Dominique Meeùs
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Certaines sources d’énergie sont fluctuantes et même intermittentes (périodes d’énergie nulle). L’article OCDE 2012 parle d’énergies « variables » et les oppose à des énergies « programmables », (dispatchable en anglais) voulant dire par là que les secondes sont sous le contrôle de l’humanité, peuvent être planifiées, mises en œuvre selon les besoins, par opposition aux premières.
Il en résulte une production d’énergie (mécanique, thermique, électrique…) dont la variabilité ne dépend pas de nous.
Parce que les éoliennes et les panneaux photovoltaïques ont un facteur de charge très défavorable, il faut installer des capacités nominales très supérieures à celles qui correspondraient à l’énergie nécessaire. Cela pose des problèmes spécifiques.
Si on planifie de tirer de l’éolien 87,66 TWh sur une année, il ne faut pas installer des éoliennes à concurrence de 10 GW de puissance, mais de 40 GW, le facteur de charge étant de l’ordre de 1/4.
En outre, il faut un suivi de charge : s’adapter à la demande, aux besoins. Ces 87,66 TWh de l’année correspondent à une demande instantanée fluctuante, par exemple de 7 à 12 GW, tandis que la puissance effective de l’éolien installé varie, sans aucune relation avec la demande, de 0 à 40 GW. Ainsi, non seulement il pourrait manquer environ 10 GW aux plus mauvais moments, mais il pourrait y avoir par bon vent 30 GW ou plus de puissance dépassant la demande. Notre hypothèse de départ est qu’on a vraiment besoin des 87,66 TWh mentionnés ci-dessus ; on ne peut donc pas ne pas prendre la puissance excédentaire. (Cette puissance est excédentaire par rapport à la demande au même moment ; elle n’est pas excédentaire dans l’absolu.) Il faut trouver le moyen d’absorber ces 30 GW (qui peuvent surgir rapidement et de manière peu prévisible). Il faut alors stocker cette énergie pour couvrir les périodes de manque. Le stockage suppose une transformation de l’énergie sous une autre forme, avec perte. Si des 30 GW on perd 20 %, on voit rétrospectivement que ce n’est pas 40 GW qu’il fallait installer mais plutôt 46 et que les pointes d’énergie excédentaire pourraient approcher 40 GW dans le plus mauvais cas.
À propos de l’intermittence, on pense, avec raison, au problème de la pénurie, mais il faut bien comprendre que les périodes de puissance excédentaire impliquent, on vient de le voir, des puissances beaucoup plus grandes, ce qui constitue un sérieux problème.
Le problème est plus aigu pour le photovoltaïque dont le facteur de charge, en Belgique, est plus proche de 1/10. Reprenons le même point de départ. Si on planifie de tirer du photovoltaïque 87,66 TWh sur une année, il ne faut pas installer des panneaux de cellules à concurrence de 10 GW de puissance, mais 100 GW, et même plutôt 120 GW en tenant compte de la perte de stockage. Cela veut dire qu’on pourrait avoir en été, par beau temps, à absorber une puissance d’une centaine de GW en plus de la demande, fournissant une énergie qu’on est cependant obligé de prendre puisqu’on en aura besoin à un autre moment. Le problème de la capacité excédentaire est ici presque dix fois plus grand que celui des moments de pénurie. Les 80 et quelque TWh, c’est d’un ordre de grandeur raisonnable pour un pays de la dimension de la Belgique, mais la puissance instantanée à absorber à certains moments est énorme si on fait appel de manière significative au photovoltaïque.
Représentation graphique. L’ensoleillement varie en dents de scie, de zéro la nuit à un maximum un peu après midi, beaucoup moins en hiver qu’en été, et avec les aléas de la météo. Mais supposons qu’on classe les 8 766 heures de l’année par ordre de qualité décroissante en luminosité. Cela donne le graphique suivant de la puissance obtenue (où j’ai plafonné à 100 plutôt que 120 parce que jamais en Belgique on n’a l’ensoleillement idéal qui a servi à déterminer la puissance nominale des panneaux). Dans un tel graphique, la courbe représente la puissance et la surface sous la courbe représente l’énergie. Je compare cette puissance à une demande moyenne de 10 GW en puissance, représentée ici comme constante — la ligne rouge — pour simplifier. En énergie, la demande de 87,66 TWh correspond au rectangle délimité par la ligne rouge, c’est-à-dire les zones A et B. La zone A correspond aux heures où les panneaux photovoltaïques répondent à la demande et la zone B, c’est la production qui manque et qui doit être compensée par celle de la zone C, qui doit donc être stockée pendant le temps voulu. (La courbe est dessinée à vue de nez pour donner une idée du problème. Elle ne correspond à rien de précis mais son allure générale est déterminée par le fait que la puissance est zéro la moitié du temps et son maximum à 100, et que la zone C est supposée dépasser B en surface — mais je n’ai pas calculé ces surfaces. La figure est obtenue « à main levée », si l’on peut dire, s’agissant d’écrire du code SVG. (Le SVG est un code composant des images que tous les programmes modernes de rendu de pages web devraient être capables d’afficher.)
Graphique 1. Puissance, photovoltaïque, heures ordonnées selon la puissance
Dans la courbe, toute l’énergie de la zone C doit être stockée pendant un certain temps et être restituée pour couvrir la zone B, mais cela ne dit pas les moyens de stockage nécessaires puisque sur la ligne du temps les heures ont été regroupées dans un ordre non chronologique. La grandeur des moyens de stockage dont on aurait besoin si les sources étaient majoritairement intermittentes est difficile à évaluer. Si on compte des puissances en GW, l’énergie ce sont des GWh et les moyens de stockage ce sont des GWh conservés pendant des heures. Le problème est d’avoir la capacité d’absorber une puissance instantanée de dizaines de GW pendant certaines heures et de conserver les GWh obtenus pendant un certain temps, comme du jour à la nuit et en partie même de l’été à l’hiver.
L’exemple ci-dessus est volontairement simplifié pour mettre en lumière le problème en jeu dans son principe. On y traite le système entier comme utilisant une seule technologie (ici photovoltaïque) en un seul parc où la situation est supposée toujours la même en tout point à un moment donné. C’est évidemment un cas extrême. Comme il y a peu de corrélation entre le vent et la lumière, dans un système énergétique qui combinerait ces deux sources, la surabondance de l’une peut s’accompagner d’une faiblesse de l’autre au même moment ; la courbe en dents de scie de la variation de puissance de l’ensemble peut avoir des dents moins pointues que les courbes séparées des deux sources. Il n’en reste pas moins qu’il y a des périodes de manque de capacité de production, pour lesquelles il faudra avoir de l’énergie en stock, et surtout des périodes de très grande capacité excédentaire, qu’il faut absorber immédiatement, au moment où elle apparaît, dans la constitution de stocks. (Il s’agit de stockage au sens large, y compris d’activités industrielles anticipées, etc.) On peut avoir certaines heures de maximum simultané de l’une et de l’autre et il faut donc, même dans la combinaison de deux sources, être en mesure d’absorber la somme des deux maximums.
Les pointes peuvent ne pas avoir lieu en même temps en des lieux différents. Les pointes de la courbe en dents de scie se réduisent donc aussi dans un système étendu. Un pays comme la France par exemple peut avoir une situation météorologique assez différente entre nord et sud et entre est et ouest. Dans le document ADEME 2015, les auteurs utilisent le terme de foisonnement pour la situation combinant des sources fluctuantes différentes (principalement éoliennes et solaires) sur toute l’étendue du pays, où la situation n’est jamais la même partout à un moment donné.
Le foisonnement ne corrige pas le facteur de charge du système. Il faut toujours la même puissance installée totale. Cependant cela aplatit sensiblement la courbe. En particulier on pourrait rester à tout moment assez en dessous de la puissance nominale en ne jamais avoir de puissance zéro.
Si on reprend les grandes lignes de l’étude ADEME 2015, avec une grande variété de types de production (mais principalement éolien, solaire et hydraulique) avec un facteur de charge global de 28 %, production étalée sur tout le territoire français, on obtient une courbe beaucoup plus plate et jamais nulle. (La puissance installée et la demande ont été trouvées dans l’étude. Le maximum et le minimum sont estimés à partir d’indications trouvées dans l’étude.) En triant comme dans le graphique 1 les heures en puissance décroissante, la courbe prendrait l’allure du graphique 2 que voici. L’échelle en GW n’est pas la même que dans le graphique 1, mais la dimension du rectangle de la demande est conservée. Les deux graphiques sont donc bien à la même échelle en pourcentage de la demande moyenne. À cette courbe plus plate correspond un stockage plus abordable en puissance maximale instantanée et en quantité stockée.
Graphique 2. Puissance, foisonnement, heures ordonnées selon la puissance
Je ne porte pas de jugement sur le réalisme de l’étude ADEME 2015. Le but est de montrer dans le graphique 1, que les pointes de production constituent un problème aigu avec des sources fluctuantes à bas facteur de charge ; dans le graphique 2 que le foisonnement (et variété des sources, et dispersion en étendue) réduit le problème, sans le faire disparaître. Il faut rappeler aussi que dans la réalité, la demande est très loin d’être une droite. Cependant les fluctuations de la demande sont peu corrélées à celles des sources et n’affectent donc pas les conclusions générales de la présente discussion sur le stockage.
Il faut souligner encore que ces problèmes ne sont pas le fait seulement de systèmes d’énergie proches de 100 % de sources renouvelables. Le problème se pose dès que le taux de pénétration approche le facteur de charge. C’est ce qu’on pourrait appeler taux de pénétration critique et c’est facile à calculer, mais commençons par un exemple. Supposons un pays dont la demande fluctue entre 6 et 12 GW avec une moyenne de 10 GW et qui a un taux de pénétration de 25 % d’éolien avec 25 % de facteur de charge, c’est-à-dire qu’un quart des 10 GW moyens ou un quart des 87,66 TWh annuels est assuré par l’éolien. Cela suppose qu’on ait installé 10 GW de capacité de production éolienne (le quart des 10 GW de demande moyenne, multiplié par quatre pour le facteur de charge). Cela veut dire que si l’on a un bon vent à un moment de demande faible (6 GW), même en arrêtant instantanément (pour autant que ce soit possible) toutes les installations « classiques », on a 4 GW d’excès de puissance à absorber instantanément, en stockage ou autre moyen assimilé comme une production anticipée. Si cette situation se prolonge un long week-end avec jour férié, cela peut vouloir dire absorber 3 à 4 GW excédentaires de manière continue pendant plusieurs jours, ce qui est déjà beaucoup. La demande prise comme hypothèse dans cet exemple théorique est comparable à la demande réelle de la Belgique aujourd’hui. La Belgique a à Coo une très belle station de pompage. Si on devait absorber 3 GW en moyenne pendant 50 heures, par exemple, cela ferait 150 GWh, ce qui demanderait trente stations du type de celle de Coo. Il en serait de même, mais à un taux de pénétration plus bas et de manière plus aigüe, avec du photovoltaïque.
On a vu dans l’exemple que des problèmes d’absorption et de stockage d’électricité se posent quand le taux de pénétration est du même ordre que le facteur de charge 43. Ce n’est pas propre à l’exemple ; c’est facile à calculer en général.
Appelons taux de pénétration la proportion () d’une énergie électrique de source intermittente donnée (ou d’un bouquet d’énergies intermittentes) dans l’énergie annuelle totale d’un système d’énergie électrique (un pays, par exemple) ; c’est-à-dire qu’on tire de cette source intermittente la part de . Il ne s’agit pas de la puissance nominale installée, mais de l’énergie produite sur un an.
Ce total annuel correspond à une puissance instantanée moyenne (en production ou en demande) où est le nombre d’heures par an, à savoir 8 766. Autrement dit la puissance fournit une énergie annuelle . Mais une puissance nominale installée de source intermittente ne fournit pas une énergie . En effet, cette énergie n’est pas disponible tout le temps à la puissance . Notons () le facteur de charge de cette production d’électricité intermittente. Par définition du facteur de charge, c’est comme si la puissance était disponible non pas heures par an, mais heures par an. L’énergie fournie de source intermittente est donc . Cette contribution de notre électricité intermittente est, par définition ci-dessus du taux de pénétration, égale aussi à . Des égalités , on tire que la puissance nominale d’électricité intermittente à installer pour réaliser le taux de pénétration est . Si , le taux de pénétration, est égal à , le facteur de charge, alors , c’est-à-dire qu’on installe en production d’électricité intermittente nominalement toute la puissance moyenne instantanée (et la demande moyenne instantanée) du système.
Tant que , on a et, en gros (parce qu’on a fait abstraction de la variabilité de la demande), le seul problème de cette pénétration d’électricité intermittente, c’est qu’il faut la compléter quand elle ne suffit pas. Elle peut être nulle ; la situation ordinaire est donc d’avoir un système classique complet de puissance en moyens de production d’électricité non intermittents (à facteur de charge voisin de 1) et d’avoir en prime quand les conditions sont favorables.
Au contraire pour , , c’est-à-dire que la seule énergie intermittente dépasse la demande à certaines heures et on ne peut plus reculer le moment d’installer des dispositifs capables d’absorber ces pointes de puissance excessive. On pourrait appeler taux de pénétration critique et noter le taux de pénétration où commencent les ennuis, la nécessité de mesures tout à fait spécifiques à l’intermittence, l’absorption des pointes. Ce qu’on vient de calculer se résume donc au fait que, dans la situation simplifiée d’une demande constante, le taux de pénétration critique d’une énergie de source intermittente est égal au facteur de charge.
Dans la réalité, le taux de pénétration critique est inférieur au facteur de charge parce que la demande est variable et que le moment favorable où on a toute la puissance de la source intermittente peut être un moment de demande inférieure à la demande moyenne , et on ne peut même exclure que ce soit un moment de demande minimale . Ainsi, en réalité, la puissance nominale installée critique d’une production d’électricité de source intermittente est et le taux de pénétration critique effectif est . (On reste dans l’abstrait. En réalité, le taux de pénétration critique est encore inférieur dans la mesure où on ne peut pas réellement mettre tout le reste de l’appareil de production d’électricité à l’arrêt.) Dans le monde d’aujourd’hui, toute l’énergie renouvelable installée est en dessous de ce niveau critique 44. On pourrait la qualifier d’énergie renouvelable sous-critique.
Il faut distinguer deux types de surcapacité. Outre la surcapacité nominale apparente (réelle par moments, mais qu’il faut impérativement absorber), liée au facteur de charge, considérée ci-dessus, on peut décider d’installer une surcapacité de production globale, une surcapacité vraie, qui doit alors être tronquée (curtailed), non utilisée à certain moments, dans la mesure où elle dépasse les besoins annuels en énergie.
L’avantage est que la sous-capacité momentanée se situe à un niveau plus haut, plus proche de la demande. Il y a donc moins besoin de stockage. L’investissement « inutile » en capacité de production peut être moins cher que le stockage que l’on évite ainsi.