Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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La plus-value produite par la classe ouvrière ne reste pas tout entière entre les mains des capitalistes exploitant directement les ouvriers dans le procès de production : une partie de cette plus-value passe aux commerçants sous forme de profit commercial, une autre passe au banquier sous forme d’intérêts, une autre va dans la poche des propriétaires fonciers sous forme de rente foncière et le reste constitue le profit de l’industriel. La plus-value se divise en plusieurs parties et affecte plusieurs formes : profit (industriel et commercial), intérêts et rentes.
Ces formes particulières de la plus-value dissimulent le fait que le profit, la rente foncière et l’intérêt ne sont que des parties de la plus-value. Le profit industriel étant empoché par l’industriel, le profit commercial par le commerçant, les intérêts par le banquier, la rente par le propriétaire foncier, on a l’impression que le profit industriel provient des moyens de production, le profit commercial de la circulation des marchandises, les intérêts de l’argent et la rente de la terre et que le travail crée seulement le salaire.
Dans toute la littérature économique bourgeoise domine, sous une forme ou sous une autre, la théorie dite des trois sources du revenu. D’après cette théorie, la valeur des marchandises est constituée par la coopération du travail, du capital et de la nature. Chacun de ces facteurs rend, au cours du procès de production, « un service productif » que les deux autres facteurs ne peuvent rendre. Chacun d’eux est indispensable à la production. Aussi, chacun d’eux reçoit-il sa part du produit créé par l’action conjuguée de ces trois facteurs. L’ouvrier touche pour son travail le salaire, le capitaliste encaisse pour les « services » de son capital le profit et le propriétaire foncier reçoit la rente pour les « services » rendus par sa terre. Telle est l’explication des revenus des différentes classes qui prédomine dans l’économie politique bourgeoise.
Les économistes bourgeois s’évertuent à faire croire que le revenu du capitaliste ne provient pas du travail de l’ouvrier. Ils attribuent aux moyens de production la force p. 106mirifique de créer de la valeur. Mais si le profit et la rente n’ont rien de commun avec le travail de l’ouvrier, s’ils proviennent des moyens de production et de la terre, il faudra conclure que le salaire est la rétribution complète du travail, que i’ouvrier est entièrement payé et qu’il n’est pas exploité. C’est ce que tendent à établir les économistes bourgeois par leur théorie des trois facteurs de la production qu’ils font passer pour trois sources indépendantes du revenu.
Les économistes social-démocrates partagent cette théorie. Ainsi, un des théoriciens de la social-démocratie allemande, Braunthal, écrit :
Seul celui qui participe directement au procès de production dans le sens étroit du mot, l’ouvrier ou le propriétaire des moyens de production, ou le propriétaire foncier, touche le revenu primaire.
On voit donc que d’après Braunthal, le capitaliste participe au processus de la production et que son revenu n’est pas un revenu dérivé, c’est-à-dire provenant du travail de l’ouvrier, mais un revenu primaire, ayant une source indépendante, les moyens de production appartenant au capitaliste.
La théorie des trois sources du revenu prêche l’harmonie des classes. Si le profit ne vient pas de l’exploitation de l’ouvrier, mais des moyens de production, capitaliste, propriétaire foncier et ouvrier ont un intérêt commun, à savoir accroître au maximum la production, puisque plus la production sera abondante, plus sera grande la part de chacun. Et Braunthal invite les ouvriers à produire le plus possible.
On ne saurait jamais répartir plus qu’il n’a été produit. Plus on produira, plus il sera réparti. C’est pourquoi l’ouvrier est indéniablement intéressé à l’accroissement maximum de la production.
Comme en réalité il n’y a que l’ouvrier qui rend « les services productifs », l’appel de Braunthal n’est rien d’autre qu’un appel aux ouvriers pour qu’ils produisent le plus possible pour les… capitalistes.
La théorie des trois sources du revenu ne nie pas la lutte entre les ouvriers, les capitalistes et les propriétaires fonciers, mais elle considère cette lutte comme ayant pour p. 107objet la répartition du produit. Cette lutte implique une communauté d’intérêts. Pour obtenir le plus possible, chacun doit s’évertuer à produire le maximum « pour le bien commun ». Ainsi, les rapports de classe sont ramenés aux rapports de répartition. Le même Braunthal écrit :
La lutte de classe acharnée qui se déroule dans la société actuelle est, avant tout, une lutte pour la répartition du produit social, et ce n’est qu’après que viennent les problèmes relatifs à l’organisation de l’économie.
En d’autres termes, la lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat ne concerne ni l’organisation de l’économie sociale ni la question de savoir quelle classe doit gérer cette économie ; ce seraient là des questions secondaires. Le principal, c’est comment répartir le produit social, dans le cadre du régime capitaliste.
D’après cette conception, on peut concevoir en régime capitaliste une répartition de la production équitable pour la classe ouvrière ; il est inutile, par conséquent, d’abolir le capitalisme.
Marx a démasqué la légende des trois sources indépendantes du revenu. Il montre que les revenus de tous les exploiteurs, quelle qu’en soit la répartition, n’ont qu’une source : la plus-value. Dans une lettre à Engels, du 24 août 1867, Marx écrit :
Ce qu’il y a de meilleur dans mon livre, c’est… que la plus-value est traitée séparément de ses formes particulières, telles que le profit, l’intérêt, la rente foncière, etc. (K. Marx et F. Engels : Correspondance, tome 9, p. 193.)
Il a ainsi mis en lumière tout l’abîme qui existe entre le prolétariat et l’ensemble des exploiteurs, il a mis à jour dans toute sa nudité la contradiction fondamentale du capitalisme.
Marx a montré que l’exploitation de la classe ouvrière a lieu au cours du procès de production, que les rapports entre la classe ouvrière et la bourgeoisie sont des rapports de production. L’appropriation de la plus-value, que les théoriciens bourgeois et social-démocrates qualifient de p. 108« répartition », découle de ces rapports de production. On ne saurait donc modifier radicalement la répartition sans transformer le régime social de production. Pour supprimer la répartition capitaliste, il faut supprimer la propriété capitaliste des moyens de production et en faire la propriété collective. Mais cela veut dire que l’exploitation ne peut être abolie par la voie des réformes, mais par la voie révolutionnaire. Voilà pourquoi Lénine a dit que…
La théorie de la plus-value constitue la pierre angulaire de la théorie économique de Marx.
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