Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
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Capitalisme, patriarcat et lutte des femmes : débat, Premier mai, revue de critique et d’action communistes, no 2, Éditions GL, Paris , juin-juillet 1976, p. 36-43.
C.D. : L’analyse des rapports entre famille patriarcale et capitalisme qu’on rencontre beaucoup dans les secteurs gauchistes du Mouvement des Femmes et dans les secteurs femmes des organisations gauchistes est insuffisante parce qu’elle repose sur une confusion entre un système économique concret et un mode de production. Un mode de production, c’est un modèle abstrait que je définirai comme un ensemble de rapports de production, plus précisément comme deux rapports de production complémentaires et antagoniques. Le rapport de production, c’est le rapport à sa subsistance. C’est, en langage de tous les jours, comment on gagne sa croûte. Le système concret, le système où l’on vit est hétérogène. Les éléments qui le composent sont compatibles à un certain niveau : la preuve en est qu’ils coexistent. Mais c’est un raisonnement circulaire que de désigner comme « capitaliste » tout élément de ce système, sous prétexte qu’on privilégie, dans l’analyse de ce système, l’analyse de l’économie et qu’on caractérise cette économie comme capitaliste. Pour ce qui est des rapports entre la famille et le capitalisme, ça me paraît un peu facile de dire simplement : « Bon, ça existait avant le capitalisme, mais le capitalisme l’a réemployé, etc. »
Je trouve que Christine Delphy, là, met le doigt sur un problème très profond. Il y a un certain réductionnisme, un certain schématisme, typiques de l’époque, chez de jeunes marxistes débutantes ou débutants. On sait bien sûr qu’il y a une histoire, mais puisque, dans cette histoire, on en est au temps du capitalisme, il faut que tout s’explique par le capitalisme. Puisque la superstructure est déterminée par la base, il faut que tout s’explique en termes de valeur, de plus-value, etc. Les féministes marxistes d’alors ont donné à Delphy un bâton pour se faire battre et, sur ce point, elle se montre bien meilleure marxiste qu’elles. Cela dit, elle n’avait pas fait mieux avec sa théorie de l’ennemi principal (1970), que je continue à trouver complètement foireuse. Mais, même dans son erreur, elle semble avoir une vue plus profonde de ce que veut dire matérialisme historique.
Dans sa réponse, Danièle Léger maintient que le capitalisme hérite du patriarcat, mais en le faisant sien, « entretient délibérément ces formes d’organisation patriarcale du travail domestique (et donc transforme leur nature) » en en faisant un mécanisme par lequel il peut mobiliser la force de travail (domestique) des femmes. Elle répète sa thèse surprenante (dans le n1 de la même revue) que le travail domestique est plus-value et même plus-value pure : « réaliser une plus-value absolue » puisque les femmes produisent la force de travail sans être elles-mêmes payées.
Christine Delphy objecte que l’analyse de Danièle Léger (plus-value absolue) ne s’applique qu’aux femmes du prolétariat. Ce faisant, non seulement Danièle Léger ne dit rien des bourgeoises, mais rien non plus des femmes de paysans ou d’artisans modestes. La thèse de Christine Delphy couvre les femmes incomplètement aussi, d’une autre manière : considérant les femmes mariées comme exploitées par leur époux, elle ne dit rien des femmes non mariées.
Danièle Léger maintient (p. 41, colonne de gauche) que « le capital exploite, sous des modalités particulières, le travail des femmes ». (Elle ne vise pas ici le travail des salariées, mais le travail domestique, vu à sa manière.) « C’est absolument faux », rétorque Christine Delphy. Christine Delphy défend son point de vue en attaquant l’économisme de Danièle Léger (et de beaucoup d’autres). Le travail ménager « ne dégage pas de valeur » (p. 41, colonne de droite). La femme au foyer d’un prolétaire n’est pas dans un rapport d’échange avec un capitaliste. On dit qu’elle produit la force de travail. Mais ce n’est pas elle qui la vend, c’est son mari ouvrier. Ce n’est donc certainement pas une valeur pour elle. En outre (p. 42, colonne de droite) cela revient à accorder de la valeur ou non selon l’utilité, selon que la valeur d’usage serait meilleure ou moins bonne. On accorderait de la valeur seulement à certains travaux ménagers, parce qu’utiles. Mais il y a bien des marchandises qu’on pourrait juger inutiles.
D. L. : […]