Dominique Meeùs
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On parle souvent de la perspective de prendre toute l’énergie de la société de sources renouvelables 4. Comme l’essentiel des sources renouvelables est intermittent, cela suppose qu’on maîtrise ce problème. On n'est nulle part de ce point de vue, même si on utilise une certaine quantité d'énergie renouvelable.
Prenons un exemple abstrait (de l’ordre de grandeur de la Belgique) avec un besoin d’électricité d’une puissance moyenne de 10 GW ce qui correspond à une énergie électrique de 80 TWh par an. Pour ne pas compliquer, je ne prends pas en compte la variation de cette demande de 10 GW selon les heures, les jours de la semaine et les saisons. Je considère uniquement la production d’électricité, pas la fourniture des besoins énergétiques complets d’un pays.
Considérons d’abord un système classique où ces 10 GW seraient assurés par exemple par 4 GW à charbon, 1 GW à pétrole et 5 GW à gaz, ou tout autre combinaison de ces sources ou d’autres considérées comme disponibles en permanence (sauf entretiens et réparations). Ce pourrait être par exemple aussi 10 GW à gaz pour prendre le moins sale des combustibles fossiles.
Considérons maintenant le modèle classique additionné, en surcapacité, d’unités de production d’électricité basées sur des sources intermittentes, mais sans mesures spécifiques pour tempérer cette intermittence. Ça peut être quelque chose comme 10 GW d’éolien et 5 GW de photovoltaïque en surcapacité. Ainsi l’éolien (à 25 % de charge) fournirait près de 22 TWh et le photovoltaïque (à 11 % de charge) un peu moins de 5 TWh. Les deux ensemble fournissent donc un tiers des besoins annuels. On fait tourner le renouvelable en priorité, le système classique ne doit donc fournir que les deux tiers des besoins annuels. Il doit rester dimensionné à 10 GW et être totalement disponible en permanence pour faire face aux creux de l’intermittence, mais ne tourne qu’aux deux tiers en moyenne annuelle. Je propose d’appeler redondante l’énergie de sources renouvelables dans cette situation. Cette énergie est bienvenue, mais on peut toujours s'en passer. On peut appeler redondant aussi l’ensemble du système ainsi formé de production classique suffisante et de surcapacité intermittente redondante 6.
On a ainsi un réseau un peu plus complexe à gérer, mais pas de gros problèmes d’intermittence. Lorsque le renouvelable est insuffisant, le système classique compense. À certains moments, dans les quantités choisies à titre d’exemple ci-dessus, le renouvelable assure complètement les 10 GW et tout l’appareil de production classique doit être mis à l’arrêt. Parfois, le renouvelable dépasse les 10 GW ; certains jours, en été, on pourrait arriver aux 15 GW de surcapacité installée. Mais comme c’est assez rare, on n’a rien prévu pour absorber ce qui dépasse 10 GW et on tronque (curtailment) alors la capacité de production sur les sources intermittentes au niveau de 10 GW.
On ne peut pas augmenter sans limite le taux de pénétration d’électricité de source intermittente tout en gardant la relative simplicité d'un système redondant. Il y a un taux de pénétration qu'on pourrait qualifier de critique où on n'est plus dans le système redondant. Je calcule ailleurs que le taux de pénétration critique d'une électricité intermittente est égal en gros à son facteur de charge.
Il y a bien sûr des sources renouvelables moins intermittentes. Elles sont cependant limitées, la biomasse par la limitation des surfaces cultivables, la géothermie par la lenteur du transfert de chaleur dans les roches. Les ressources hydrauliques sont en partie saisonnières. Le but ici n’est pas de donner un tableau réaliste mais de faire ressortir un problème lié à l’intermittence.
Supposons qu’à l’échelle d’un continent on arrive par une combinaison d’interconnexion et de stockage à annuler totalement l’intermittence. Il faut reprendre l’exemple plus haut d’un petit pays en quarante fois plus grand. Un groupe continental de pays a un besoin d’électricité d’une puissance moyenne de 400 GW ce qui correspond à une énergie électrique annuelle de 3 200 TWh. On y installe
On peut alors réduire les 400 GW classiques à 280. On obtient donc un système électrique combiné de 280 GW classiques, plus 120 GW effectifs renouvelables, disponibles tout le temps, sans redondance. C’est un tableau complètement différent. Les 280 GW classiques peuvent tourner régulièrement, au lieu que dans le système redondant, il y aurait 400 GW modulés continuellement entre 400 et zéro. La différence est double : pas d’investissement redondant ; régularité de fonctionnement. (Cette régularité est, rappelons-le, une idéalisation schématique, puisque dans le monde réel la demande aussi est fluctuante.)
Il faut noter que personne ne sait si un tel système est possible (une fourniture stable, constamment disponible, comme les 120 GW non redondants de sources intermittentes dans l'exemple ci-dessus. Il est indéniable que l’interconnexion aplatisse les intermittences. Il est difficile d’estimer à quel point, tous les jours de toutes les années, quelle que soit la météo. Il restera donc un besoin de stockage, mais on ne sait pas exactement combien. Une chose semble cependant acquise, c’est que l’interconnexion ne peut pas supprimer toute différence saisonnière et le stockage saisonnier est le problème le plus difficile. Il faudra donc de grandes capacités de stockage à long terme. On a des de solutions de stockage connues et des idées d’autres qu’on pourrait mettre au point. Mais les rares esquisses de plan d’ensemble sont trop schématiques pour assurer qu’on n’aura pas de pénurie par moment. On a pour ce puzzle difficile, assez bien de pièces, mais personne ne sait si on les a toutes et comment elles s’emboîtent. Ce peut aussi être possible à un coût prohibitif, pas seulement financier, comme une trop grande emprise en surface d’installations hydroélectriques pour le pompage, par exemple.
Ce qu’un certain courant appelle de ses vœux, c’est d’une part une économie d’énergie par une utilisation plus rationnelle (comme la récupération de chaleur et le chauffage urbain, les transports en communs…) — et là tout le monde est d’accord — et d’autre part un système d’énergie, non seulement électricité, mais toute énergie, à 100 % renouvelable. On présente alors diverses réalisations actuelles, réelles ou supposées, comme « une transition » vers le 100 %renouvelable. Or ce n’est une transition que dans le sens que c’est « en attendant ». Ce n’est en rien une transition dans le sens vrai d’un premier pas, d’une expérience partielle, d’une avancée technique puisque les systèmes redondants et non redondants n’ont rien en commun sauf la source renouvelable. Dans un système redondant, aucun des problèmes de l'intermittence n’est même seulement abordé. Quand on développe l’électricité renouvelable jusqu’à ce niveau, on n’a aucun problème puisqu’on a un système de production fossile complet en back-up et peu de pics de production à absorber (et pour l’essentiel, on les tronque au lieu de les absorber). Toute la question du stockage à court et à long terme, toute la question de la centralisation du réseau à une échelle continentale (lignes à haute tension en courant continu), toute la question d’une éventuelle filière hydrogène, tous ces problèmes restent entiers. La « transition » en renouvelable redondant ne fait pas un pas en ce sens.
J’insiste sur ce point parce que de nombreux calendriers avec des objectifs de 10 %, 20 %, 30 %… de taux de pénétration (électricité ? toute énergie ?) et même de nombreux « plans » de lobbys verts sont de ce type. On pense dans le paradigme du renouvelable redondant mais ce genre de progression qui repose sur le maintien d’un système classique complet ou presque n’est par définition pas extrapolable au paradigme non redondant.
On est dans des confusions en cascade :
La perspective qui découle de cette ignorance et de ces confusions est que l’on reste pour très longtemps (ou jusqu’à la limite de l’épuisement des ressources fossiles) dans un système de renouvelable redondant, brûlant assez bien de gaz (ou même de charbon), et donc à plafonner à environ un tiers des objectifs de réduction de rejet de CO₂.
Ensuite, si on s’engage vraiment dans la perspective du renouvelable non redondant, on engage l’humanité dans l’inconnu, avec la ferme volonté de résoudre le problème en chemin, mais sans être assuré qu’une telle solution existe. Cela a quelque chose de l’apprenti sorcier.