Dominique Meeùs
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Chris Herzfeld, Petite histoire des grands singes, 2012

Chris Herzfeld , Petite histoire des grands singes, Éditions du Seuil, Paris, 2012, 216 pages, ISBN : 978-2-02-104640-3.

Inventaire de l’histoire et de la problématique du domaine, concis et complet à la fois. Beaucoup d’idées importantes sont abordées. Je reprends la table des matières pour donner une idée de la richesse du livre. Dernier chapitre particulièrement original sur les femmes.

Considérations importantes sur le sexe, la technique et la culture chez les grands singes.

Mères et techniciennes

Le paradigme dans lequel nous pensons les hominidés anciens semble de la sorte hanté par l’idée que la technique et l’outil appartiennent d’emblée au domaine des compétences typiquement masculines. Or, si l’on veut continuer à prendre les grands singes à témoin, force est de constater que les femelles dépassent largement les mâles en ce qui concerne différentes compétences techniques. Goodall précise que Gremlin est l’une des meilleures spécialistes de sa communauté en ce qui concerne la capture d’insectes par le truchement de branches et d’autres tiges. De plus, la femelle a transmis cette aptitude à ses enfants. Boesch ajoute que les femelles sont plus performantes que les mâles dans ce domaine d’activités, notamment en ce qui concerne le cassage des noix. Elizabeth Londsdorf précise que les femelles chimpanzés adultes, lors de tests d’utilisation d’outils, font de meilleurs scores à tous les niveaux (fréquence, durée, efficacité). Quatre ans de recherches de terrain à Gombé lui ont permis de pointer certaines divergences dans le développement de ce type de savoir-faire, par exemple la pêche aux termites : les filles ont vingt-sept mois d’avance sur les garçons, avantage qu’elles conserveront par la suite.

Comment expliquer que les mères primates soient meilleures techniciennes que les mâles? Différents facteurs interviennent. Le quotidien des femelles est, tout d’abord, plus compliqué que celui des mâles : elles réalisent l’ensemble des activités de tous les jours, en ayant en charge un petit, et cela pendant la majeure partie de leur existence. La primatologue et mathématicienne Jeanne Altmann résume cette situation par la formule de « carrière double ». Les mères développent de la sorte, différentes compétences, parmi lesquelles celle d’avoir la capacité de faire deux choses en même temps. Les enfants étant sous leur responsabilité, elles sont obligées d’assumer tous leurs besoins pendant environ quatre ou cinq ans. Elles pratiquent donc plus intensivement que les mâles toutes les techniques qu’elles mettent en œuvre de manière journalière. Elles brisent par exemple les noix pour elle et pour leur petit, pratiquant deux fois plus souvent une même suite de gestes, ce qui leur permet certainement d’améliorer leur dextérité manuelle. De plus, la curiosité des mères est entretenue par le fait qu’elles sont constamment entourées de jeunes, beaucoup plus curieux et plus explorateurs que les adultes. Les femelles sont ainsi souvent à l’origine d’innovations techniques. Au Japon, la femelle macaque Imo en est un exemple célèbre.

Des femelles primates passeurs de « culture »

Les jeunes primates vivent pendant plusieurs années auprès de leur mère. Celle-ci leur délivre un véritable mode d’emploi pour devenir singe, les guidant dans l’enchevêtrement des statuts sociaux, alliances et relations risquées au sein de leur groupe. Le nombre important d’individus dans une même troupe, qui en compte parfois plus de cent chez les chimpanzés, rend plus complexe encore la gestion des relations interindividuelles. Certaines compétences sociales sophistiquées constituent des adaptations indispensables, notamment pour les femelles chimpanzés, isolées de leur parenté (elles quittent leur groupe natal au moment de leur maturité sexuelle), confrontées à la complexité de la double hiérarchie (celle des mâles et celle des femelles), et exposées aux coalitions de mâles. En outre, toutes sont fragilisées en raison du coût énergétique, économique et politique de l’allaitement et des soins aux petits. Rendue possible par des spécificités partagées avec les humains, une très longue enfance et une durée de vie étendue (qui permet cette passation de savoirs et de techniques des plus expérimentés aux plus jeunes), la transmission culturelle opérée de la mère à son petit constitue un élément décisif sur le plan évolutif. Intégrant une nouvelle troupe après leur maturité sexuelle, les mères exportent, en outre, les habitudes, les traditions, les traits d’un groupe vers l’autre. Elles constituent, véritablement, les forces agissantes de la dynamique culturelle des communautés de grands singes. Les femelles sont donc non seulement de formidables passeurs de culture, mais également de remarquables diffuseurs de culture.

P. 163-164.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est légitime de penser que les femmes (de l’espèce Homo sapiens) auraient joué un rôle prédominant dans l’acquisition des techniques.

Acheté chez Pêle-Mêle à Bruxelles en mars 2019.