Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Auteur-œuvres : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Le livre se prolonge sur un site web : www.rachidaaziz.be.
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Elle commence fort, avec en exergue tout le texte de Pirate Jenny, l’adaptation en anglais par Marc Blitzstein de la chanson terrible Die Seeräuber-Jenny de Brecht1. Il n’est pas toujours facile de suivre les paroles d’une chanson, a fortiori quand ce n’est pas sa langue. Je l’avais toujours écoutée pour la musique de Kurt Weill, pour la musicalité des paroles aussi, mais jamais pour le sens. Je l’ai réécoutée avec sous les yeux le texte que me donnait Rachida Aziz. C’est un choc.
Dit boek is er dan ook voor alle mensen die nooit het recht genoten hebben om de narratief te bepalen. Alle mensen die onderdrukt, misbruikt, uitgespuugd en tegen elkaar opgezet werden. Alle mensen die niet de norm zijn in deze maatschappij die overheerst wordt door ‘witte, rijke, hetero, cis-mannen’. Geloof me, we zijn met velen. Ik zie jullie in lange rijen aanschuivend bij de werkloosheidsdienst, ’s morgens op de trein met kleine ogen pendelend naar het muffe kantoor, ’s avonds uitgeput op de metro de handen wit van het stof op de bouwwerf. Ik zie jullie schrijdend in witte en groene zorgjassen door de gangen van het ziekenhuis, baskettend op het laatste pleintje van de gegentrificeerde buurt, zeulend niet kinderwagens op roltrappen die nooit werken. Ik zie jullie in de statistieken van langdurig zieken, in de armoedecijfers en in de gevangenissen. Ik zie jullie aan het raam van treurige rusthuizen kauwend op maaltijden waar de overheid niet meer dan drie euro per dag wil aan besteden. Ik zie jullie eten brengen naar vluchtelingen. Ik zie jullie met angstige blikken wachten aan de Dienst Vreemdelingenzaken. Ik zie jullie schuilen in de sombere gangen van het Noordstation. Ik zie jullie met oordopjes haastig door een donkere steeg lopen, hopend dat de muziek het gesis van toxische mannen overstemt. Ik zie jullie in de keukens van restaurants, op kleine en grote podia, in het publiek of gewoon op straat, op de speelplaats van scholen en in aula’s, op het platteland en in de stad. Wij hebben één iets gemeen. Wij zijn de verliezers in de maatschappij die deze kleine, machtige groep naar hun beeld en hun gelijkenis heeft geschapen. We hebben ook één voordeel: wij zijn met meer.
Ça veut dire exactement les 99 % contre le 1 %. L’expression en % a pour elle la force de la brièveté, de l’évidence, du fossé entre 99 et 1. L’alinéa de Rachida Aziz a la force de ce qui prend au ventre.
Elle était discriminée. Elle était au mieux un objet de curiosité comme Saartjie Baartman. Elle décide qu’il vaut mieux parler par elle-même. C’est un livre de révolte et d’analyse à la fois.
Dans le chapitre « De filosofe », elle montre très bien comment la philosophie des Lumières conduit à un libéralisme eurocentriste, parfois — ou faut-il dire souvent ? — raciste et esclavagiste, qui tend à rejoindre la philosophie des anti-lumières. (Dans leurs disputes, les scolastiques se situaient par rapport à l’esprit contestataire d’ibn Rushd ou à la position plus respectueuse de l’ordre d’al Ghazali. Mais la remise en cause de l’ancien régime prend forme avec la montée d’une nouvelle classe.) John Locke, John Stuart Mill ou Etienne Vermeersch, Georges Washington, Thomas Jefferson et Abraham Lincoln ne sont pas tellement éloignés du libéral Edmund Burke, qui inspire Bart De Wever. Ce sont des esclaves surtout qui ont mené une lutte résolue : Toussaint Louverture, Frederick Douglass, Harriet Tubman… La « civilisation » libérale a conduit Alan Turing au suicide. Sur d’autres, comme Peter Price, on a exercé la torture pour les guérir (par association pavlovienne). Ce n’est qu’assez récemment qu’on a commencé à prendre au sérieux les violences conjugales. Par contre, on trouve important de décider comment les femmes doivent (ou ne doivent pas) s’habiller. Les militaires étasuniens ont été encouragés à torturer (jusqu’à ce que ça fasse scandale). L’Union européenne trouve légitime d’enfoncer les Grecs dans une misère inhumaine. L’eurocentrisme de cette élite européenne est l’héritier aussi du nationalisme de Johan Gottfried Herder.
Je résume maladroitement ces quarante pages très riches. Lisez-les vous-mêmes.
Son expérience de l’enseignement secondaire général. Être première de classe, c’est bien, mais ça ne vous protège pas. (Le harcèlement extrême l’en a chassée et reléguée dans l’enseignement professionnel.)
In de zomer van 2017 werd eindelijk een kleitablet uit Babylon (een stad in het huidige Irak die in 1700 voor onze jaartelling de grootste stad ter wereld was) ontcijferd. Dat tablet blijkt de stelling van Pythagoras te bevatten. Een onbekend genie kraste die beroemde stelling duizend jaar vroeger dan de Griekse wiskundige Pythagoras in een stuk klei. Het onbekende genie deed nog meer : het tablet bevat een versie van de trigonometrie — de tak van de wiskunde die zich bezighoudt met driehoeken — die accurater en helderder is dan de versie die nu gedoceerd wordt aan universiteiten.
Il s’agit de la tablette dite Plimpton 322. La tablette, outre le théorème dit de Pythagore, donne une série de relations de type trigonométrique. Le calcul en base 60 permet une expression plus précise qu’en base 10. Un article du Guardian1 donne en premier alinéa la phrase très journalistique « an unknown Babylonian genius took a clay tablet and a reed pen and marked out not just the same theorem, but a series of trigonometry tables which scientists claim are more accurate than any available today ». La tablette témoigne de la connaissance mathématique avancée de la société dont elle émane et il n’y a aucune raison de penser que c’est la réalisation personnelle de celui ou celle qui l’a inscrite dans l’argile. C’est le génie d’une civilisation et Daniel Mansfield, cité dans l’article2, dit plus justement « a fascinating mathematical work that demonstrates undoubted genius ».
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In de vijftiende eeuw was de Malinese stad Timboektoe vele malen groter dan Londen. De stad was met zijn kolossale bibliotheken een magneet voor wetenschappers uit die tijd.
De fait, je trouve que Tombouctou aurait eu alors 100 000 habitants et son université 25 000 enseignants, chercheurs et étudiants3. Bruges aurait eu au moins 125 000 habitants au début du 15e (peut-être jusque 200 000), selon Wikipedia, mais décline à la fin du siècle. Gand devait être importante alors aussi, plus de 50 000. Une page Wikipedia la donne comme la plus grande de l’Europe du nord-ouest avant Paris, ce qui contredit la population donnée à Bruges et ce qui montre la difficulté de trouver des estimations fiables. Londres aurait eu alors moins de 50 000 habitants (sa population de 1530 selon Wikipedia)4.
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Iedereen kent bijvoorbeeld alle details van het personage Robinson Crusoë uit de roman van Daniel [Defoe]5. Hoe hij het onbewoonde eiland omvormt tot een kolonie en hoe hij een jongeman die ontsnapte aan kannibalen onder zijn hoede neemt en hem ‘Vrijdag’ noemt (zoals Columbus alle volkeren die hij op zijn veroveringstocht tegenkwam ‘indianen’ noemde). Maar niemand weet dat Crusoë in het begin van de roman een slaaf was in Salé, de stad nabij Rabat waar hij een rijke Arabische familie op haar wenken bediende.
J’imagine que je n’ai lu Robinson Crusoé que dans des éditions adaptées pour enfant. Je n’ai probablement jamais su qu’il était esclave. (Ou peut-être profondément oublié.) Je le découvre grâce à Rachida Aziz. À défaut de relire le roman, je vois dans la page Wikipedia qu’il devient lui-même trafiquant d’esclaves.
Elle a fait le pèlerinage de la Mecque en cherchant une réponse religieuse. Il n’est pas sûr qu’elle ait eu la réponse attendue, mais elle en est revenue enrichie et renforcée par l’expérience de la communauté et de la solidarité entre gens de pays très différents.
On l’invite régulièrement sur des plateaux de télévision, comme alibi ou comme « représentante » d’une catégorie mal définie. Elle insiste sur le racisme structurel, institutionnalisé. Si on ne le voit pas, on ne peut pas lutter contre le racisme. Il est possible alors de se dire et de se vouloir antiraciste, tout en conservant sa mentalité eurocentriste.
Elle analyse une présentation par Paula D’Hondt, Commissaire royale à l’Immigration, de son fameux Rapport du Commisariat Royal à l’Immigration (1990) en explicitant entre crochets les sous-entendus, les présupposés qui émanent du texte6.
Mevrouw D’Hondt, I hope you live to read this. U werd op handen gedragen als een heilige, maar in alles wat u zei en deed hoorde ik de echo van het paternalisme en kolonialisme van uw voorouders.
Paula D’Hondt a été encensée par les progressistes. (On lui a attribué en 1993 le Prix de la démocratie.) Le « progressisme » de son rapport a été attaqué, non seulement par l’extrême droite, mais aussi par la droite bien élevée. Ils n’avaient pas compris, dit très justement Rachida Aziz, que la philosophie sous-jacente était la même.
J’ai du mal avec la poésie. Je n’arrive pas à entrer dedans, ça ne me dit rien… sauf, dans une certaine mesure, si c’est en néerlandais (Paul Van Ostaijen…) ou en anglais. Je me demande si ce n’est pas que dans une langue qu’on connaît moins bien, on est plus attentif. J’en viens à me demander si on n’y entend pas aussi plus de choses qu’un locuteur natif, parce qu’on n’a pas acquis les mêmes automatismes. N’entend-on pas, plus qu’un locuteur natif, les parentés étymologiques, les décalages?
Het lijdend voorwerp, c’est le complément d’objet direct. On pourrait dire le complément « passif » ; ce qui dans une phrase inversée, écrite sous forme passive, deviendrait le sujet de la forme passive, le sujet de la passion en quelque sorte. Parce que c’est aussi la victime. Pour quelqu’un qui connaît peu le néerlandais, ça ne veut rien dire du tout. Pour un locuteur natif du néerlandais, c’est un truc qu’on utilise à l’école. (Mais bien sûr, dans un deuxième temps, il sent que dans ce titre, ce n’est pas tout à fait ça.) Je pense que dans la situation intermédiaire, de quelqu’un qui connaît un peu le néerlandais comme deuxième langue (qui a moins de souvenirs d’un lijdend voorwerp de l’école), tout lui vient à l’esprit en même temps, et peut-être même plus qu’au locuteur natif, la souffrance avant la grammaire. Bon, enfin, pour autant que j’arrive à faire comprendre la question, je devrais la poser à des amis néerlandophones.
Quoi qu’il en soit je trouve ça un titre terrible. J’en ai la gorge serrée parce que ça me fait penser à la chanson de Brecht en exergue. La fille de l’hôtel de la chanson est aussi un « objet » et un objet qui souffre (et qui se révolte). Mais le chapitre porte sur le caractère réducteur de nombreuses demandes d’intervention comme « représentante » d’un « groupe » imaginaire, ou plutôt inventé, mais pas tellement imaginaire, puisqu’apposé, imposé comme une étiquette.
Un comité de six hommes blancs lui refuse des subsides, qu’ils accorderont à un autre projet — de quatre hommes blancs. (Il ne fait pas bon d’être femme en plus du reste.) Puisqu’elle a une personnalité affirmée, son projet risque de « polariser ». La vision du monde des six hommes blancs qui met les gens dans des catégories, étant mainstream, est supposée par définition ne pas polariser.
Le chapitre du père, le « gastarbeider ».
Il y a des féministes bourgeoises et d’autres. Il y a des femmes bourgeoises et des travailleuses. C’est pire quand on est une travailleuse issue de l’immigration. Il y a des opinions arrêtées caricaturales des rapports entre les hommes et les femmes et de la sexualité chez les « Orientaux ».
Être toute sa vie en butte au racisme, c’est traumatisant, ça mine la santé.
Toute sa vie, elle a été en butte au racisme et pourtant, en un sens, elle a « réussi ». Mais cette réussite a quelque chose d’illusoire et l’attention que lui accordaient parfois les notables l’enfonçait en fin de compte dans son statut « à part ». Il faut repartir à zéro et reprendre la lutte sur d’autres bases. Le fait que des opprimés se rencontrent et s’organisent entre eux n’est pas une division, puisque le but est de briser le carcan et d’unir.