Dominique Meeùs
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Sergey Radchenko, Two Suns in the Heavens, 2009

Sergey Radchenko , Two Suns in the Heavens : The Sino-Soviet Struggle for Supremacy, 1962-1967, Stanford University Press , 2009, xx + 315 pages, ISBN : 978-0-8047-5879-6.

Le livre impressionne parce que très documenté. J’ai parfois l’impression que l’auteur se laisse un peu trop aller à des spéculations psychologiques sur les personnages politiques. En particulier, il ne semble pas aimer Mao : « Mao’s boundless ego » (p. 78), « boundless self-regard » (p. 117). Mao se croit un grand marxiste-léniniste, mais il est coupé de la réalité des mortels : « closer to Marx and Lenin than to mortals walking this earth » (p. 11). Il est assoiffé de pouvoir (p. 69) : « Mao worked toward one goal alone: China’s — and his own — power. »

Although many indicators point to the rather cynical conclusion that Mao’s radical ideology was just window dressing for ruthless power struggles at home and abroad, it is important to remember, too, that the parameters of China’s power struggle were inevitably influenced by beliefs and convictions. For instance, it is safe to say that Mao’s determination to make China a great power — a superpower — had nothing to do with his Marxist education. But the means of doing so — Mao’s radical economic agenda — was very much a product of his understanding of collectivism, much perverted, of course, by his personal experiences and cultural dispositions.

P. 68-69.

For Mao, the key was to be recognized as the sole owner of Marxist truth, both inside and outside China. There could not be equality in this matter. There could only be unconditional submission and recognition of the chairman’s genius.

P. 129.

Mao obscured his claims to power with so much revolutionary talk that one has to conclude he actually believed in what he said, that his revolutionary ideas were not simply a smokescreen for raw power ambitions but had a kind of dynamic of their own. But this is not surprising. For Mao, there was only one pure ideological essence — his own ideas. To believe in the revolution was to believe in Mao. To doubt Mao was to betray the revolution.

P. 206.

Il est indéniable que « la Grande révolution culturelle prolétarienne » montre que Mao, à un certain âge du moins, est capable de faire des erreurs et même des erreurs graves. L’histoire semble montrer que Mao jeune était un révolutionnaire authentique, dévoué et intelligent. Rien de ça dans le livre. Bien sûr, le livre ne couvre que 1962-1967, mais l’auteur présente Mao comme s’il était, de naissance, sénile et imbu de lui-même. Aucune concession, même de simple politesse, à la possibilité que Mao ait pu avoir eu aussi certains mérites.

Sur Staline, l’auteur ne fait pas dans la nuance : en allant à Moscou en décembre 1949, Mao n’était pas sûr d’en revenir vivant « given the fate of many foreign — including Chinese — dignitaries who never returned from their visits to the USSR, at best dying under suspicious circumstances in air or sea disasters »1 (p. 3).

Staline a projeté d’assassiner Tito avec une bactérie de la peste, que devait lui inoculer « l’agent Max » (lequel me semble devoir être l’agent secret et historien russe Iosif Grigulevich). Pour savoir si c’est vraiment vrai, il faudrait lire, puis évaluer ce qu’en dit une fondation étasunienne (note 13, p. 252, appelée p. 6).

Le sujet du livre, ce sont les relations entre les partis communistes d’URSS et de Chine dans les années soixante, pas dans les années trente, mais, dans l’introduction, l’auteur nous donne son opinion bien arrêtée sur le fait que, pour Staline, le mouvement révolutionnaire en Chine ne comptait en rien, sauf comme un pion sur l’échiquier géopolitique et dans les luttes entre seigneurs de guerre en Chine (p. 4-5).

Au début des années cinquante, Staline accepte un traité avec la Chine, où il concède beaucoup, mais introduit aussi des dispositions difficiles à avaler pour la Chine, parce que « Stalin could not resist the temptation to secure something in return for his concessions » (p. 8-9). Comme quoi, l’histoire ce sont les faits, mais plus encore la psychologie.

Contre la dénonciation de Staline par Krouchtchev en 1956, Mao défend que chez Staline, le positif l’emporte sur le négatif. Comme chacun sait que Staline, c’est le mal absolu, la position de Mao est totalement incompréhensible. Heureusement, Sergey Radchenko a pour nous une explication : Mao, étant un Staline chinois, craint que la critique de Staline affaiblisse sa propre main-mise sur le pouvoir en Chine (p. 10-11). Même idée p. 137 : ses camarades pourraient le critiquer comme on a critiqué Staline. Des appels de note 26 et 27 (p. 10-11, notes p. 252) nous indiquent que Radchenko n’est pas seul de cet avis, donc c’est vrai. Quand Krouchtchev est déboulonné, Mao se dit que ça pourrait lui arriver aussi (p. 139). Les relations sino-soviétiques sont ainsi dès le départ marquées d’une part par un complexe de supériorité de Mao (p. 11-12) et d’autre part par sa crainte de perdre son pouvoir personnel (p. 139-140).

Même le soutien de la Chine au Vietnam dans la guerre, pour l’auteur, c’est suspect. Mao ne veut pas tant défendre les Vietnamiens que les instrumentaliser (p. 143) : « Mao’s true intention was to let his Vietnamese comrades fight a protracted guerrilla war to exhaust the Americans. »

Bref, c’est un livre d’histoire, mais c’est aussi un livre d’opinion et un livre d’échange d’opinions.

The Soviet historiography of the Sino-Soviet split is vast in quantity, but tells the reader the same story. We learn that Mao Zedong had always professed chauvinist, nationalist — in a word, anti-Soviet — views, and sabotaged relations with Moscow to prepare the ground for a Sino-American rapprochement.

P. 13.

C’est une conception de l’histoire où le plus important, ce ne sont pas tant les faits que le consensus de ceux des historiens qui participent du… même consensus.

Certains se sont penchés sur la réalité et l’importance des différences idéologiques. Mais des universitaires occidentaux pensent plutôt que c’était un prétexte, plutôt que la cause, de l’opposition entre ces deux pays. « But could disagreements over interpretation of Marxism cause such a bitter and lasting conflict ? » (P. 11.) On qualifie de réaliste (p. 16) le paradigme où ce sont le nationalisme et les intérêts nationaux qui sont la cause première. Dans le présent livre, l’auteur adopte le point de vue du « réalisme éclairé ».

By far the most important reason for Soviet efforts to mend fences with China in late 1964—early 1965 was that Khrushchev’s successors essentially lacked foreign policy experience and tended to see foreign relations in simplistic terms of class struggle and class solidarity. In this black-and-white world, it did not make any sense for two communist countries to quarrel!

P. 21.

L’auteur me semble encore plus simpliste : des communistes sont des communistes, ils défendent la même classe, ils sont donc dans le même camp, des divergences ne peuvent avoir de sens. Le manque d’expérience des nouveaux dirigeants soviétiques, c’est qu’ils n’ont pas assimilé le réalisme éclairé de Sergey Radchenko.

Il ne semble pas que l’auteur comprenne ce que révisionnisme veut dire, ni même ce que les Chinois voulaient dire par là. Il ne semble pas même avoir essayé. Il juge sans doute que ça ne présente aucun intérêt pour sa recherche ni pour ses lecteurs. Mais involontairement, par une annexe qu’il publie (ci-dessous, mon dernier alinéa de cette page), il apporte au lecteur un élément de réponse.

Je suis sans doute injustement sarcastique. Au delà de l’opinion, ce livre apporte aussi des faits. Au minimum, la chronologie détaillée des échanges et des rencontres. En plus, il donne à réfléchir.

La crise dans les relations sino-soviétiques dépend évidemment de tout le passé des relations. L’auteur commence en 1962 parce que (p. 19) c’est à partir de là que la crise se déclare vraiment.

À première lecture du livre, l’auteur semble considérer que les deux côtés se réclament du marxisme-léninisme, sans différences claires. Les dirigeants de l’Union soviétique sont des marxistes-léninistes sincères, qui ne peuvent comprendre ce que le côté chinois leur reproche. Même Krouchtchev était marxiste-léniniste, bien qu’impulsif, instable et bien qu’on puisse lui reprocher certains choix. L’accusation de révisionnisme par les Chinois apparaît donc comme assez creuse et on pourrait en garder l’impression qu’ils ne veulent rien entendre pour d’autres raisons, ou que toute la querelle sino-soviétique se réduit à l’obstination de Mao.

Mais un texte donné en annexe, page 235 (4. Excerpts from Record of Conversation, Soviet Ambassador to the PRC, Stepan Chervonenko, and Premier of the PRC State Council, Zhou Enlai, April 13, 1965) donne des renseignements sur au moins un élément concret : la perspective d’un règlement négocié de la guerre du Vietnam. On peut bien sûr terminer une guerre par un règlement négocié, mais on ne peut obtenir d’un agresseur un règlement acceptable que si cet agresseur est pratiquement vaincu. La guerre américaine au Vietnam et ses suites, c’est 1955-1975. En 1965, il n’y avait aucune chance que les État-Unis abandonnent leur détermination de pérenniser la division du Vietnam (contre les accord de Genève de 1954) et de garder un contrôle étroit sur la moitié sud. Les conditions d’un accord n’ont été réalisées qu’en 1972 (accords de Paris, janvier 1973). En proposant dans les années soixante un règlement négocié, les dirigeants soviétiques trahissent clairement le Vietnam et, au-delà, tout idéal communiste.

Notes
1.
Comme dans beaucoup de livres, les notes peuvent être une qualité et un défaut. Sergey Radchenko a 879 notes sur 44 pages (251-295). Il faut dire d’abord que, bien sûr, après un tel travail, il nous apporte dans son livre une information très riche et parfois bien informée. Il faut dire ensuite, que ça ne prouve rien sur la valeur de ce qu’il affirme sur chacun des points. Sa note 1 en est un bon exemple. Elle n’apporte aucun évidence à l’appui de la disparition suspecte de nombreux dignitaires, ni même sur ce que Mao pouvait en penser et pouvait craindre, mais seulement sur le fait qu’un certain Ivan Kovalev, qui avait vu Mao avant son voyage à Moscou de fin 1949, raconte en 1997 que Mao le pensait. Il n’est sans doute pas indispensable ici de se baser sur les faits, puisqu’on n’en attend pas moins de Staline. Idem quant à l’opinion de Staline alors sur le mouvement révolutionnaire en Chine. Idem sans doute quant à beaucoup de notes.