur le plan théorique et organisationnel (p 404, fin).
En Belgique, il y a un double mouvement : une tradition socialiste historique issue du mouvement marxiste, dans une organisation opportuniste (le POB), dont les révolutionnaires se détachent en 1921 pour former le PCB ; un mouvement indépendant de jeunes intellectuels vers le socialisme scientifique à la fin des années 60.
Un groupe en français, fondé dans la foulée de Mai 68 à l’Université catholique de Louvain, du temps où elle était encore bilingue dans la ville de Louvain, a décidé en 1971 de quitter l’université et d’aller travailler à l’usine à Charleroi. Ce groupe a utilisé différentes dénominations et est parfois identifié dans la rare littérature à son sujet comme groupe Pestieau-Charlier, du nom de ses deux leaders de fait. Dans ce groupe, on reconnaissait en principe le rôle des intellectuels révolutionnaires mais on voulait le soumettre au développement du mouvement ouvrier spontané. Voir aussi une autre note plus loin.
Mettre ceci en rapport avec la question du centralisme démocratique. On ne peut pas opposer mécaniquement la majorité et la minorité, les jeunes et les vieux ou la base et le sommet en privilégiant la majorité, les jeunes ou la base. La démocratie, c’est que la base choisisse d’envoyer au sommet les marxistes-léninistes les plus expérimentés. Ici, les jeunes sont spontanéistes par ignorance et les vieux, mieux formés, qui pourraient les aider, sont éliminés par la répression.
« [Le Parti] n’a pas seulement besoin de démocratie, mais aussi, et surtout, de centralisme. » Mao Tsé-toung, Œuvres choisies, III, p. 40.
La classe ouvrière ne sécrète pas spontanément l’idéologie socialiste, le socialisme scientifique mais y participe de deux manières :
a) certains ouvriers y participent en tant qu’intellectuels (p. 391, note) ;
b) c’est le fait historique du développement de la lutte de classe qui a conduit Marx à donner à la lutte de classe une place centrale dans le matérialisme historique et à enrichir et dépasser ainsi le socialisme utopique (« Les trois sources », Œuvres, tome 19, pp. 17‑18). Aussi Engels, 1er alinéa du chapitre I de Socialisme utopique et socialisme scientifique.
Dans le groupe Pestieau-Charlier, on avait remplacé cette thèse par une thèse « sociobiologique », tirée, entre autres, d’une lecture unilatérale des enseignements de Mao Tsé-toung sur la ligne de masse, ou plutôt de son exploitation contre-révolutionnaire par la « bande des quatre » : les intellectuels d’origine bourgeoise ou petite-bourgeoise sont nécessairement contaminés par l’idéologie bourgeoise tandis que les ouvriers ont spontanément une idéologie prolétarienne. Les intellectuels ne peuvent essayer de prendre en mains l’organisation du mouvement ouvrier et de lui donner une orientation sous peine de contaminer à son tour ce mouvement par leurs erreurs de débutants et leur idéologie bourgeoise. Ils doivent favoriser les luttes ouvrières et le mouvement ouvrier et se mettre humblement au service du développement d’un mouvement authentiquement ouvrier pur de toute influence bourgeoise. Ils peuvent lui communiquer éventuellement des enseignements du socialisme scientifique mais pas chercher à l’influencer. Ce n’est qu’ensuite, lorsque la participation à ce mouvement aura transformé leur conception du monde, qu’ils pourront éventuellement jouer un rôle plus actif.
Les dirigeants du groupe, ouvriéristes et anarcho-syndicalistes, ont réussi à intimider les intellectuels et à les séduire par une théorie « prolétarienne » qui acceptait Que Faire ? en principe mais remettait son application aux calendes grecques.