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Les ateliers occupent une salle relativement sombre (comme souvent les ateliers des hommes). Ils ne font d’ailleurs pas l’unanimité chez les militantes. Ils correspondent à un courant anti-intellectuel, ou plus simplement à un désir de s’exprimer aussi par le corps, par les mains, au niveau de connaissances empiriques qu’on se communique en les mettant en pratique. Autre but : contribuer à casser par ce biais l’idée des aptitudes liées au sexe. Si l’on veut que les filles choisissent à l’école les ateliers habituellement réservés aux garçons, il est bon que les mères montrent de l’intérêt pour ces habiletés. C’est aussi un moyen d’autonomie : faudra-t-il toujours attendre le bon vouloir d’un homme pour réparer un robinet qui coule ? À quoi Fanny répond : « s’ils ne réparent même plus les joints de robinet, quels services rendront-ils encore à la maison ? »
Les adeptes les plus fidèles : des femmes âgées du quartier, veuves souvent et qui voulaient éviter l’appel au spécialiste pour la moindre panne.
Aux hommes, on se propose d’apprendre la cuisine, le repassage, des rudiments de couture. Est-ce bien utile ? se demandent celles qui trouvent que d’autres urgences devraient requérir toutes les énergies. Et puis, ces hommes en apprentissage… comme on allait les materner ! En réalité, il n’en vint guère et cela valait mieux eu égard au principe « pas d’homme (ou le moins possible) dans la Maison des femmes ».
Les ateliers se multiplient : plomberie, électricité, réparation automobile, recouvrement de chaises et fauteuils, menuiserie, réparation de jouets, création et échange de vêtements21. Mais aussi ateliers d’expression corporelle en vue d’un théâtre féministe, self-défense, atelier de lecture.
« Il me semblait, dit Catherine Weill, que se rendre autonome pour ce qui concerne les petites pannes dans la maison fait partie des conditions de la vie libre ; c’est mieux que de dire : mon mari ne le fait pas et ça m’agace. J’ai beaucoup aimé l’atelier de chant. Je pars de l’idée que tout le monde peut chanter. On fait des bruits, on émet des sons, on chante. Découvrir en soi qu’on a tous une voix féminine et une voix masculine : fascinant22 ! »
L’atelier d’expression corporelle en est la plus joyeuse animation. Suzanne Wauters (qui a travaillé avec Bob Wilson auprès d’enfants autistes) a le don de faire sortir d’elle-même la femme la plus introvertie. Découverte de soi et des autres. « Nous jouons à nous plaire, à nous disputer. Des femmes disent que cela les épanouit très fort, d’autres sont scandalisées par ces enfantillages : c’est vicieux, a dit une femme et elle est partie en courant23. »
Elsa Roobroeck organise un atelier de « self-defense » à travers la technique du karaté. Beaucoup d’adeptes pour ce cours qui sécurise les femmes, leur donne un sentiment d’autonomie. « Nous avons constaté que l’effet psychologique s’acquiert plus rapidement que nous l’espérions. Développer sa souplesse, sa rapidité, sa force, son contrôle physique amène un bien-être dans tout le corps, qui nous est donné par surcroît. La face négative de l’expérience : le peu de persévérance, la peur de faire mal ou de se faire mal, même un tout petit peu24… » La déception d’Elsa sera démentie par les faits : à part de courtes interruptions, l’atelier reste actif jusque dans les années 90.
Les ateliers de création dite « féminine » concernent un plus petit nombre de femmes, décidées pourtant à ne pas se laisser priver, par une sorte de refus idéologique, d’occupations qu’elles trouvent plaisantes. Fanny montre comment se faire une robe en un dimanche. Sophie Sporcq apporte un modèle de jupe porte-feuille qu’elle a créé, Sylviane Dessargues, qui tient une rubrique dans Le Soir, apprend l’usage des bouts de tissus et autres trucs marrants. Comme détente après une journée féministe, c’est excusable, mais comme projet ?
En juin 1976, l’éditorial du Bulletin revient sur la question des loisirs : « S’appeler Maison des femmes a pu tromper certaines. Des femmes ont pu croire que la maison serait un lieu où des femmes se retrouveraient pour mener à leur gré une activité de loisir ou de culture, de critique ou de lutte. Mais ce n’est pas ça que nous avons mis sur pied. Le temps et les forces que nous donnons à nos projets n’ont d’autre but que de promouvoir ce qui semble propice au changement de société que nous voulons. » Il y avait dans la maison un courant anti-couture assez prononcé. Comme si cette occupation était le symbole de la soumission. Un soir, une vieille militante confiait tout bas : « Je n’oserais jamais dire ici que je m’amuse à faire de la dentelle au crochet. »