Dominique Meeùs
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Pratiquement, l’agitation n’est pas plus facile sur le plan économique. Elle peut avoir autant de succès sur tous les problèmes touchant tous les milieux. Politiquement, la lutte peut encore moins se limiter à l’économique.
Les « feuilles volantes » et la « littérature de dénonciation » ont eu un énorme succès dans la classe ouvrière (p. 406, ⅓)et ont été une arme efficace (p 407, ¼). Cette forme d’agitation a absorbé presque entièrement la majorité des social-démocrates russes (p. 407, fin) mais il ne s’agissait que d’une arme pour mieux vendre sa force de travail (p. 408, ¼).
Cette agitation pouvait servir de point de départ à une politique social-démocrate, à condition de faire un travail dans ce sens (p. 408, ⅓). Sinon, elle ne conduit qu’à la lutte « uniquement professionnelle ». Il ne suffit pas de mieux vendre sa force de travail, il s’agit de supprimer l’ordre social où les pauvres doivent se vendre aux riches (p. 408, ½). Donc cette agitation ne peut être l’activité principale des social-démocrates (p 408, ⅔), l’activité principale doit être l’éducation politique p. 408, ¾).
L’éducation politique, ce n’est pas seulement dénoncer le système en général d’un point de vue ouvrier (p. 408, fin), c’est dénoncer chaque manifestation concrète de l’oppression dans des domaines divers et contre des classes diverses (p. 409, haut).
Le Rabotchéié Diélo 1 dit le contraire (p. 409, ½) : « La lutte politique de la classe ouvrière n’est que la forme la plus développée, la plus large et la plus effective de la lutte économique. » (Rabotchéié Diélo) « Maintenant il s’agit pour les sociaux-démocrates de savoir comment donner à la lutte économique elle-même, autant que possible, un caractère politique. » (Martynov) « La lutte économique est le moyen le plus largement applicable pour entraîner les masses dans la lutte politique active. » (3e congrès de l’Union 2) (p. 409, ¾).
La lutte économique est-elle « le moyen le plus largement applicable pour entraîner les masses dans la lutte politique » ? C’est faux (p. 410, haut). La dénonciation de toutes les formes d’oppression est aussi « largement applicable » pour entraîner les masses. Si on se limite à la lutte économique, on se prive de toutes sortes d’occasion d’éveiller la conscience des masses. L’oppression policière, par exemple, se passe plus souvent en dehors de l’économique 3 (p. 410, ¾).
Que veut dire Martynov (p. 412, ⅔) avec : « Donner à la lutte économique elle-même un caractère politique » ? Les problèmes économiques sont d’abord professionnels, ils sont particuliers à telle ou telle branche et profession (p 412, ¾). « Donner à la lutte économique elle-même un caractère politique », c’est passer au stade interprofessionnel (p 413, haut), améliorer des conditions de travail et de rémunération par des « mesures législatives et administratives » (Martynov). Mais c’est toujours de la politique trade-unioniste (p. 414, ¼, ½) comme la lutte sur le plan législatif des syndicats ouvriers anglais (p. 414, ¼).
Au contraire (p. 414, ⅓), les social-démocrates non seulement exigent des réformes du gouvernement, mais aussi luttent pour renverser l’autocratie. Ils le font non seulement sur le terrain économique mais aussi sur tous les terrains de la vie politique et sociale (p. 414, ½).
Chez Martynov, il ne s’agit que de réformes et même que de réformes économiques (p. 414, ¾). Mais on peut réclamer des réformes dans tous les domaines (p. 415, haut) 4. Seulement Martynov considère la classe ouvrière incapable de comprendre autre chose que des résultats (économiques) tangibles (p. 415, ½). Contrairement à l’Iskra, (p. 416, haut), c’est donc toujours la soumission à la politique trade-unioniste (p. 417, haut).
Pour Plekhanov (p. 418, ¼), « Le propagandiste inculque beaucoup d’idées à une seule personne ou à un petit nombre de personnes ; l’agitateur, lui, n’inculque qu’une idée ou un petit nombre d’idées ; en revanche, il les inculque à toute une masse de personnes. » Le propagandiste, à propos d’une injustice, explique (le plus souvent par écrit) comment elle est liée au système et comment il faut transformer cette société en société socialiste. Cet ensemble complexe d’idées ne pourra être compris que par une minorité. L’agitateur dénonce une injustice criante pour susciter le mécontentement de la masse.
Martynov voudrait introduire une autre distinction (p. 418, ⅓). Pour lui, la propagande serait l’explication accessible à la minorité ou à la masse. L’agitation serait l’appel à l’action. Mais l’« appel » (p. 419, ¼) est toujours lié à la propagande ou à l’agitation.
Cette querelle terminologique oiseuse cache de nouveau la défense d’une pratique économiste (p. 420, ⅓).
Le prolétariat peut, si les communistes font l’agitation voulue, s’intéresser à toutes les classes et à leurs rapports mutuels et réagir aux injustices contre d’autres classes.
Le prolétariat peut à la rigueur se passer des intellectuels pour la lutte économique. Ce qu’il leur demande, c’est le reste : la politique.
Martynov prétend arriver à « l’élévation de l’activité de la masse ouvrière » en la rabaissant à l’économique (p. 420, bas, p. 422, haut, p. 423, ½). C’est le contraire qu’il faut faire (p. 421, haut, 4/5). Il faut des révélations politiques dans tous les domaines (p. 421, ¼). « La conscience de la classe ouvrière ne peut être une conscience politique véritable si les ouvriers ne sont pas habitués à réagir contre tous abus, toute manifestation d’arbitraire, d’oppression, de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes […] » (p. 421, ½). Elle doit étudier les rapports entre toutes les classes dans des événements concrets (p. 421, ¾, fin, p. 422, 1/4). Elle pourra alors prendre position contre certaines classes et pour d’autres classes ou groupes opprimés (p. 423, haut). Si elle ne le fait pas encore, ce n’est pas qu’elle serait économiste (p. 422, ¾). C’est faute d’agitation sur ce terrain (p. 422, fin, p. 423, ¼, p. 423, ½). Mais l’Iskra a déjà commencé (p. 424, haut) tandis que les économistes s’alignent sur le niveau des ouvriers arriérés (p. 424, ½).
Les ouvriers eux-mêmes disent que l’économique, ils sont bien placés pour le connaître et lutter (p. 424, ¾, p. 425, haut, p. 426, ½). Ce qu’ils attendent des sociaux-démocrates, des intellectuels (p. 424, ¾, p. 425, ½, p. 426, haut), c’est qu’ils les aident à apprendre et à comprendre le reste, ce qu’on n’apprend pas à l’usine.
La priorité c’est d’instruire et d’organiser politiquement le prolétariat. Le spontanéisme et le terrorisme, c’est se soustraire à ce devoir.
L’économisme et le terrorisme ont en commun le spontanéisme (p. 427, ¼), d’un côté, la lutte spontanée des ouvriers(p. 427, ½, ¾) ; de l’autre, l’indignation spontanée des intellectuels sans perspectives (p. 427, ½, fin). Cette parenté est indépendante du sentiment des intéressés (p. 428, haut). L’économisme consiste à s’aligner sur l’idéologie bourgeoise et des bourgeois libéraux ont des sympathies pour le terrorisme (p. 428, ¼).
Si on est incapable de mobiliser les masses sur tous les problèmes de la société (et il n’en manque pas), on est tenté d’exciter par la terreur (ce qui est inefficace : pourquoi la terreur exciterait-elle plus les gens que les innombrables injustices ?) (P. 429, ½.) Les masses sont déjà excitées par toutes sortes d’infamies (p. 429, ¾). La priorité urgente, c’est d’unifier politiquement (p. 429, ¾) et organiser (p. 430, haut) ce mouvement. Le terrorisme (p. 429, fin) et l’économisme (p. 430, haut) c’est se dérober à son devoir de révolutionnaire.
S’intéresser à toutes les luttes de tous les milieux ne répond pas seulement au besoin d’éducation de la classe ouvrière. C’est une nécessité pour la révolution.
Mots-clefs : ❦ classe ouvrière, doit s’intéresser aux luttes de tous les groupes et classes
La priorité du politique ne se fonde pas seulement sur le besoin d’éducation de la classe ouvrière (p. 430, ¾). Même si l’on prétend « donner à la lutte économique elle-même un caractère politique », on ne développe pas la conscience politique des ouvriers parce qu’on les confine dans les problèmes économiques de leur classe (p. 431, haut, p. 432, ¼). La conscience politique doit être apportée de l’extérieur5 (p. 431, ½). Pour développer la conscience politique des ouvriers, il faut leur apprendre à voir tous les rapports entre toutes les classes. Pour leur apporter cette connaissance, les social-démocrates ne doivent pas se contenter d’« aller aux ouvriers », ils « doivent aller dans toutes les classes de la population » (p. 431, fin, p. 433, haut). Sinon le social-démocrate n’est qu’un syndicaliste (p. 432, fin). C’est la différence entre le trade-unioniste Robert Knight et le socialiste Wilhelm Liebknecht (p. 433, ¼).
Comment faire ? N’est-ce pas « un recul du point de vue de classe ? » (P. 434, ½.) On fait beaucoup trop peu. On se consacre à une étude sur la sidérurgie, par exemple (p. 434, ¾), mais rarement à des questions qui nous aideraient à travailler dans d’autres couches de la population. Le manque de préparation, c’est cela aussi (p. 435, haut).
Même si nous ne pouvons peut-être pas prendre la direction de toutes les luttes de tous les groupes pour leurs intérêts immédiats (p. 437, 4/5), nous pouvons et devons prendre la direction de toutes les classes dans la révolution (p. 437, fin). Elles aussi, nous devons leur apprendre à dépasser leurs intérêts immédiats (p. 438, haut). « Nous devons former des chefs politiques sachant diriger » toutes ces luttes (p. 438, ⅓). Bref, une fois de plus les économistes veulent abaisser la politique au niveau trade-unioniste tandis que l’Iskra veut l’élever au niveau politique social-démocrate (p. 438, fin).
Nous avons les forces pour le faire (p. 439, ½) : de jeunes intellectuels nous rejoignent. Le seul problème que nous ne savons pas leur « assigner le travail qui leur convient » (p. 439, ⅔). Il y a toujours une possibilité d’action dans toutes les couches de la population (p. 439, fin). Partout, il y a des mécontents (p. 440) et toujours des gens pour écouter un social-démocrate (p. 440, ½). Un moyen, entre autres, pour cela, les révélations politiques (p. 440, ⅔) véhiculées, entre autres, dans un journal (p. 440, bas). C’est la classe ouvrière qui a le plus soif de ces révélations (p. 440, fin), même sans « résultat tangible » mais pour toucher tout le peuple, il faut un journal central (p. 441, haut).
C’est une condition pour être l’avant-garde des forces révolutionnaires (p. 441, fin).
Mais en quoi cela aura-t-il un caractère de classe prolétarien (p. 442, ⅓) ? Parce que ce sera dirigé par le parti social-démocrate (p. 442, ½) qui se fonde sur le marxisme. Il doit « unir en un tout cohérent l’offensive révolutionnaire au nom de tout le peuple, l’éducation révolutionnaire du prolétariat en même temps que son indépendance politique, la direction de la lutte économique de la classe ouvrière, l’utilisation de ses affrontements spontanés avec ses exploiteurs, affrontements qui dressent et amènent sans cesse dans notre camp de nouvelles couches du prolétariat ! »
Les économistes ne comprennent pas ce lien entre le besoin du prolétariat d’éducation politique et le mouvement démocratique (p. 442, ¾). Ils sont en retard sur les ouvriers et veulent tirer le mouvement en arrière au nom des ouvriers (p. 443, ⅔) !
Pour cela nous devons recruter « dans les rangs des libéraux et des intellectuels » comme alliés (p. 444, haut). Ce recrutement est lié au caractère de notre propagande chez les ouvriers (p. 444, ¼). C’est à tort que les économistes pensent que l’on va développer la force du mouvement ouvrier par la lutte purement économique pour ensuite seulement passer à la politique social-démocrate (p. 444, ⅓).
L’intérêt pour toutes les classes n’est pas un abandon du point de vue de classe. L’Iskra dénonce les attaques du gouvernement contre les zvemstvos 6 (p. 444, ¾). Mais ailleurs l’Iskra a analysé les antagonismes de classes à la campagne (p. 444, note *) et les ouvriers sont assez grands pour comprendre les mots « classes possédantes » (p. 445, 1/5). De même, l’Iskra a eu raison de soutenir le mouvement des étudiants 7 (p. 445, ½). Dans tous ces mouvements (p. 446, ½), nous avons soutenu les éléments radicaux et critiqué les discours de modération et les illusions réformistes (p. 446, ¾). Est-ce un compromis avec le libéralisme ? Au contraire, en n’intervenant pas, nous aurions laissé le champ libre au libéralisme (p. 447, ⅓).
Nous avons accusé le Rabotchéié Diélo de « préparer indirectement le terrain pour faire du mouvement ouvrier un instrument de la démocratie bourgeoise ». Pour des gens à ce point ouvriéristes, cette accusation est incompréhensible et intolérable, surtout venant de gens qui veulent s’adresser à toutes les classes et qui se compromettent donc avec la bourgeoisie.
Mais le trade-unionisme est une politique bourgeoise.
La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons.
Ici de l’extérieur a une dimension matérielle. Ce n’est pas réductible à l’apport extérieur par des intellectuels.