Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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Dès le début du 19e siècle, depuis que la grande industrie mécanique a fait son apparition, le cours de la reproduction capitaliste élargie est coupé périodiquement de crises économiques.
Les crises capitalistes sont des crises de surproduction. La crise se traduit tout d’abord par le fait que les marchandises restent invendues, parce qu’il en a été produit plus que n’en peuvent acheter les principaux consommateurs, les masses populaires, dont le pouvoir d’achat sous la domination des rapports de production capitalistes est extrêmement limité. Les « surplus » de marchandises s’amoncellent dans les entrepôts. Les capitalistes réduisent la production et congédient les ouvriers. Des centaines et des milliers d’entreprises ferment. Le chômage s’étend brusquement. Une multitude de petits producteurs de la ville et des campagnes se ruinent. La mévente des marchandises produites désorganise le commerce. Les liens du crédit se rompent. Les capitalistes éprouvent un manque extrême d’argent liquide pour effectuer leurs paiements. Et c’est le krach en Bourse : le cours des actions, des obligations et des autres valeurs s’effondre irrésistiblement. Une vague de faillites déferle sur les entreprises industrielles, les firmes commerciales et bancaires.
La surproduction des marchandises pendant les crises n’est pas absolue, mais relative. C’est dire que le surplus de marchandises n’existe que par rapport à la demande solvable, et non point par rapport aux besoins réels de la société. En période de crise, les masses laborieuses manquent du plus strict nécessaire, leurs besoins sont satisfaits plus mal que jamais. Des millions d’hommes souffrent de la faim, parce qu’on a produit « trop » de blé ; les hommes souffrent du froid parce qu’on a extrait « trop » de charbon. Les travailleurs sont privés de moyens de subsistance précisément parce qu’ils ont produit tous ces moyens « en trop grande quantité ». Telle est la contradiction criante du mode de production capitaliste, lorsque, selon le socialiste utopiste français Fourier, « la pauvreté naît en civilisation de l’abondance même ». (Fourier, Textes choisis, p. 105, Classiques du peuple, Éditions sociales, Paris, 1953.)
Des perturbations de la vie économique ont eu lieu souvent aussi sous le régime des modes de production précapitalistes. Mais elles étaient dues à des calamités naturelles ou sociales exceptionnelles : inondation, sécheresse, guerre sanglante ou épidémie qui ravageaient parfois des pays entiers, vouant la population à la famine et à la mort. Mais la différence essentielle entre ces perturbations économiques et les crises capitalistes est que la famine et la misère qu’elles entraînaient étaient la conséquence d’une production peu développée, d’une extrême pénurie de produits. Or, en régime capitaliste, les crises sont engendrées par l’accroissement de la production alors que le niveau de vie des masses populaires est misérable, par un « excédent » relatif des marchandises produites.
Comme nous l’avons montré au chapitre 4, la production marchande simple et la circulation renferment déjà en elles des possibilités de crise. Mais les crises ne deviennent inévitables qu’en régime capitaliste, lorsque la production prend un caractère social, et que le produit du travail socialisé de milliers et de millions d’ouvriers fait l’objet de l’appropriation privée des capitalistes. La contradiction entre le caractère social de la production et la forme capitaliste, privée de l’appropriation des résultats de la production, contradiction fondamentale du capitalisme, constitue le fondement des crises économiques de surproduction. Ainsi, l’inévitabilité des crises a ses racines dans le système même de l’économie capitaliste.
La contradiction fondamentale du capitalisme se manifeste sous forme d’une opposition entre l’organisation de la production dans les entreprises isolées et l’anarchie de la production dans l’ensemble de la société.
Dans chaque fabrique prise à part le travail des ouvriers est organisé et subordonné à la volonté unique de l’entrepreneur. Mais dans la société prise dans son ensemble, par suite de la domination de la propriété privée des moyens de production, c’est l’anarchie qui règne dans la production ; elle exclut le développement harmonieux de l’économie. Aussi les conditions complexes qui sont nécessaires à la réalisation du produit social dans la reproduction capitaliste élargie sont-elles inévitablement détruites. Ces perturbations peu à peu s’accumulent jusqu’à la crise, qui se produit quand le processus de réalisation est entièrement désorganisé.
Dans leur course au profit le plus élevé, les capitalistes élargissent la production, perfectionnent les techniques, introduisent de nouvelles machines et jettent des masses énormes de marchandises sur le marché. C’est dans le même sens qu’agit la tendance constante du taux de profit à la baisse, tendance conditionnée par l’élévation de la composition organique du capital. Les entrepreneurs s’efforcent de compenser la chute du taux de profit en augmentant la masse des profits par l’extension du volume de la production, l’augmentation de la quantité des marchandises fabriquées. Ainsi est inhérente au capitalisme la tendance à l’élargissement de la production, à l’accroissement énorme des possibilités de production. Mais la paupérisation de la classe ouvrière et de la paysannerie a pour effet une réduction relative de la demande solvable des travailleurs. De ce fait, l’élargissement de la production capitaliste se heurte inévitablement au cadre étroit de la consommation des masses essentielles de la population. De la loi économique fondamentale du capitalisme il résulte que le but de la production capitaliste, le profit toujours plus grand, entre en contradiction avec le moyen d’atteindre ce but, l’élargissement de la production. La crise est la phase du cours de la reproduction capitaliste élargie dans laquelle cette contradiction apparaît sous la forme aiguë de la surproduction de marchandises qui ne trouvent pas d’écoulement.
La base de la crise réside dans la contradiction entre le caractère social de la production et la forme capitaliste d’appropriation des résultats de la production. L’expression de cette contradiction fondamentale du capitalisme, c’est la contradiction existant entre l’accroissement colossal des possibilités productives du capitalisme visant à l’obtention d’un maximum de profit capitaliste, et la réduction relative de la demande solvable des millions de travailleurs, dont les capitalistes s’efforcent toujours de maintenir le niveau de vie dans les limites d’un minimum extrême.
La contradiction fondamentale du capitalisme se manifeste dans l’antagonisme de classes entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ce qui est caractéristique du capitalisme, c’est la rupture entre les deux conditions les plus importantes de la production : entre les moyens de production concentrés entre les mains des capitalistes, et les producteurs directs qui sont privés de tout, sauf de leur force de travail. Cette rupture s’affirme nettement dans les crises de surproduction, où l’on est en plein cercle vicieux : d’un côté, excédent des moyens de production et des produits, de l’autre excédent de la force de travail, des masses de chômeurs privés de moyens de subsistance.
Les crises accompagnent inéluctablement le mode de production capitaliste. Pour supprimer les crises, il faut supprimer le capitalisme.