Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS
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9.2. La reproduction capitaliste simple.

Avec la reproduction capitaliste simple, le processus de production se renouvelle sans changer de volume ; la plus-value est entièrement dépensée par le capitaliste pour sa consommation personnelle. L’analyse de la reproduction simule suffit déjà pour approfondir l’étude de certains traits essentiels du capitalisme.

Dans le processus de reproduction capitaliste se renouvellent sans cesse non seulement les produits du travail, mais aussi les rapports d’exploitation capitalistes. D’une part, dans le cours de la reproduction se crée constamment la richesse qui appartient au capitaliste et qu’il utilise pour s’approprier la plus-value. Au terme de chaque processus de production, l’entrepreneur se retrouve en possession d’un capital qui lui permet de s’enrichir par l’exploitation des ouvriers. D’autre part, l’ouvrier demeure à l’issue du processus de production un prolétaire non possédant ; il est donc obligé, pour ne pas mourir de faim, de vendre sans cesse sa force de travail au capitaliste. La reproduction de la force de travail salariée demeure la condition nécessaire de la reproduction du capital.

Le procès de production capitaliste reproduit donc par son propre mouvement la séparation entre force de travail et conditions de travail. Il reproduit et perpétue ainsi les conditions d’exploitation du travailleur. Il contraint sans cesse le travailleur à vendre sa force de travail pour vivre, et met constamment le capitaliste en mesure de l’acheter pour s’enrichir.

K. Marx, Le Capital, Livre I, p. 647-648.

Ainsi, dans le processus de production, le rapport capitaliste fondamental se renouvelle constamment : le capitaliste d’un côté, p. 151l’ouvrier salarié de l’autre. L’ouvrier, avant même d’aliéner sa force de travail à tel ou tel entrepreneur, appartient déjà au capitaliste collectif, c’est-à-dire à la classe des capitalistes dans son ensemble. Lorsque le prolétaire change de lieu de travail, il ne fait que changer d’exploiteur. L’ouvrier est sa vie durant enchaîné au char du capital.

Si l’on considère un processus de production isolé, il semble à première vue qu’en achetant la force de travail, le capitaliste prélève sur ses propres fonds une somme d’argent pour l’avancer à l’ouvrier, puisque, à la date du paiement du salaire, le capitaliste peut ne pas avoir eu le temps de vendre la marchandise fabriquée par l’ouvrier dans une période donnée (par exemple en un mois). Mais si l’on prend la vente et l’achat de la force de travail non pas isolément, mais comme un élément de la reproduction, comme un rapport sans cesse répété, alors apparaît en pleine lumière le véritable caractère de cette transaction.

Premièrement, alors que l’ouvrier par son travail crée, dans une période donnée, une nouvelle valeur renfermant la plus-value, le produit fabriqué par l’ouvrier dans la période précédente, est réalisé sur le marché et se convertit en argent. Il apparaît donc clairement que le capitaliste paye au prolétaire le salaire non pas sur ses propres fonds, mais sur la valeur créée par le travail des ouvriers dans la période précédente de production (par exemple, pendant le mois précédent). Selon l’expression de Marx, la classe des capitalistes agit suivant la vieille recette du conquérant : elle achète la marchandise des vaincus avec leur propre argent, avec l’argent dont elle les a dépouillés.

En second lieu, contrairement aux autres marchandises, la force de travail n’est payée par le capitaliste qu’après que l’ouvrier a fourni un travail déterminé. Il se trouve donc que ce n’est pas le capitaliste qui avance au prolétaire; c’est au contraire, le prolétaire qui avance au capitaliste. Aussi bien, les entrepreneurs s’efforcent-ils de payer les salaires aux dates les plus espacées possible (par exemple, une fois par mois), afin de prolonger les délais du crédit gratuit que les ouvriers leur ont consenti.

La classe des capitalistes verse constamment aux ouvriers de l’argent, sous forme de salaire, pour leur permettre d’acheter les moyens de subsistance, c’est-à-dire une certaine partie du produit créé par le travail des ouvriers et que les exploiteurs se sont approprié. Cet argent, les ouvriers le restituent aussi régulièrement aux capitalistes, en acquérant avec lui les moyens de subsistance produits par la classe ouvrière elle-même.

L’analyse des rapports capitalistes dans le cours de la reproduction fait apparaître la source véritable du salaire, mais aussi celle de tout capital.

Admettons que le capital avancé par l’entrepreneur — 100 000 livres sterling — rapporte une plus-value de 10 000 livres sterling par an, et que cette somme soit entièrement dépensée par le capitaliste pour sa consommation individuelle.

p. 152Si l’entrepreneur ne s’appropriait pas le travail non payé de l’ouvrier, son capital se trouverait au bout de dix ans entièrement englouti. Il n’en est pas ainsi parce que la somme de 100 000 livres sterling dépensée par le capitaliste pour sa consommation personnelle, se renouvelle entièrement durant les délais indiqués grâce à la plus-value créée par le travail non payé des ouvriers.

Par conséquent, quelle que soit la source initiale du capital, celui-ci, dans le cours même de la reproduction simple, devient, au bout d’une période déterminée, de la valeur créée par le travail des ouvriers et accaparée gratuitement par le capitaliste. C’est là la preuve de l’absurdité des affirmations des économistes bourgeois, selon lesquels le capital serait une richesse gagnée par le propre travail de l’entrepreneur.

La reproduction simple fait partie intégrante, elle est un élément de la reproduction élargie. Les rapports d’exploitation, inhérents à la reproduction simple, sont encore plus accusés dans le cadre de la reproduction capitaliste élargie.