Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
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The Logic of Gender : On the separation of spheres and the process of abjection, Endnotes 3, 2013, ISBN : 978-0-9933699-2-6, https://endnotes.org.uk/issues/3/en/endnotes-the-logic-of-gender.
Avant d’arriver au genre, les auteurs passent méthodiquement en revue un certain nombre d’oppositions.
1. Production/ReproductionIls commencent par citer Marx disant au chapitre 21 du Livre I du Capital que la production sociale, dans une vue d’ensemble, est toujours reproduction : une société se perpétue, elle ne peut cesser de produire et de consommer. Ainsi la reproduction sociale, c’est tout le fonctionnement de la société, dont la production. Les auteurs font la remarque importante que dans le féminisme marxiste, reproduction sociale désigne souvent la seule production de la force de travail.
I. When Marx speaks of labour-power, he claims it is a commodity with a distinctive character, unlike any otherLa marchandise est à la fois valeur d’usage (quelque chose qui peut servir à quelqu’un) qu’on peut compter un volume (nombre de pièces ou litres ou kilos…) et valeur (une certaine quantité de travail social abstrait). La force de travail est certainement une marchandise particulière. Elle a une valeur (la valeur des biens et services intervenant dans sa production) et une valeur d’usage : celle de créer de la valeur lorsque le capitaliste la met en œuvre. Là les auteurs dérapent : comme la force de travail implique un être humain, ils glissent des deux faces de cette marchandise, valeur d’usage et valeur, à une rencontre entre sujet et objet, « an encounter between subject and object ».
This contradiction, the contradiction — far from being specific only to “things”— is fundamentally the very condition of being in the world for a proletarian. From this standpoint, the proletarian confronts the world in which the capitalist mode of production prevails as an accumulation of commodities; the proletarian does this as a commodity — and therefore this confrontation is at once a chance meeting between one commodity and another, and at the same time an encounter between subject and object.
This ontological split exists because labour-power is neither a person nor just a commodity. […] This peculiar “production” is specific enough to deserve extra attention, for, as far as we know, at no time does a labour-power roll off an assembly line.
Mais non, la force de travail est une marchandise (toute particulière qu’elle soit) et n’est en rien une personne (même si c’est la force de travail d’être humains). Le prolétaire n’est pas comme marchandise. Seule sa force de travail est marchandise et ne peut l’être que dans la mesure où lui ne l’est pas, dans la mesure où il est un homme ou une femme libre qui ne vend pas sa personne, mais seulement sa force de travail.
La dernière remarque est juste et les auteurs font remarquer encore que cette marchandise particulière n’est faite (en valeur, en production sociale) que de travail passé (« dead labour »), les biens et services marchands qui interviennent dans sa production. Or la force de travail ne sort pas toute seule du « panier de la ménagère ». Il y faut encore différents gestes et travaux privés, donc en dehors du domaine du travail social et de la valeur.
Certains ont défendu la thèse que ce travail présent de production de force de travail, privé, qui s’ajoute au travail passé, puisqu’il est indispensable à a production de valeur, est producteur de valeur. Les auteurs ne les suivent pas, mais introduisent une autre idée, que la force de travail ne peut acquérir de valeur qu’à la condition qu’existe un monde extérieur à celui de la valeur. Ils suivent en cela plutôt Roswitha Scholz.
II. Therefore, the reproduction of labour-power presupposes the separation of two different spheresLes auteurs attachent une grande importance à cette séparation de deux sphères. (Il est vrai que dans toute société, il reste en dehors de la production sociale des activités qu’on peut considérer comme une autre sphère, mais il est tendancieux d’appeler ça un « présupposé » du capitalisme si ça a existé de tout temps.) Ils tiennent à définir ces sphères en général, indépendamment de la reprodution, et ils les appellent : « (a) the directly market-mediated sphere (DMM); and (b) the indirectly market-mediated sphere (IMM) ». Ces sphères qui nous sont apparues dans la production de force de travail ne sont pas limitées à celle-ci. C’est d’une part le travail social (sous le capitalisme, la sphère marchande, de la valeur) et d’autre part tout ce qui n’est pas dans la première sphère. Je vois que, pour eux, dans l’IMM, il y a aussi les services de l’État et le travail domestique payé avec du revenu privé. Intervient dans la sphère DMM, le temps de travail socialement nécessaire pour lequel ils introduisent le signe SNLT.
Dans la DMM, les relations de production seraient impersonnelles, abstraites, sous la pression du travail socialement nécessaire. Ils confondent d’une part l’allocation des ressources par la loi de la valeur et d’autre part les relations sociales, qui sont tout à fait coercitives. (Le travailleur est libre de contracter, mais ça le met sous l’autorité de son patron.) Ils opposent l’IMM à leur conception idyllique erronée de la DMM. Dans l’IMM, au lieu de domination abstraite du marché, il y a allocation conflictuelle des tâches.
2. Paid/UnpaidIls préfèrent dire salarié et non salarié. Ils appellent fétichisme du salaire, le fait que le travailleur salarié, quand il a fait ses heures, a l’impression d’en avoir terminé avec sa responsabilité sociale pour cette journée. D’où l’illusion que ce qui est payé est le travail et qu’on n’est pas payé en dehors de l’emploi. La distinction de ce qui est salarié ou non ne coïncide pas avec DMM ou IMM. Des activités de l’IMM peuvent être salariées, comme on l’a dit plus haut.
Les activités non salariées qui interviennent dans la production de la force de travail sont coupées du travail social, elle en sont l’autre face, elles sont naturalisées. Cette dissociation est nécessaire à la production de valeur et c’est la sphère du genre.
3. Public/PrivatePour eux, le privé n’est pas seulement ce qui se passe dans le domicile privé. Pour eux, le public, c’est le domaine de l’État seulement, la politique. Le privé, c’est tout le reste, la société civile. L’État garantit la propriété sur sa propre personne, qui conditionne la vente de sa force de travail. Par exemple, du temps de l’esclavage aux États-Unis, l’homme blanc s’opposait à l’homme noir comme citoyen au non-citoyen. Ils soulignent que longtemps, la force de travail des femmes était vendue, mais pas par elles-mêmes. Les femmes se trouvent donc ainsi dans une différence réelle, pas seulement idéale ou idéologique.
Bien que le marché soit aveugle au sexe, les femmes, en tant que membres du groupe de celles qui font des enfants, se présentent sur le marché du travail avec un handicap. Si les employeurs ne discriminaient en rien sur le sexe, mais privilégiaient seulement la meilleure disponibilité, le même biais de sexe réapparaîtrait complètement.
As an apparent contradiction, once sexual difference becomes structurally defined and reproduced, woman as a bearer of labour-power with a higher social cost becomes its opposite: the commodity labour-power with a cheaper price.
C’est encore un bel exemple de phrase qui sonne bien, mais creuse. Ils insinuent quelque chose de systématique dans ce qui n’est que conjoncturel. Le coût social n’est pas nécessairement supporté par le capitaliste et le salaire n’est pas nécessairement inférieur.
4. Sex/GenderIls définissent le genre comme l’ancrage de certaines personnes dans une certaine sphère. Selon eux, suivant Judith Butler, mais pas tout à fait, et le sexe et le genre sont socialement constitués, mais je ne comprends pas ce qu’ils veulent dire. Le sexe serait la face naturalisée du genre, parce qu’il faut que toute chose soit double et que dans ce doublon, c’est le sexe qui apparaît comme plus nature et le genre plus culture. (Plus loin, ils diront dénaturalisation du genre. Mais comme le genre est imposé aux personnes concernées selon leur sexe, il est dit aussi plus loin re-naturalisé.) C’est analogue, disent-ils, au double caractère (valeur d’usage et valeur) de la marchandise.
Following this analogy, sex is the material body, which, as use-value to (exchange) value, attaches itself to gender. The gender fetish is a social relation which acts upon these bodies so that it appears as a natural characteristic of the bodies themselves. While gender is the abstraction of sexual difference from all of its concrete characteristics, that abstraction transforms and determines the body to which it is attached — just as the real abstraction of value transforms the material body of the commodity.
Je suis tenté de penser que l’analgie est ce qui tient lieu de pensée chez ceux qui ne sont pas doués de raison.
5. The History of Gender within Capitalism: from the Creation of the IMM Sphere to the Commodification of Gendered ActivitiesDans l’ère (?) d’accumulation primitive, il fallait que les gens gardent assez de propriété pour assurer d’eux-mêmes la plus grande partie de la production de force de travail, mais pas trop, pour qu’ils soient bien obligés de vendre leur force de travail. Le salaire était donc complété par de l’IMM. Cet IMM était prérequis de la relation salariale. Dans la transition du 18e au 19e, la famille devient l’articulation entre IMM et DMM dans la production de force de travail. Les femmes partageaient alors leur charge avec des femmes plus âgées. Dans la seconde moitié du 19e siècle et au 20e, on passe progressivement à la famille nucléaire. La femme mariée porte seule l’essentiel du poids des activités d’IMM auparavant partagées.
Il y a toujours eu marchandisation d’activités de l’IMM, mais plus dans les années 70. Pour que le salaire puisse payer ça, il faut des gains de productivité. Il reste cependant un résidu irréductible, qui ne peut être marchandisé, et c’est ce qu’ils appellent l’abject.
6. Crisis and Austerity Measures: the Rise of the AbjectL’abject, ce n’est pas seulement ce qu’il est impossible de marchandiser, mais aussi ce qui cesse de l’être à cause de la crise et de mesures d’austérité. L’IMM est purement structurel. L’abject en est la vision dynamique. L’IMM pouvait passer pour naturel. L’abject, parce qu’il a été dénaturalisé un temps, c’est quelque chose qu’on pourrait vouloir abolir. Différents auteurs ont envisagé la perspective d’un plus grand recours à des biens et services marchands. L’abject, c’est quand l’austérité en fait prendre conscience.
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Certaines distinctions sont intéressantes, même si pas toujours justes. Par rapport à tout ce qui est critique, post-moderne et cetera, les auteurs écrivent dans une langue encore plus ou moins lisible. Ils n’emploient qu’une seule fois real subsumption et dans un contexte où ça peut se justifier. (Pas seulement marchandisation, mais marchandisation dans un contexte de gains de productivité.) C’est mieux que ceux qui n’ont qui subsumption à toutes les lignes pour épater la galerie.