Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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Les moyens de production ne sont pas un capital par eux-mêmes, pas plus que l’homme n’est en lui-même ouvrier ou capitaliste, serf ou noble.
Un nègre est un nègre. C’est seulement dans des conditions déterminées qu’il devient esclave. Une machine à filer le coton est une machine pour filer le coton. C’est seulement dans des conditions déterminées qu’elle devient du capital. Arrachée à ces conditions, elle n’est pas plus du capital que l’or n’est par lui-même de la monnaie, ou le sucre, le prix du sucre. (K. Marx : Travail salarié…, p. 38.)
Les moyens de production et le travail humain sont toujours nécessaires à la production sociale. Mais les moyens de production ne sont pas toujours un capital et le travail humain n’est pas toujours du travail salarié. Tout dépend de la forme sociale de la production. Le procès du travail est celui de la production des valeurs d’usage. Mais le capitaliste oblige l’ouvrier à produire des marchandises pour lui soutirer de la plus-value. Il ne cherche nullement à satisfaire les besoins sociaux. Peu lui importe quelles valeurs d’usage il fait produire. Il s’applique surtout à accroître la grandeur de son capital. Pour le capitaliste, la production de valeurs d’usage est la condition indispensable de la production de la plus-value, c’est, pour ainsi dire, un mal inévitable.
Dans la société capitaliste, l’ouvrier est, du point de vue formel, libre et jouit des mêmes droits que le capitaliste. Il vend de bon gré, en apparence, sa force de travail. Mais en réalité, c’est un esclave salarié.
L’ouvrier salarié n’est autorisé à travailler pour sa propre existence, autrement dit à exister, que s’il travaille gratuitement un certain temps pour les capitalistes et aussi pour ceux qui, avec ces p. 102derniers, vivent de la plus-value ; tout le système de la production capitaliste vise à prolonger ce travail gratuit par l’extension de la journée de travail ou par le développement de la productivité ou par une plus grande tension de la force de travail, etc. ; le système du travail salarié est donc bien un système d’esclavage et, en vérité, un esclavage d’autant plus dur que se développent des forces sociales productives du travail, quel que soit le salaire, bon ou mauvais, que reçoive l’ouvrier. (K. Marx et F. Engels : Critiques des programmes de Gotha et d’Erfurt, p. 39.)
L’esclave appartient à son maître. L’ouvrier n’appartient pas au capitaliste. Il ne vend pas sa force de travail à perpétuité, mais pour un temps déterminé. Il a la « liberté » de choisir le capitaliste qui l’exploitera, mais il est voué à la servitude salariée.
C’étaient des chaînes qui attachaient l’esclave romain à son maître ; ce sont des fils invisibles qui relient le salarié au patron. L’apparence de l’indépendance n’est maintenue que par le changement perpétuel des patrons individuels et par une fiction juridique. (K. Marx : le Capital, t. 4, p. 21.)
L’esclavage salarié ne se distingue que par la forme de l’esclavage antique. L’esclave ne touche pas de salaire. La nourriture qu’il reçoit est aussi peu la rémunération de son labeur que le fourrage du cheval. L’ouvrier salarié reçoit ses moyens de subsistance sous forme de salaire, prix de la force de travail que l’ouvrier, maître « de cette singulière marchandise », vend « librement » au capitaliste. Si le maître d’esclaves cherche à conserver la force de travail de l’esclave, comme il se soucie de son cheval, le capitaliste abandonne ce soin à l’ouvrier. Mais au fond, malgré la différence de forme, l’un comme l’autre donnent aux producteurs qu’ils exploitent les moyens de subsistance nécessaires pour continuer leur exploitation.
L’esclavage et le salariat ne se distinguent, en tant que formes sociales économiques, que par le mode suivant lequel le travail supplémentaire est extorqué au producteur direct, à l’ouvrier. (K. Marx : le Capital, t. 2, p. 59.)
Le capital et la plus-value ne sont qu’un rapport social déterminé, dissimulé sous la forme matérielle du capital et de la liberté juridique de l’ouvrier.
Dans le procès de la production, la force de travail appartient, non à l’ouvrier, mais au capitaliste. C’est le capital qui réunit les ouvriers, c’est lui qui en fait une force productive sociale. C’est pourquoi la force productive du travail social apparaît comme celle du capital. Dans le procès de production, l’ouvrier n’appartient pas à lui-même, mais au capitaliste. Le travail social est placé sous le commandement du capital qui s’accentue avec le développement de la grande industrie mécanisée.
Revêtant la forme de capital, les moyens de production, qui, par eux-mêmes, ne sont qu’une force de la nature entre les mains de l’ouvrier, deviennent une force qui s’oppose à l’ouvrier et le domine. Cette force ne provient pas des moyens de production eux-mêmes, mais de la domination de la bourgeoisie sur la production sociale, de la subordination du producteur ouvrier au propriétaire capitaliste.
Les moyens de production, c’est du travail passé ; c’est du travail mort par rapport au travail vivant de l’ouvrier. Dans la société capitaliste, ce travail mort domine le travail vivant.
Ce n’est que la domination du travail accumulé passé, matérialisé, sur le travail immédiat vivant, qui transforme le travail accumulé en capital. Ce qui caractérise le capital, ce n’est pas le travail accumulé qui sert de moyen au travail vivant pour faire une nouvelle production, mais le travail vivant qui sert de moyen au travail accumulé pour maintenir et accroître la valeur d’échange de celui-ci. (K. Marx : Travail salarié…, p. 41.)
Le capital remplit son rôle d’autant mieux qu’il soutire à l’ouvrier davantage de travail vivant. Pour le capital, l’ouvrier n’est qu’une source où il puise ce travail vivant pour le convertir en capital. Le capital développe les forces productives, mais il les développe de telle façon qu’il gaspille et détruit la base fondamentale de la société : la force de travail. Le développement des forces productives par la destruction de la force de travail découle de la contradiction fondamentale du capitalisme, entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
L’exploitation capitaliste ne se manifeste pas ouvertement : elle est dissimulée sous forme d’objets, sous la forme d’argent, des moyens de production, de la marchandise. Et de même que, pour l’économiste bourgeois, la valeur est la propriété naturelle et éternelle de la marchandise (le fétichisme de la marchandise), de même le capital n’est pas pour lui un rapport social d’exploitation, dissimulé par des objets, mais une propriété inhérente de toute éternité à cet objet. Le caractère fétiche de la marchandise donne un caractère fétiche au capital. Voici un exemple. Un économiste bourgeois anglais, Torrens, écrivait en 1836 :
Dans la première pierre que le sauvage lance sur le gibier qu’il poursuit, dans le premier bâton qu’il saisit pour abattre les fruits qu’il ne peut atteindre avec la main, nous voyons l’appropriation d’un objet en vue d’en acquérir un autre et nous découvrons ainsi « l’origine » du capital. (Cité par K. Marx : le Capital, t. 2, p. 14.)
L’économiste bourgeois ne voit pas et n’a pas intérêt à voir que les moyens de production ne deviennent du capital que dans des conditions sociales déterminées. Il cherche à faire passer pour capital tout moyen de production pour faire accepter le capital et, partant, l’exploitation capitaliste, comme un phénomène naturel et éternel, condition d’existence de la société humaine. L’économie politique bourgeoise s’efforce de perpétuer le capitalisme.
Cent années se sont écoulées depuis la « découverte » de Torrens et en 1929, un professeur d’économie politique, le social-démocrate allemand Nœlting, écrivait :
Servir de moyen auxiliaire pour faciliter le travail, telle est la destination du capital. Sa forme primaire ce sont les armes primitives à l’aide desquelles le sauvage se procure les objets naturels et les travaille. (P. Nœlting : Introduction à la théorie économique, p. 48, édition allemande.)
Les théoriciens bourgeois et social-démocrates proclament que le capital est, en général, un moyen de production. Mais comment expliquent-ils la plus-value ?
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