Dominique Meeùs
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chap. 1, § 2, p. 11. Avant que les groupes marxistes ne fussent apparus, le travail révolutionnaire était fait en Russie par les populistes, adversaires du marxisme.
chap. 1, § 2, p. 11. Le premier groupe marxiste russe prit naissance en 1883. C’était le groupe « Libération du Travail », organisé par G. Plékhanov à l’étranger, à Genève, où il avait dû se réfugier pour échapper aux persécutions du gouvernement tsariste, persécutions que lui avait values son activité révolutionnaire.
chap. 1, § 2, p. 11. Auparavant, Plékhanov avait été lui-même populiste. Lorsque dans l’émigration il eut pris connaissance du marxisme, il rompit avec le populisme, pour devenir un propagandiste éminent du marxisme.
chap. 1, § 2, p. 11. Le groupe « Libération du Travail » fournit un effort considérable pour diffuser le marxisme en Russie. Il traduisit en langue russe plusieurs ouvrages de Marx et d’Engels : le Manifeste du Parti communiste, Travail salarié et capital, Socialisme utopique et socialisme scientifique, etc., et il les fit imprimer à l’étranger pour les diffuser secrètement en Russie. G. Plékhanov, Zassoulitch, Axelrod et les autres membres du groupe ont également écrit une série d’ouvrages où ils exposaient la doctrine de Marx et d’Engels, les idées du socialisme scientifique.
chap. 1, § 2, p. 11. Marx et Engels, les grands éducateurs du prolétariat, ont été les premiers à expliquer, à l’opposé des socialistes utopistes, que le socialisme n’était pas une invention de rêveurs (d’utopistes), mais le résultat inévitable du développement de la société capitaliste p. 12moderne. Ils ont montré que le régime capitaliste s’effondrerait de même que s’était effondré le régime du servage ; que le capitalisme créait lui-même son fossoyeur en la personne du prolétariat. Ils ont montré que seule la lutte de classe du prolétariat, seule la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie affranchirait l’humanité du capitalisme, de l’exploitation.
chap. 1, § 2, p. 12. Marx et Engels enseignaient au prolétariat à prendre conscience de ses forces, de ses intérêts de classe et à s’unir pour une lutte décisive contre la bourgeoisie. Marx et Engels ont découvert les lois du développement de la société capitaliste et ont démontré scientifiquement que le développement de la société capitaliste et la lutte de classes au sein de cette société devaient inévitablement entraîner la chute du capitalisme, la victoire du prolétariat, la dictature du prolétariat.
chap. 1, § 2, p. 12. Marx et Engels enseignaient qu’il est impossible de s’affranchir du pouvoir du capital et de transformer la propriété capitaliste en propriété sociale par la voie pacifique; que la classe ouvrière ne peut y parvenir qu’en usant de la violence révolutionnaire contre la bourgeoisie, par la révolution prolétarienne, en établissant sa domination politique, la dictature du prolétariat, qui doit écraser la résistance des exploiteurs et créer une société nouvelle, la société communiste sans classes.
chap. 1, § 2, p. 12. Marx et Engels enseignaient que le prolétariat industriel est la classe la plus révolutionnaire et, par conséquent, la classe la plus avancée de la société capitaliste ; que seule une classe comme le prolétariat peut rallier autour d’elle toutes les forces qui sont mécontentes du capitalisme et les mener à l’assaut du capitalisme. Mais pour vaincre le vieux monde et créer une société nouvelle, sans classes, le prolétariat doit avoir son propre parti ouvrier, que Marx et Engels appelaient parti communiste.
chap. 1, § 2, p. 12. Diffuser les idées de Marx et d’Engels, c’est ce qu’entreprit le premier groupe marxiste russe, le groupe de Plékhanov « Libération du Travail ».
chap. 1, § 2, p. 12. Quand le groupe « Libération du Travail » engagea la lutte pour le marxisme dans la presse russe de l’étranger, le mouvement social-démocrate n’existait pas encore en Russie. Ce qui était nécessaire avant tout, c’était de frayer la voie à ce mouvement dans le domaine théorique, dans le domaine idéologique. Et le principal obstacle idéologique à la propagation du marxisme et du mouvement social-démocrate était représenté, à l’époque, par les conceptions populistes, qui prédominaient parmi les ouvriers avancés et les intellectuels d’esprit révolutionnaire.
p. 13chap. 1, § 2, p. 13. Avec le développement du capitalisme en Russie, la classe ouvrière devenait une force d’avant-garde imposante, capable d’une lutte révolutionnaire organisée. Or les populistes ne comprenaient pas le rôle d’avant-garde de la classe ouvrière. Les populistes russes considéraient à tort que la principale force révolutionnaire était non pas la classe ouvrière, mais la paysannerie ; que l’on pouvait renverser le pouvoir du tsar et des propriétaires fonciers par les seules « révoltes » paysannes. Les populistes ne connaissaient pas la classe ouvrière ; ils ne comprenaient pas que sans être alliés à la classe ouvrière et sans être dirigés par elle, les paysans ne pourraient pas à eux seuls vaincre le tsarisme et les propriétaires fonciers. Les populistes ne comprenaient pas que la classe ouvrière était la classe la plus révolutionnaire et la plus avancée de la société.
chap. 1, § 2, p. 13. Ils avaient d’abord essayé d’entraîner les paysans à la lutte contre le gouvernement tsariste. Dans ce but, la jeunesse intellectuelle révolutionnaire, revêtue de l’habit paysan, s’en était allée dans les campagnes, « au peuple » comme on disait alors. D’où le nom de « populistes ». Mais ils ne furent pas suivis par les paysans, que du reste ils ne connaissaient ni ne comprenaient comme il faut. La plupart des populistes furent arrêtés par la police. Les populistes résolurent alors de poursuivre la lutte contre l’autocratie tsariste par leurs seules forces, sans le peuple » ce qui aboutit à des fautes encore plus graves.
chap. 1, § 2, p. 13. La société secrète populiste Narodnaia Volia [Volonté du peuple] prépara la mise à mort du tsar. Le 1er mars 1881, les narodovoltsy tuèrent d’une bombe le tsar Alexandre II. Mais cet acte ne fut d’aucune utilité pour le peuple. On ne pouvait, par l’exécution de personnes isolées, renverser l’autocratie tsariste ni anéantir la classe des propriétaires fonciers. La place du tsar fut prise par un autre, Alexandre III, sous lequel la vie des ouvriers et des paysans devint encore plus dure.
chap. 1, § 2, p. 13. La voie choisie par les populistes pour lutter contre le tsarisme, celle des attentats isolés, de la terreur individuelle, était fausse et nuisible à la révolution. La politique de terreur individuelle s’inspirait de la fausse théorie populiste des « héros » actifs et de la « foule » passive, qui attend les exploits de ces « héros ». Cette fausse théorie prétendait que seules les individualités d’élite font l’histoire, tandis que la masse, le peuple, la classe, « la foule », comme s’exprimaient dédaigneusement les écrivains populistes, est incapable d’actions conscientes, organisées ; qu’elle ne peut que suivre aveuglément les « héros ». C’est pourquoi les populistes p. 14avaient renoncé à l’action révolutionnaire de masse au sein de la paysannerie et de la classe ouvrière et étaient passés à la terreur individuelle. Les populistes amenèrent un des plus grands révolutionnaires de l’époque, Stépan Khaltourine, à abandonner le travail d’organisation d’une Union ouvrière révolutionnaire pour se consacrer entièrement au terrorisme.
chap. 1, § 2, p. 14. Les populistes détournaient l’attention des travailleurs de lu lutte contre la classe des oppresseurs), en exécutant — sans profit pour la révolution — des représentants isolés de cette classe. Ils entravaient le développement de l’initiative révolutionnaire et de l’activité de la classe ouvrière et de la paysannerie.
chap. 1, § 2, p. 14. Les populistes empêchaient la classe ouvrière de comprendre le rôle dirigeant qu’elle devait jouer dans la révolution et freinaient la création d’un parti indépendant pour la classe ouvrière.
chap. 1, § 2, p. 14. Bien que l’organisation secrète des populistes eût été détruite par le gouvernement tsariste, les conceptions populistes se maintinrent longtemps encore parmi les intellectuels d’esprit révolutionnaire. Ce qui restait de populistes résistait opiniâtrement à la diffusion du marxisme en Russie, empêchaient la classe ouvrière de s’organiser.
chap. 1, § 2, p. 14. Aussi le marxisme ne put-il croître et se fortifier en Russie qu’en luttant contre le populisme.
chap. 1, § 2, p. 14. C’est le groupe « Libération du Travail » qui engagea la lutte contre les conceptions erronées des populistes ; il montra tout le tort que leur doctrine et leurs procédés de lutte causaient au mouvement ouvrier.
chap. 1, § 2, p. 14. Dans ses écrits contre les populistes, Plékhanov a montré que leurs conceptions n’avaient rien de commun avec le socialisme scientifique, malgré le titre de socialistes qu’ils se donnaient.
chap. 1, § 2, p. 14. Plékhanov fut le premier à faire la critique marxiste des idées erronées des populistes. Portant à leurs conceptions des coups qui frappaient juste, Plékhanov développa en même temps une brillante défense des conceptions marxistes.
chap. 1, § 2, p. 14. Quelles étaient ces erreurs principales des populistes, auxquelles Plékhanov porta un rude coup ?
chap. 1, § 2, p. 14. Tout d’abord, les populistes affirmaient que le capitalisme était en Ruissie un phénomène « accidentel », qu’il ne se développerait pas et que, partant, le prolétariat lui non plus ne grandirait ni ne se développerait dans ce pays.
chap. 1, § 2, p. 14. En second lieu, les populistes ne regardaient pas la classe ouvrière comme la classe d’avant-garde dans la révolution. Ils rêvaient d’atteindre au socialisme sans le prolétariat. Pour eux, p. 15la principale force révolutionnaire était la paysannerie dirigée par les intellectuels et la communauté paysanne qu’ils regardaient comme l’embryon et la base du socialisme.
chap. 1, § 2, p. 15. Troisièmement, les populistes soutenaient un point de vue erroné et nuisible sur la marche de l’histoire humaine. Ils ne connaissaient pas, ne comprenaient pas les lois du développement économique et politique de la société. C’étaient sous ce rapport des hommes tout à fait arriérés. D’après eux, ce n’étaient pas les classes ni la lutte des classes qui faisaient l’histoire, mais uniquement des individualités d’élite, des « héros », que suivent aveuglément la niasse, la « foule », le peuple, les classes.
chap. 1, § 2, p. 15. En luttant contre les populistes et en les démasquant, Plékhanov a écrit une série d’ouvrages marxistes qui ont servi à l’instruction et à l’éducation des marxistes de Russie. Des ouvrages de Plékhanov comme Le Socialisme et la lutte politique, Nos divergences, Essai sur le développement de la conception moniste de l’histoire, ont déblayé le terrain pour le triomphe du marxisme en Russie.
chap. 1, § 2, p. 15. Plékhanov a donné là l’exposé des questions fondamentales du marxisme. Son Essai sur le développement de la conception moniste de l’histoire, édité en 1895, joua un rôle particulièrement important. Lénine a dit de cet ouvrage qu’il « a fait l’éducation de toute une génération de marxistes russes ». (Lénine, Œuvres, t. XIV, p. 347, éd. russe.)
Dans ses écrits dirigés contre les populistes, Plékhanov a démontré qu’il était absurde de poser la question comme ils le faisaient : le capitalisme doit-il ou ne doit-il pas se développer en Russie ? La vérité est, disait Plékhanov en citant des faits à l’appui, que la Russie est déjà entrée dans la voie du développement capitaliste et qu’il n’est point de force qui puisse l’en faire dévier.
La tâche des révolutionnaires n’était pas de freiner le développement du capitalisme en Russie — au reste ils n’auraient quand même pas pu le faire ! La tâche des révolutionnaires consistait à s’appuyer sur l’imposante force révolutionnaire qu’engendre le capitalisme en développement, sur la classe ouvrière ; à développer en elle la conscience de classe, à l’organiser, à l’aider dans la création de son propre parti ouvrier.
Plékhanov réfuta la seconde conception essentielle, non moins erronée, des populistes : la négation du rôle d’avant-garde du prolétariat dans la lutte révolutionnaire. Les populistes considéraient l’apparition du prolétariat en Russie comme un « malheur historique » en son genre ; ils parlaient dans leurs écrits de la p. 16« plaie du prolétarisme ». Plékhanov, défendant la doctrine marxiste et sa parfaite convenance à la Russie, démontrait que malgré la supériorité numérique de la paysannerie et bien que le prolétariat fût relativement peu nombreux, c’était justement sur le prolétariat, sur son accroissement que les révolutionnaires devaient fonder leur principal espoir.
Pourquoi précisément sur le prolétariat ?
Parce que le prolétariat, malgré sa faiblesse numérique actuelle, est la classe laborieuse liée à la forme la plus avancée de l’économie, à la grande production, et parce qu’il a, de ce fait, un grand avenir.
Parce que le prolétariat, en tant que classe, grandit d’année en année, se développe politiquement, se prête facilement à l’organisation par suite des conditions de travail dans la grande production et qu’il est éminemment révolutionnaire en raison même de sa condition prolétarienne, puisque dans la révolution il n’a rien à perdre, que ses chaînes.
Il en va autrement de la paysannerie.
Cette paysannerie (formée comme elle était alors de paysans individuels. — N. de la Réd.), malgré sa force numérique, est la classe laborieuse liée à la forme la plus arriérée de l’économie, à la petite production, et, de ce fait, elle n’a ni ne peut avoir un grand avenir.
La paysannerie non seulement ne grandit pas en tant que classe, mais au contraire, elle se décompose d’année en année en bourgeoisie (koulaks) et en paysannerie pauvre (prolétaires, semi-prolétaires). De plus, les paysans se prêtent plus difficilement à l’organisation par suite de leur dispersion et, en raison de leur situation de petits propriétaires, ils rejoignent moins volontiers que le prolétariat le mouvement révolutionnaire.
Les populistes prétendaient que le socialisme viendrait en Russie non par la dictature du prolétariat, mais par la communauté paysanne : c’était elle qu’ils considéraient comme l’embryon et la base du socialisme. Mais cette communauté n’était et ne pouvait être ni la base ni l’embryon du socialisme, puisque dans la communauté dominaient les koulaks, vrais vampires exploitant les paysans pauvres, les ouvriers agricoles et les petits paysans. La possession communale de la terre qui existait officiellement et la redistribution de la terre à laquelle on procédait de temps à autre suivant le nombre de bouches ne changeaient rien à la situation. Jouissaient de la terre ceux des membres de la communauté qui possédaient des bêtes de travail, du matériel agricole, des semences, p. 17c’est-à-dire les paysans aisés et les koulaks. Les paysans sans cheval, les pauvres et, d’une façon générale, les petits paysans se voyaient obligés de livrer leur terre aux koulaks et d’aller se louer, de se faire journaliers. La communauté paysanne était, en réalité, une forme commode pour masquer l’emprise des koulaks et, dans les mains du tsarisme, un moyen peu coûteux de contraindre les paysans à payer les impôts d’après la règle de la caution solidaire. C’est bien pourquoi le tsarisme ne touchait pas à la communauté paysanne. Aussi eût-il été ridicule de considérer cette communauté comme l’embryon ou la base du socialisme.
Plékhanov réfuta la troisième conception essentielle, non moins erronée, des populistes sur le rôle primordial, dans le développement social, des « héros », des individualités d’élite, de leurs idées et sur le rôle infime de la masse, de la « foule », du peuple, des classes. Plékhanov accusait les populistes d’idéalisme, en montrant que la vérité n’était pas du côté de l’idéalisme, mais du côté du matérialisme de Marx et d’Engels.
Plékhanov développa et justifia le point de vue du matérialisme marxiste. En s’inspirant de cette doctrine, il démontra que le développement de la société n’est pas en fin de compte déterminé par les souhaits ou les idées des individualités d’élite, mais par le développement des conditions matérielles d’existence de la société, par le changement dans le mode de production des biens matériels nécessaires à l’existence de la société, par le changement des rapports entre les classes dans le domaine de la production des biens matériels, par la lutte des classes pour le rôle et la place à tenir dans le domaine de la production et de la répartition des biens matériels. Ce ne sont pas les idées qui déterminent la situation économique et sociale des hommes, c’est la situation économique et sociale des hommes qui détermine leurs idées. Des individualités d’élite peuvent être réduites à rien, si leurs idées et leurs souhaits vont à l’encontre du développement économique de la société, à l’encontre des nécessités de la classe d’avant-garde ; au contraire, des hommes d’élite peuvent véritablement devenir des personnalités marquantes, si leurs idées et leurs souhaits traduisent exactement les nécessités du développement économique de la société, les nécessités de la classe avancée.
Aux populistes affirmant que la masse est une foule, que seuls les héros font l’histoire et transforment la foule en peuple, les marxistes répondaient : Ce ne sont pas les héros qui font l’histoire, c’est l’histoire qui fait les héros ; par conséquent, ce ne sont pas les héros qui créent le peuple, c’est le peuple qui crée les héros p. 18et fait progresser l’histoire. Les héros, les individualités d’élite, ne peuvent jouer un rôle sérieux dans la vie de la société que dans la mesure où ils savent comprendre correctement les conditions de développement de la société, comprendre comment il faut les améliorer. Les héros, les individualités d’élite, peuvent se trouver dans la situation d’hommes ratés, ridicules et inutiles, s’ils ne savent pas comprendre correctement les conditions de développement de la société et se ruent contre les nécessités historiques de la société, en s’imaginant qu’ils sont les « faiseurs » de l’histoire.
C’est précisément à cette catégorie de ratés de l’héroïsme qu’appartenaient les populistes.
Les écrits de Plékhanov, sa lutte contre les populistes compromirent sérieusement l’influence des populistes parmi les intellectuels révolutionnaires. Mais la déroute idéologique du populisme était loin d’être achevée. Cette tâche — achever le populisme en tant qu ennemi du marxisme — était réservée à Lénine.
La majorité des populistes, peu après l’écrasement du parti Narodnaia Volia, renonça à la lutte révolutionnaire contre le gouvernement tsariste et se mit à prêcher la réconciliation, l’entente avec ce gouvernement. Les populistes des années 80 et 90 devinrent les porte-parole des intérêts des koulaks.
Le groupe « Libération du Travail » rédigea deux projets de programme pour les social-démocrates russes (le premier en 1884 et le second en 1887). C’était là un pas très important dans le sens de la création d’un parti social-démocrate marxiste en Russie.
Mais le groupe « Libération du Travail » avait également commis des erreurs graves. Son premier projet de programme renfermait encore des vestiges de conceptions populistes, il admettait la tactique de la terreur individuelle. En outre, Plékhanov ne se rendait pas compte que, dans le cours de la révolution, le prolétariat pouvait et devait entraîner derrière lui la paysannerie, que c’était seulement en s’alliant à la paysannerie que le prolétariat pourrait remporter la victoire sur le tsarisme. Ensuite, Plékhanov considérait la bourgeoisie libérale comme une force capable de prêter un appui, fût-il précaire, à la révolution ; quant à la paysannerie, il n’en faisait pas état dans certains de ses écrits ; il déclarait par exemple :
En dehors de la bourgeoisie et du prolétariat, nous ne voyons pas d’autres forces sociales sur lesquelles puissent s’appuyer, chez nous, les combinaisons d’opposition ou révolutionnaires.
Ces vues erronées de Plékhanov renfermaient le germe de ses futures conceptions menchéviques.
Ni le groupe « Libération du Travail » ni les cercles marxistes de ce temps n’étaient encore pratiquement liés au mouvement ouvrier. On en était encore à la période où ne faisaient qu’apparaître et s’affirmer en Russie la théorie marxiste, les idées marxistes, les principes du programme de la social-démocratie. Durant la décade 1884-1894, la social-démocratie n’existait que sous la forme de petits groupes et cercles, qui n’étaient pas liés, ou l’étaient très peu, avec le mouvement ouvrier de masse. Tel l’enfant qui n’est pas encore né, mais qui déjà se développe dans le sein maternel, la social-démocratie traversait, comme l’écrivait Lénine, « un processus de développement utérin ».
Le groupe « Libération du Travail », indiquait Lénine, « n’avait fondé que théoriquement la social-démocratie et n’avait fait que le premier pas au-devant du mouvement ouvrier ».
C’est Lénine qui dut résoudre le problème de la fusion du marxisme avec le mouvement ouvrier en Russie, ainsi que le problème du redressement des erreurs commises par le groupe « Libération du Travail ».