Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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Le capitaliste achète au marché les moyens de production (machines, matières premières et matières auxiliaires) et la main-d’œuvre. Son but est de tirer, en vendant les produits fabriqués, plus d’argent qu’il n’en a dépensé pour leur production. Ainsi, l’argent se transforme en capital, c’est-à-dire qu’il rapporte de l’argent. La valeur mise en circulation par le capitaliste se trouve accrue dans le procès de la conversion de l’argent en marchandise et de la nouvelle marchandise en argent.
C’est cet « accroissement » de la valeur de l’argent engagé au début que Marx appelle plus-value.
D’où vient cette plus-value ? Certains économistes bourgeois l’expliquent par le fait que le capitaliste vend la marchandise à un prix plus élevé que le prix d’achat, qu’il la vend au-dessus de sa valeur. Mais cette explication n’explique rien. En effet, à qui le capitaliste achète-t-il la marchandise ? À un autre capitaliste. Mais cet autre capitaliste doit lui aussi vendre sa marchandise au-dessus de sa valeur. Donc, notre premier capitaliste, en vendant sa marchandise au-dessus de sa valeur, est obligé, d’autre part, d’acheter des marchandises au-dessus de leur valeur. Ce qu’il gagne dans la vente, il le perd dans l’achat. Sans doute, un capitaliste adroit peut s’ingénier à acheter à un confrère des marchandises à leur valeur et les vendre au-dessus de leur valeur. Mais ce n’est qu’une exception. Tous les capitalistes ne peuvent pas de cette façon augmenter la valeur de leur capital.
Marx explique la formation de la plus-value non par la vente des marchandises au-dessus de leur valeur, mais par la vente à leur valeur. Marx prouve ainsi que même lorsque p. 77l’ouvrier vend au capitaliste sa force de travail à sa valeur et achète au capitaliste des moyens d’existence à leur valeur, le capitaliste n’en tire pas moins de la plus-value.
Marx a prouvé que la plus-value n’est pas la violation de la loi de la valeur, mais son développement. Les « socialistes » petits-bourgeois prétendent que le capitalisme viole l’échange équivalent des valeurs et la juste loi de la valeur ; ils cherchent à abolir le capitalisme, tout en conservant la production marchande. Marx a établi que la plus-value découle de la valeur, que le capitalisme est le développement et non la « violation » des lois de la production marchande.
Le capitaliste achète les moyens de production à leur valeur. Il achète ensuite la force de travail et il paye à l’ouvrier sa valeur. Nous connaissons la valeur des moyens de production achetés par le capitaliste : c’est le travail socialement nécessaire à leur production. Mais quelle est la valeur de la force de travail ? Qu’est-ce qui la détermine ? Qu’est-ce que la force de travail en général ?
Par force de travail ou puissance de travail nous entendons le résumé de toutes les capacités physiques et intellectuelles qui existent dans la corporéité, la personnalité vivante d’un être humain, et qu’il met en mouvement chaque fois qu’il produit des valeurs d’usage d’une espèce quelconque.
Dans la société capitaliste, ce n’est pas l’ouvrier, mais sa force de travail qui est une marchandise. Si l’ouvrier lui-même était une marchandise, il ne serait pas un ouvrier salarié, mais un esclave, n’ayant pas le droit de vendre sa force de travail. Comme toute marchandise, la force de travail doit être une valeur d’usage et une valeur.
On ne doit pas confondre la force de travail et le travail. Le travail est un procès de dépense de force de travail. On ne peut pas travailler sans avoir de la force de travail. Par contre, on peut avoir de la force de travail sans travailler, sans la mettre en œuvre ; comme un chômeur, par exemple. La force de travail est la capacité de travailler, tandis que le travail c’est la force de travail mise en mouvement, c’est la dépense de force de travail. L’utilité de la force de travail, p. 78sa valeur d’usage, consiste en ce que sa dépense (le travail) crée la valeur. C’est-à-dire, la valeur d’usage de la force de travail consiste en ce qu’elle est la source de la valeur.
Voyons maintenant quelle est la valeur de la force de travail. La valeur de toute marchandise est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à sa production. Par conséquent, la valeur de la marchandise « force de travail » doit également être déterminée par la quantité de travail dépensée pour sa production.
Mais comment est produite la force de travail humaine ?
La force de travail n’existe pas en dehors de l’homme. Elle « existe uniquement comme une disposition de l’individu vivant. » (Marx : Le Capital, Livre I, P.U.F., Paris, 2009, p. 192.) Mais tant que l’homme existe, la production de la force de travail se ramène à sa restauration quotidienne. L’ouvrier, qui a dépensé pendant sa journée sa force de travail, rétablit cette force, la reproduit, en consommant une quantité déterminée de moyens d’existence — aliments, chauffage, logement, etc. Le travail dépensé pour la production de ces moyens d’existence consommés par l’ouvrier pour la reproduction de sa force de travail, est en même temps le travail dépensé pour la production de cette force de travail. Si, par exemple, pour la production des moyens d’existence consommés par l’ouvrier, il a été dépensé six heures de travail social, la valeur de la force de travail est de six heures de travail. La valeur de la force de travail se ramène ainsi à celle des moyens d’existence consommés journellement par l’ouvrier.
Quant à la quantité et à la qualité des moyens d’existence nécessaires à l’ouvrier, elles varient suivant les conditions de chaque pays. Elles dépendent également des conditions culturelles du pays, du niveau des besoins qui existaient au moment où la masse des petits producteurs s’est transformée en classe d’ouvriers salariés.
Par opposition aux autres marchandises, le détermination de la valeur de la force de travail contient donc un élément historique et moral. Cependant, pour un pays déterminé, dans une période déterminée, l’ensemble moyen des moyens de subsistance nécessaires est globalement donné.
La production capitaliste implique la présence continuelle de la main-d’œuvre sur le marché. Mais l’ouvrier est mortel et, par conséquent, il faut le remplacer. Il est évident p. 79que la valeur de la force de travail doit comprendre celle des moyens d’existence de sa famille. Enfin, l’homme, de sa naissance, n’est pas travailleur de telle ou telle profession ou spécialité. Pour former une force de travail qualifiée, il faut une dépense déterminée pour son instruction, dépense plus ou moins considérable suivant le niveau de la qualification de l’ouvrier. Ces frais d’apprentissage doivent également être compris dans la valeur de la force de travail. Plus la qualification de l’ouvrier est élevée, plus a été dépensé de travail pour son apprentissage et plus grande sera la valeur de la force de travail.
De même qu’il faut distinguer entre le travail et la force de travail, de même il convient de discerner, sans jamais les confondre, la valeur de la force de travail et la valeur créée par la dépense de cette force de travail. L’ouvrier qui travaille dans une entreprise capitaliste, mettons huit heures par jour, crée une valeur de huit heures. Mais il n’en découle nullement qu’il faudra dépenser huit heures de travail pour la production des moyens d’existence de l’ouvrier. Admettons que tous les moyens d’existence de l’ouvrier se ramènent à deux kilogrammes de pain par jour. Cette quantité de pain contient tant de substances nutritives que l’ouvrier, l’ayant consommée, reçoit la quantité d’énergie nécessaire pour travailler pendant huit heures et pour créer une valeur de huit heures. Le temps pendant lequel l’ouvrier peut travailler ne dépend nullement du temps socialement nécessaire à la production de deux kilogrammes de pain. Pour la production de deux kilos de pain, il faut aujourd’hui mettons six heures. Si dans un mois ou dans un an, par suite de l’augmentation de la productivité du travail dans l’agriculture, il n’en fallait plus que quatre heures, les deux kilos de pain renfermeraient la même quantité de substances nutritives qu’avant, qui permettent à l’ouvrier de travailler pendant huit heures.
La valeur journalière ou hebdomadaire de la force de travail est tout à fait différente de l’exercice journalier ou hebdomadaire de cette force, tout comme la nourriture dont un cheval a besoin et le temps pendant lequel il peut porter son cavalier sont des choses tout à fait distinctes. La quantité de travail qui limite la valeur de la force de travail de l’ouvrier [c’est-à-dire la quantité de travail nécessaire p. 80à la production de ses moyens d’existence] ne constitue en aucun cas la limite de la quantité de travail que peut exécuter sa force de travail.
Cela signifie que l’ouvrier peut travailler plus de temps qu’il ne faut pour la production de ses moyens d’existence, que l’ouvrier peut produire une valeur plus grande que celle de sa force de travail.
Cette capacité de l’ouvrier de produire une plus grande valeur que celle de sa force de travail n’est pas quelque chose de surnaturel. Cette capacité exprime la force productive du travail social qui est le produit du développement historique. À l’époque primitive, aux stades embryonnaires de la civilisation, quand l’homme venait seulement de sortir de l’état animal, il devait dépenser tout son temps à la recherche de moyens d’existence. Ce n’est que peu à peu, à mesure du développement des forces productives, que la production des moyens d’existence nécessaires a demandé moins de temps et a permis la constitution des excédents des produits. Ainsi est devenue possible l’existence d’une partie de la société aux dépens de l’autre, en d’autres termes, l’exploitation de l’homme par l’homme. La société se divisa en classes, en exploiteurs et en exploités.
Toute exploitation implique un certain degré de développement de la productivité du travail.
Si le travailleur a besoin de tout son temps pour produire les moyens de subsistance nécessaires à la conservation de sa race et de sa propre personne, il ne lui reste pas de temps pour travailler gratuitement pour des tiers. Sans un certain degré de productivité du travail, pas de temps disponible de cette espèce pour le travailleur ; sans temps excédentaire de cette espèce, pas de surtravail, et par conséquent pas de capitalistes, mais pas de maîtres d’esclaves non plus, ni de barons féodaux, bref, pas de classe de grands propriétaires.
Lorsque naquit la production capitaliste, elle se trouva en présence d’un niveau de développement des forces productives où l’ouvrier pouvait travailler plus de temps qu’il n’en faut pour la production de ses moyens de subsistance. Le capitalisme développa encore plus la productivité du travail et diminua ainsi le temps nécessaire à la production des moyens de subsistance de l’ouvrier. Mais la valeur de la force de travail ne détermine pas la durée pendant laquelle s’exerce cette dernière.
p. 81La capacité de l’ouvrier salarié de produire une valeur plus grande que celle de sa force de travail découle non des propriétés physiques innées à l’ouvrier, mais est le résultat du développement historique de la société.
Le rapport capitaliste nait d’ailleurs sur un sol économique qui est lui-même le produit d’un long processus de développement. La productivité du travail qui lui sert de base de départ n’est pas un don de la nature, mais le résultat d’une histoire qui englobe des milliers de siècles.
⁂
La force de travail est la capacité humaine de travailler. Dans la société capitaliste, la force de travail est une marchandise. La valeur de la force de travail est déterminée par la quantité de travail nécessaire à la production des moyens de subsistance de l’ouvrier et de sa famille. Cette valeur est moins grande que celle créée par un ouvrier ayant consommé ces moyens de subsistance, car la force productive du travail social est telle que l’ouvrier peut travailler plus de temps qu’il ne faut pour la production de ces moyens de subsistance.
Le capitaliste achète les moyens de production et la force de travail. Les moyens de production se composent des objets les plus différents, mais ils peuvent tous être ramenés à deux groupes essentiels.
I. L’objet de travail. — C’est la matière qui sert à la production d’une marchandise donnée. Ainsi, dans la production du fil, l’objet de travail c’est le coton, la laine, le lin ; dans la production des tissus, l’objet de travail c’est le fil, dans la production du fer, l’objet de travail, c’est le minerai, dans la production des machines, l’objet de travail, c’est le fer, etc. Lorsque l’objet de travail est déjà un produit du travail, il porte le nom de matière première, par exemple, le coton, le fil, le minerai de fer, le fer. Mais le bois dans une forêt vierge, les gisements de charbon sont des objets de travail sans être des matières premières.
II. Les moyens de travail avec lesquels on transforme les objets de travail : les machines, les instruments, les outils, p. 82il faut y ranger également les bâtiments, qui jouent un rôle de condition matérielle dans la production.
Parmi ces moyens de production on classe aussi les matériaux auxiliaires : combustible, huiles lubrifiantes, vernis, etc.
Supposons que nous ayons à produire du fil de coton ; que : 1. un kilogramme de coton renferme déjà une heure de travail ; 2. qu’au cours de la transformation d’un kilo de coton en un kilo de fil, on use une quantité de machines, d’instruments, d’édifices et de matériaux auxiliaires qui contient un quart d’heure de travail ; 3. que pour la transformation d’un kilo de coton en un kilo de fil, il faille une heure de travail socialement nécessaire ; 4. que la valeur de la force de travail soit de quatre heures et enfin : 5. qu’une heure de travail social ait une expression monétaire : 1 franc.
Dans ces conditions, quelle sera la valeur d’un kilo de fil ?
Elle se composera de :
Heures | Francs | ||
1. La valeur d’un kilo de coton | 1 | 1 | |
2. La valeur des moyens de production usés | ¼ | 0,25 | |
3. La nouvelle valeur créée par l’ouvrier fileur | 1 | 1 | |
Total : | 2 ¼ | 2,25 |
Si l’ouvrier n’a fait que quatre heures de travail, c’est-à-dire juste le temps nécessaire à la production de ses moyens de subsistance, c’est-à-dire la reproduction de la valeur de sa force de travail, on aura le résultat que voici. En quatre heures, l’ouvrier transforme quatre kilos de coton. La valeur de ces quatre kilos produits se composera comme suit :
Heures | Francs | ||
1. La valeur de quatre kilos de coton | 4 | 4 | |
2. La valeur des moyens de production usés | 1 | 1 | |
3. La nouvelle valeur créée par l’ouvrier fileur | 4 | 4 | |
Total : | 9 | 9 |
Combien coûtent à notre capitaliste ces quatre kilos de fil produits ? Il a acheté les moyens de production et la force de travail à leur valeur, ils lui ont donc coûté : 1. 4 kilos de coton : 4 francs ; 2. l’usure de l’outillage : 1 franc et 3. la force de travail : 4 francs ; total : 9 francs. Par conséquent, si l’ouvrier a fait quatre heures, le capitaliste n’aura aucune plus-value.
Mais l’ouvrier avait vendu sa force de travail au capitaliste et c’est ce dernier qui en dispose. Or, la particularité de la force de travail est de fonctionner plus de temps qu’il ne faut pour la reproduction de sa propre valeur. Si, pour la production des moyens de subsistance de l’ouvrier, il faut quatre heures de travail, l’ouvrier peut travailler plus de quatre heures, car
… la valeur de la force de travail est déterminée par la quantité de travail nécessaire pour son entretien ou sa reproduction, mais l’usage de cette force de travail n’est limité que par l’énergie agissante et la force physique de l’ouvrier.
Si l’ouvrier, ayant consommé les moyens de subsistance nécessaires, peut travailler, mettons 8 heures, il devra travailler 8 heures, bien que ces moyens de subsistance ne contiennent que quatre heures de travail, car il a vendu au capitaliste sa force de travail dont la valeur d’usage forme 8 heures de travail. Or, la valeur de la quantité de fil produit en 8 heures se composera de : 1. la valeur des 8 kilos de coton travaillés, soit 8 heures ou 8 francs ; 2. la valeur de l’outillage usé, soit 1/4 d’heure multiplié par 8 soit 2 heures ou 2 francs ; et 3. la nouvelle valeur créée par le fileur et qu’il avait ajoutée au coton au cours de la transformation du coton en fil, soit 8 heures ou 8 francs. Total : 18 heures ou 18 francs. Or, le capitaliste a dépensé pour la production de ces 8 kilos de fil : 1. 8 francs pour le coton ; 2. 2 francs, l’usure de l’outillage ; et 3. 4 francs pour la main-d’œuvre ; total : 14 francs. Il vend les 8 kilos de fil à 18 francs, c’est-à-dire à leur valeur, et il réalise une plus-value de 4 francs. Il a acheté des moyens de production et de la force de travail à leur valeur, il vend des marchandises également à leur valeur, et il n’en réalise pas moins une plus-value.
La valeur initiale (14 francs) a subi un accroissement parce que la valeur créée par l’ouvrier dans la production p. 84dépasse celle de sa force de travail. Cet excédent créé par l’ouvrier sur la valeur de sa force de travail ou la différence entre la valeur créée par l’ouvrier et la valeur de sa force de travail forme la plus-value.
Une partie de sa journée, l’ouvrier travaille gratuitement pour le capitaliste, celui-ci s’approprie — sans débours — la valeur créée par l’ouvrier pendant cette partie de la journée. L’accroissement de la valeur s’opère grâce à l’exploitation de l’ouvrier.
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