Dominique Meeùs
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I
Dogmatisme et « liberté de critique »

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a) Que signifie la « liberté de critique » ?

Lénine se fonde sur le matérialisme historique qui nous apprend à analyser la situation et les idées en termes de classes. Un mode de production change parce qu’une classe révolutionnaire le renverse et le remplace par un autre. La science marxiste et les théories bourgeoises sont donc radicalement opposées et il n’y a pas de troisième voie (réformiste) entre la dictature de la bourgeoisie et son renversement révolutionnaire par le prolétariat. La « liberté de critique », c’est le cheval de Troie de l’idéologie bourgeoise.

L’expression même de « liberté de critique » est suspecte. La liberté de critique existe. Donc cette revendication cache autre chose (p. 358). C’est en fait le mot d’ordre du révisionnisme à la Bernstein : transformer le parti de la révolution en parti réformiste (p. 359, ¼). C’est la revendication du droit à prôner ouvertement le révisionnisme de Bernstein (p. 359, ⅓) contre un marxisme accusé d’être dogmatique.

— Bernstein nie la possibilité de donner un fondement scientifique au socialisme par une histoire matérialiste concluant que le socialisme est nécessaire et inévitable.

— Bernstein nie la misère, la prolétarisation et les contradictions capitalistes.

— Bernstein rejette l’idée de dictature du prolétariat.

— Bernstein nie l’opposition entre socialisme et libéralisme.

— Bernstein estime la notion de lutte des classes non pertinente dans une société démocratique.

Le changement d’orientation politique de la révolution au réformisme s’accompagne d’une attaque contre toutes les idées fondamentales du marxisme (p. 359, ⅔). Le bernsteinisme consiste à faire passer telles quelles dans la littérature socialiste les attaques bourgeoises contre le marxisme (pp. 359-360).

Les socialistes français sont passés à l’application pratique du bernsteinisme : participation (p. 360, ½) du socialiste Millerand à un gouvernement qui massacre les ouvriers, justifiée par des « projets de réformes infimes » (p. 361, haut).

C’est l’opportunisme. Si l’on dépasse ce que les gens disent à propos d’eux-mêmes, il s’agit d’adopter des positions bourgeoises (p. 361, ¼). C’est une position scientifique bizarre que de revendiquer la coexistence des idées. Si on est convaincu d’avoir une meilleure théorie, on demande plus que sa coexistence (p. 361, ½).

b) Les nouveaux défenseurs de la « liberté de critique »

Juger d’un point de vue de classe. On ne peut juger les gens sur ce qu’ils disent mais on doit voir objectivement leurs positions et leur pratique. Même s’ils se disent socialistes, les opportunistes sont dans le camp de la bourgeoisie.

Le Rabotchéié Diélo 1 réclame la « liberté de critique » dans son n° 10 (p. 362, ½). Ça veut dire : (p. 362, ¾)

1° qu’il défend l’opportunisme sur le plan international et

2° qu’il réclame la liberté de l’opportunisme en Russie.

Contre l’Iskra 2 et la Zaria3 qui entrevoient la rupture entre la gauche et la droite de la social-démocratie internationale (p. 362, bas), le Rabotchéié Diélo prétend que tous les socialistes, même révisionnistes bernsteiniens, du seul fait qu’ils l’affirment eux-mêmes, sont dans le camp du prolétariat (p. 363, ½). C’est ne pas tenir compte de leur pratique (en France, p. 364, ½). C’est oublier que le parti allemand a condamné (même si pas assez sévèrement) Bernstein (p. 365, ¼).

L’unité du parti allemand ne s’explique pas par la liberté de critique (p. 363, bas). C’est oublier les luttes idéologiques au sein du parti (p. 364, ¼ ; p. 365, haut).

En Russie, le Rabotchéié Diélo ne nomme pas les prétendues victimes de l’intolérance de l’Iskra et de la Zaria(p. 366, haut). Serait-ce que les seuls bernsteiniens russes sont ceux du Rabotchéié Diélo même s’ils prétendent ne pas prendre parti mais seulement défendre la « liberté de critique » ?

c) La critique en Russie

Lénine développe la théorie des alliances de classe.

Ne pas calquer des résolutions à des situations différentes sur base d’analogies de surface.

Elle part de l’alliance des marxistes révolutionnaires avec les « marxistes légaux » (p. 368, ¼) pour combattre ensemble les idées réactionnaires. Cela a permis la diffusion rapide en Russie des idées et des publications marxistes 4, mais les « marxistes légaux » étaient surtout des bourgeois démocrates (dont P. Strouvé).

Les alliances sont une chose normale quand on sait où on va (p. 368, ½). Celle-ci a permis la victoire sur le populisme et la diffusion du marxisme. On peut faire alliance avec les démocrates bourgeois sur le plan des tâches démocratiques (p. 369, haut). L’alliance suppose que les deux parties gardent leur identité et la possibilité de la manifester (p. 369, ¼), ce que la confusion du bernsteinisme et la liberté de critique rendent impossible.

La rupture était donc inévitable (p. 369, ½). Suite à celle-ci, la « liberté de critique » revenait à la liberté pour les marxistes bourgeois de continuer à publier, et à publier Bernstein, avec la bénédiction de la police (p. 369, ¾) et la difficulté pour les social-démocrates à exprimer leurs vues et à combattre l’économisme. L’économisme et le marxisme bourgeois se trouvaient d’accord 5 : aux premiers la lutte ouvrière, aux seconds la théorie et la lutte politique (p. 370, ⅓). Les économistes craignent le débat (p. 370, ½), que, dans leur logique (p. 371, ¼), ils trouvent d’ailleurs inutile 6.

Dans cette situation (p. 371, ¾), la tâche était de combattre l’opportunisme par le travail théorique, la critique de la « critique » et la lutte contre une conception réductrice (économiste) de la pratique.

La situation de la Russie et de l’Allemagne ne sont absolument pas comparables (pp. 372, ½-373, ½). Les économistes sont contents du statu quo spontanéiste (p. 373, ½). Les révolutionnaires (p. 374, ¼) luttent pour sortir de l’ornière opportuniste.

d) Engels et l’importance de la théorie

« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, p. 376, ¼ ; p. 377, ¼.)

Les tenants de la « liberté de critique » accusent le dogmatisme d’étouffer tout progrès de la pensée (p. 374, ¾), mais c’est dans le Rabotchéié Diélo qu’il n’y a aucun travail théorique (p. 375, haut) et dans l’Iskra et la Zaria que la théorie s’enrichit (p. 375, ¼). En fait la « liberté de critique » n’est pas un plaidoyer pour une meilleure théorie mais pour l’absence de théorie (p. 375, ½).

Marx, dans la critique du programme de Gotha (p. 376, haut), rejette toute idée de concession sur les principes et Engels insiste sur l’importance du socialisme scientifique allemand. C’est dans la préface de 1874 à La guerre des paysans en Allemagne que Lénine cite longuement : le socialisme scientifique allemand (p. 377, ½) a son origine dans la philosophie allemande (p. 378, haut), dans le sens théorique des ouvriers et (p. 378, ½) dans l’expérience des autres pays. Au contraire (p. 378, ¼), en Angleterre, indifférence pour la théorie ; en Belgique et en France, confusion provoquées par le proudhonisme, ainsi qu’indirectement en Espagne et en Italie.

p. 376 ¼Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire.

p. 377 ¼seul un parti guidé par une théorie d’avant-garde est capable de remplir le rôle de combattant d’avant-garde.

Dès avant de citer Engels, il en souligne la leçon :

p. 377 ⅗Engels reconnaît à la grande lutte de la social démocratie non pas deux formes (politique et économique) — comme cela se fait chez nous —, mais trois, en mettant sur le même plan la lutte théorique.

Table of contents

Notes
1.
Rabotchéié Diélo (la cause ouvrière), organe non périodique de l’« Union des social-démocrates russes à l’étranger », Genève de 1899 à 1902.
2.
L’Iskra (étincelle), est le premier journal illégal pour toute la Russie, fondé par Lénine en 1900 et publié de l’étranger. Il a préparé le programme du Parti et le 2e congrès de 1903. Mais après le congrès, Plékhanov s’est aligné sur les positions menchévistes et Lénine a quitté la rédaction. L’Iskra est alors devenue l’organe des menchéviks.
3.
Zaria (aube), revue marxiste scientifique publiée de 1901 à 1902 par la rédaction de l’Iskra.
4.
Nous avons connu un phénomène semblable. Bien sûr le marxisme n’était pas illégal et l’on ne peut parler de marxisme « légal » qu’au sens figuré, faisant allusion à l’époque envisagée par Lénine, mais il y a eu dans les années 60 et 70 une mode du marxisme qui a favorisé une abondance de publication marxistes, qui étaient souvent le fait de démocrates bourgeois.
5.
Cela apparaît dans le Credo et dans sa critique par Lénine en 1899 : « Protestation des social-démocrates de Russie », Œuvres, t. 4, pp. 171 & ss.
6.
Le groupe Pestieau-Charlier a très vite mis fin au débat avec d’autres organisations !
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