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Depuis quelques semaines, la Maison des femmes à Bruxelles est le lieu de rassemblement des groupes féministes. Une grande affiche, réalisée en rouge et noir sur du papier d’emballage, présente la double journée de ce troisième 11 novembre des femmes : le matin, la Maison se fait connaître ; l’après-midi, les féministes présentent un problème très actuel et crucial : la crise, l’inflation, la vie chère.
Matinée inaugurale : toutes portes ouvertes, la Maison des femmes offre aux regards ses salles et leurs animations, ses groupes et leurs buts, leurs projets, leurs publications4. Pour en donner quelque illustration : Les Cahiers du Grif et le CFRP (Centre de formation à la responsabilité politique) présentent une vidéo sur « Femmes et politique », le groupe A sur « Contraception-avortement ». Les petits trouvent à s’amuser dans le local crèche-garderie et les plus grands aux ateliers de bricolage… Le PFU présente son programme dans un bureau qui lui est prêté pour la circonstance.
Cette année, c’est la curiosité qui amène les visiteuses, les amis, les familles, à retrouver les féministes sur les lieux mêmes de leur action, à en découvrir le décor. Télévision et radio ne manquent pas de s’intéresser longuement à ces vastes pièces qui implantent le paysage du néo-féminisme bruxellois.
Après-midi dénonciatrice : le Centre sportif de Saint-Josse est un endroit très fonctionnel, il ne crée pas par lui-même une ambiance très chaleureuse. Aussi bien, il n’y a pas lieu de se réjouir, la crise frappe de plein fouet, s’attaquant surtout aux faibles, mettant de nombreuses femmes au chômage et — comble de dérision — le gouvernement invite les femmes, « acheteuses et consommatrices par nature », à faire des économies ménagères. D’où le sujet du débat de l’après-midi : « La vie chère ».
Ce thème n’est pas accepté d’emblée par toutes, lit-on dans le compte-rendu d’une réunion préparatoire à la journée : « Certaines s’étonnent, disent qu’un tel sujet n’est pas féministe, mais de tendance gauchiste, et qu’est-ce que cette soi-disant plainte des ménagères… ? D’autres affirment qu’il s’agit d’un problème capital pour tous et qui est particulièrement ressenti par les femmes, car c’est elles qui achètent, qui nouent les deux bouts. La grève de la FN qui vient d’avoir lieu (août 1974) est une grève de femmes déclenchée pour deux raisons : conditions de travail insupportables ; vie chère. […] La flambée des prix vient resserrer de façon draconienne les budgets déjà serrés. Que va-t-il arriver ? Dans l’immédiat les femmes vont faire des prodiges d’ingéniosité. Les hommes ne s’en rendront même pas compte car ceci fait partie du travail non reconnu. […] Qu’est-ce que le pouvoir d’achat ? Qui crée ce pouvoir ? qui le donne à qui ? Comment ? Qui achète ? Est-ce un pouvoir pour les femmes ? Un devoir ? Une tentation ? Une pente fatale ? Une nécessité ? »
Un tract « Pourquoi la vie chère ? » est distribué dans la salle.
La séance débute à 14 heures par la Brabançonne des femmes. Elle est suivie d’un sketch qui viendra d’heure en heure ramener les choses à leur aspect le plus concret, voire le plus angoissant. Une femme (Fanny Filosof), apparemment enceinte de six mois, s’inquiète du prix du sucre. Un peu plus tard et encore plus enceinte, elle s’inquiète de la mise au monde d’un enfant dans une société qui réduit ses emplois. Enfin, enceinte de trois ans, elle se décide à accoucher : le manque de crèche publique et le coût des crèches privées l’ont obligée à porter son enfant jusqu’à ce qu’il puisse entrer à l’école gardienne.
En fin de journée, le récit du voyage d’un groupe de femmes en Chine décrit une société où les problèmes de pauvreté et de pénurie trouvent d’autres solutions — dans un tout autre contexte, il est vrai.
Une réunion « bilan de la journée » a lieu huit jours plus tard. Les organisatrices sont déçues de leur après-midi. Certes, la salle était mauvaise, obligeant d’y rester longuement assis, donc sans réaction. Au lieu d’un débat, trop difficile à réaliser dans ces conditions, les choses ont tourné au spectacle. Quant aux hommes, ils supportent de moins en moins de rester là sans parler.
Une crainte : que la Journée « F » devienne une cérémonie-spectacle. La présence des médias est flatteuse, elle risque de devenir un but en soi. D’un autre côté, se faire connaître est important.
Si l’on recommence l’an prochain, il faudra plus de préparation et moins d’ambition. Et, quoi qu’en pensent certaines, ne pas hésiter à montrer une option « socialiste » (dans le sens idéal du mot) en même temps que féministe.