Bibliographie générale |
Jacob, M. (2001). Au cœur de la matière: La physique des particules élémentaires. Paris: Éditions Odile Jacob. Added by: Dominique Meeùs (2012-07-27 09:11:00) |
Resource type: Book ID no. (ISBN etc.): ISBN : 978-2-7381-0980-4 BibTeX citation key: Jacob2001 View all bibliographic details |
Categories: Physique Creators: Jacob Publisher: Éditions Odile Jacob (Paris) |
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Notes |
Maurice Jacob, 1933-2007. Attention au dos de la couverture : le numéro 2-7381-1028-2 (avec 1028 au lieu de 0980) appartient à un autre livre chez Odile Jacob ! Added by: Dominique Meeùs Last edited by: Dominique Meeùs |
Quotes |
p.9, Section Au cœur de la matière et à l’échelle du cosmos, Chapter 1. Quarks et chasseurs de quarks
La masse, cette propriété que l’on pensait intrinsèquement associée à un objet et qui résultait de l’addition des masses de ses constituants, une masse que l’on associait à chaque particule avant de considérer les forces auxquelles elles pouvaient être soumises, cette masse devient un effet dynamique des actions auxquelles les constituants fondamentaux sont soumis. Cette nouvelle dynamique qui se trouve à l’origine de la masse a pour conséquence la présence d’au moins une nouvelle particule fondamentale appelée Boson de Higgs. C’est depuis près de vingt ans la particule la plus recherchée par les physiciens. Elle a une masse qui peut être très élevée (plus de cent fois celle du proton) mais que l’on ne sait pas prédire. Added by: Dominique Meeùs Keywords: additivité de la masse boson de Higgs CERN dynamique force masse particule Comments: Le CERN a annoncé le 4 juillet 2012 avoir trouvé une nouvelle particule, avec une masse aux alentours de 125 GeV, qui serait le boson de Higgs ou quelque chose de même importance. Added by: Dominique Meeùs (2012-07-29 20:03:42) |
p.12
Avancer dans ce domaine fascinant exige aujourd’hui une coopération internationale. Il est nécessaire d’utiliser des appareils construits à la limite de ce que permettent les technologies actuelles, pour prolonger encore plus loin la portée de nos sens. La construction des nouveaux grands accélérateurs exige une collaboration à l’échelle d'une région du monde. Concevoir, construire et exploiter chacun des détecteurs installés sur ces accélérateurs demande la collaboration de centaines de physiciens et bientôt de plus d’un millier. Mais que de viviers intensifs, générateurs d’innovations, d’idées nouvelles, d’estime mutuelle et d’amitié, ne trouve-t-on pas dans ces collaborations qui transcendent les frontières ? En étudiant ces particules élémentaires, on apprend aussi à mieux se connaître, à mieux se comprendre et à surmonter des barrières culturelles et politiques encore trop nombreuses entre les hommes. Ces collaborations franches et ouvertes, ce libre échange et cette confrontation d’idées, aucune application commercialisable ne se trouvant directement en vue, sont extrêmement propices à l’éclosion de nouvelles idées et de nouvelles techniques. C’est dans ce contexte qu’est récemment né le World Wide Web, conçu et développé pour les besoins de la physique des particules. Les premiers sites Web étaient tous des laboratoires de physique des hautes énergies. Added by: Dominique Meeùs Keywords: accélérateur application commerciale CERN collaboration internationale coopération internationale expérimentation physique expérimentale Web Word Wide Web |
pp.13-14
Cet ouvrage — et c’est peut-être son originalité parmi d’autres exposés généraux sur la physique des particules — insite aussi sur le fait que ces recherches qui demandent de gros équipements et des collaborations importantes entre scientifiques de nombreux pays, contribuent beaucoup à une meilleure compréhension et à une meilleure appréciation mutuelle entre personnes de formations et de cultures différentes. Cela est bien nécessaire dans la globalisation d’une société humaine où tant de tensions restent à surmonter. Les physiciens ont un énorme avantage. Ils partagent une même passion et parlent un même langage. Ce qu’ils arrivent à faire peut cependant servir d’exemple et parfois même de modèle dans d’autres domaines. Ce livre met l’accent sur la collaboration scientifique Est-Ouest qu’il fut si important de maintenir au cours de la guerre froide, quand beaucoup de bonne volonté et d’idéalisme eurent à surmonter hostilité, méfiance et incompréhension, en bousculant parfois des positions étatiques qui finirent par se détendre. Cette collaboration Est-Ouest reste fondamentale dans la période de transition délicate que nous vivons aujourd’hui et elle mérite d’être mieux appréciée. Mais il n’y a pas que l’Est et l’Ouest. La science est universelle. C’est un lien potentiel magnifique entre les hommes. Chaque fois que cela est possible, il faut utiliser les contacts qu’elle permet d’établir, les amplifier et les étendre. Outre une passion scientifique, exprimée en termes de quark, c’est cette passion humaine planétaire que j’aimerais partager. Added by: Dominique Meeùs Keywords: collaboration internationale compréhension guerre froide paix physique relations Est-Ouest |
p.15, Section Particules minuscules et grandes machines
Retenons pour l’instant que pour voir de très près, il faut frapper très fort avec des projectiles très petits. On accélère pour cela des particules sondes que l’on envoie sur les structures sondées et l’on analyse les effets observés. C’est d’ailleurs ce que nous faisons en voyant les choses. Notre œil analyse la lumière émise par une source lumineuse et renvoyée par les objets éclairés. L’énergie de ces grains de lumière est cependant bien faible (la longueur d’onde est de l’ordre d’un demi-micron) et même à l’aide d’un microscope, la résolution que l’on peut obtenir n’est que de cet ordre. On n’atteint pas la taille d’un virus qui est dix fois plus petite. Grâce aux accélérateurs, on peut communiquer des énergies énormes à ces grains de matière que sont les particules et qui se comportent aussi comme des ondes. On peut ainsi découvrir, analyser et comprendre la structure de la matière à une échelle de plus en plus fine. On approche aujourd’hui du dixième de milliardième de milliardième de mètre (10 exp − 9) alors que l’atome mesure un dixième de milliardième de mètre (10 exp − 10). On comprend aujourd’hui ce qui se passe à un niveau un milliard de fois plus petit que les dimensions de l’atome. Mais il faut pour cela des accélérateurs dont les dimensions se mesurent en kilomètres. Le plus grand du monde, le LEP du CERN, le Laboratoire européen de physique des particules, à Genève, a la forme d’un anneau de 27 km de circonférence. Pourquoi de si gros appareils pour étudier des objets si petits ? Encore une fois, il faut frapper très fort pour voir de très près et on ne peut le faire qu’avec de très gros appareils, seuls capables d’accélérer des particules de taille infime à des énergies suffisamment élevées. La physique des particules est devenue synonyme de physique des hautes énergies. Comprendre la structure de la matière, c’est donc comprendre ce qui se passe dans ces collisions entre particules de très hautes énergies.
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: accélérateur atome CERN LEP longueur d’onde lumière microscope particule physique des hautes énergies physique des particules projectile structure de la matière virus |
pp.18-19, Section Concept et réalité
Nous prendrons le champ électrique comme premier exemple. Une charge agit à distance sur une autre. C’est un fait. Le champ est un concept inventé pour mieux cerner le phénomène et rendre compte de cette action à distance qui peut sembler surprenante. Une charge crée un champ (électrique) qui s’étale dans tout l’espace. Le champ est en l’occurrence un vecteur défini par sa valeur en chaque point. La force qui s’exerce sur une particule chargée est égale à la valeur du champ multipliée par la charge. On peut donc facilement mesurer la valeur à attribuer au champ mais l’intensité et l’orientation du champ n’ont pas à être mesurées partout car une équation nous les donne en fonction de la valeur et de l’emplacement des charges. L’action à distance se traduit par un champ établi dans tout l’espace. Ce concept de champ s’avère si bien adapté au monde réel que l’étude de l’électricité, avec toute la valeur prédictive des propriétés trouvées, se ramène pratiquement à la compréhension des propriétés du champ électrique. C’est sur cette base que se fonde tout l’électromagnétisme, en particulier les relations entre les variations corrélées dans l’espace et dans le temps des champs électrique et magnétique et c’est dans ce cadre que furent prédites puis découvertes les ondes radio. Et cependant, même à la fin du 19e siècle, raisonner en termes de champs était une nouvelle façon de penser. On pouvait se demander si ces champs électrique et magnétique étaient vraiment réels, comme une particule chargée semblait manifestement l’être, ou s’ils n’étaient qu’un artifice de calcul, un concept utile mais sans réalité tangible. Cette réalité ne s’appliquait-elle pas seulement aux particules qui créaient le champ ou réagissaient à sa présence ? Le champ était-il plus qu’une commodité de calcul pour traduire une action à distance qui choquait l’intuition ? On a appris depuis que le champ électrique est tout aussi réel que la particule et, qui plus est, on a été amené à décrire les particules en termes de champs. En physique quantique et relativiste, il n’y a que des « grains de champ » dont certains sont ces « grains de matière » que nous appelons « quarks » et « leptons ». Les particules sont les excitations de ces champs quantiques, un peu comme les sons émis par une corde vibrante. Voilà un concept qui a eu une belle carrière. On ne saurait aujourd’hui parler de physique sans parler de champ !
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: action à distance électromagnétisme champ champ électrique champ magnétique charge particule |
pp.19-20
À ce niveau d’exploration de la structure de la matière, comme aussi dans cette recherche archéologique du début de l’Univers, il faut savoir penser en termes quantiques et relativistes. La physique prend ainsi un caractère beaucoup plus précis mais en heurtant souvent l’expérience familière. La relativité et la mécanique quantique ont été les deux grandes révolutions scientifiques du 20e siècle. Ce nouveau cadre de pensée a permis de grandes percées dans notre connaissance du monde. Nous comprenons beaucoup mieux comment il fonctionne et nous en avons tiré un grand nombre d’applications. C’est cependant une source de modestie plus que d’orgueil, car nous avons dû découvrir et accepter de nouvelles façons de penser, le monde étant beaucoup plus riche et subtil que notre imagination. Pour parler des particules, nous évoquerons ce monde quantique et relativiste. Il ne s’agit pas d’un monde propre aux particules que l’on peut être tenté d’ignorer dans la vie courante. Sans mécanique quantique, il n’y aurait ni transistors ni lasers et l’on ne pourrait pas comprendre comment l’atome, avec la structure qu’on lui connaît et qui est à la source de l’émission et de l’absorption de la lumière, peut simplement exister. La relativité, qui assigne à la vitesse de la lumière le rôle de vitesse limite, est de ce fait déjà bien présente dans de nombreux systèmes. Les accélérateurs fonctionnent conformément à ses principes et sont tous autant de preuves de sa validité, même s’il faut admettre que les valeurs mesurées pour les intervalles de temps et d’espace ne sont pas absolues, comme on le pensait, mais dépendent des vitesses relatives. Ce sont les lois de la physique qui ne dépendent pas de ces vitesses ! Elles sont universelles.
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: relativité mécanique quantique révolution scientifique particule transistor laser atome vitesse de la lumière accélérateur |
pp.23-25, Section Infimes particules et grandes collaborations ; science et finance
Ces recherches, qui nous entraînent bien au-delà du pouvoir de perception et de résolution de nos sens, demandent de gros moyens et donc beaucoup d’argent. Il faut de grands accélérateurs pour atteindre de hautes énergies par particule et leurs dimensions se mesurent en kilomètres. Il faut de grands détecteurs pour analyser ce qui se passe au cours de ces collisions de haute énergie et ils sont parfois aussi imposants que des immeubles de plusieurs étages. Il faut de gros moyens de calcul pour trier et traiter l’information rassemblée par ces détecteurs. Tout cela coûte cher. Notre connaissance du monde est liée au pouvoir de nos instruments d’observation. Galilée l’a montré il y a bien longtemps déjà en braquant sur le ciel une lunette dont il avait testé la fiabilité sur terre. Il a pu montrer ainsi qu’il n’y avait pas une physique terrestre et une physique céleste mais bien une seule et même physique. C’était une révolution pour l’époque. Sans accélérateur comment aurait-on pu mettre au jour le monde des quarks, ces « briques » élémentaires du monde, et comprendre leur dynamique ? Travailler à la limite de la connaissance demande souvent de travailler à la limite de la technologie. C’est une bonne chose pour quiconque est soucieux de science « utile », aux retombées commercialisables à relativement court terme. La curiosité des chercheurs et leur désir d’aboutir est à l’origine de technologies nouvelles. Ce n’est pourtant pas ce qui motive les scientifiques poussés avant tout par une curiosité naturelle. Néanmoins des retombées existent. Il est impossible de décrire le monde actuel sans parler de tout ce qu’ont apporté la compréhension de l’électricité et celle de la physique quantique. Mais voilà ! Répondre à cette curiosité coûte cher dans un monde où les priorités sont pressantes et multiples. Les retombées bénéfiques ne sont pas évidentes. Il est toujours bon de se sentir utile mais les meilleures applications sont le plus souvent imprévisibles et c’est là le grand problème. L’invention du World Wide Web n’est pas advenue pour créer un moyen d’information et de communication à l’échelle du monde accessible à tous, ce qu’il est vite devenu. Il s’agissait au départ de répondre plus modestement mais très efficacement aux besoins des physiciens des particules qui devaient rassembler et exploiter facilement l’information scientifique distribuée entre de nombreux ordinateurs différents à travers le monde. Il est difficile de faire comprendre que les inventions les plus spectaculaires ne sont le plus souvent pas planifiées ni planifiables. On peut même exprimer cela par une boutade en disant que ce n’est pas en perfectionnant les chandelles qu’on a découvert l’électricité, pour laquelle Benjamin Franklin ne voyait d’ailleurs pas d’applications évidentes, si ce n’est « de rendre l’homme plus humble devant les prodiges de la nature ». Pour le chercheur, il s’agit de découvrir et de comprendre et il lui faut, à cette fin, garder l’esprit le plus ouvert possible. Il ne s’agit pas de choisir ce qui doit être découvert pour aller le mettre à jour. Cela arrive mais rarement. Cet autre point de vue anime cependant les partisans d’une recherche appliquée, souvent qualifiée de « stratégique », bien en vogue aujourd’hui. La recherche dite « fondamentale » se trouve du coup jugée moins utile par rapport à une recherche appliquée plus apte à répondre aux besoins actuels du monde. À quoi peuvent servir les quarks ? Nul ne le sait. On ne dit certes pas : « Ce que vous faites n’est pas intéressant », mais on demande souvent : « Pourquoi vouloir aller si vite ? Qu’est-ce qui presse tant ? Ne pourriez-vous pas travailler avec des budgets annuels moins élevés ? » Comment mieux faire comprendre que la recherche doit progresser à un certain rythme pour continuer à attirer des jeunes ? Il faut reconnaître des limitations légitimes. Les quarks et le Big Bang sont loin des préoccupations de beaucoup de gens alors qu’on peut facilement identifier de nombreux besoins pressants pour l’humanité. Mais aussi, toute recherche scientifique, même motivée uniquement par la curiosité, le désir de connaissance, participe à une grande avancée propre à notre civilisation. Au cours de la guerre froide, les gouvernements pouvaient penser (espérer ou redouter selon le cas) que ces recherches, même désintéressées mais conduites à la limite du savoir, ne débouchent soudainement sur de nouvelles sources d’énergie ou sur des applications militaires. Ils acceptaient les dépenses nécessaires sans trop de difficultés dans le cadre d’une compétition Est-Ouest où tous les points marqués, même scientifiques ou techniques, étaient comptés. Quel financement de la recherche le vol du Spoutnik en 1957 n’a-t-il pas déclenché à l’Ouest ! Mais que de privations à l’Est pour ce magnifique succès ! Aujourd’hui, quand on peut se réjouir de la fin de la Guerre froide, les gouvernements demandent de plus en plus le soutien de l’opinion publique pour justifier les dépenses de recherche fondamentale. Les scientifiques sont poussés à le susciter en faisant comprendre et partager l’intérêt de ce qu’ils font. Il faut plaider pour le financement de ces recherches mais il faut aussi optimiser les ressources disponibles, ce qui implique coopération et collaboration sur une large échelle. Ce discours sur le besoin de populariser la science est bien connu et j’espère que ce livre contribuera à faire partager au moins l’enthousiasme pour le pas suivant en physique des particules : la découverte et la compréhension de la physique au-delà de 10 TeV (10 000 GeV), des énergies de choc entre quarks dépassant largement 1 TeV, une exploration de la structure de la matière au-delà de 10 exp − 19 m, la physique à 10 exp − 12 s du Big Bang… Je voudrais aussi témoigner du bénéfice, non chiffrable et pourtant considérable, que la grande collaboration internationale motivée et animée par ces recherches a apporté et continue d’apporter au monde. La physique des particules est devenue aujourd’hui une grande aventure mondiale. Dans la mesure où il s’agit d’une recherche motivée par une curiosité atavique, sans applications rapides, escomptées ou prévisibles, cette libre collaboration est possible. C’est un lien formidable entre les hommes, à renforcer et à étendre. Ce besoin de coopération est venu bien avant les limitations des budgets actuels. Added by: Dominique Meeùs |
pp.25-26, Section La collaboration internationale
Cette collaboration internationale intense est née dans l’Europe d’après-guerre. Le complexe d’infériorité vis-à-vis de l’Amérique issu de la Seconde Guerre mondiale se devait d’être surmonté. Il fallait même éviter une « fuite des cerveaux » tentés par les bien meilleures conditions de travail offertes alors aux États-Unis. L’Europe se devait de jouer un rôle dans l’exploration et l’étude de la structure intime de la matière que les applications de la physique nucléaire rendaient particulièrement sensibles à l’époque. Ce n’était à la portée d’aucun pays d’Europe mais ils pouvaient espérer faire ensemble ce qu’aucun d’eux ne pouvait faire séparément. C’est ainsi qu’est né le CERN. Il tire son nom du conseil qui lui a donné naissance, le « Conseil européen pour la recherche nucléaire », et il est devenu le « Laboratoire européen de physique des particules ». Après quelques essais infructueux, le départ fut pris en 1950. Le Conseil fut créé en 1952 et l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, avec son laboratoire à Genève, prit forme en 1954. Ce fut le premier exemple de collaboration internationale en recherche fondamentale. Le pari des pères fondateurs de faire ensemble aussi bien et peut-être mieux que les États-Unis, fut tenu dès les années 1980. Il y a aujourd’hui plus de physiciens américains travaillant au CERN que de physiciens des particules européens travaillant sur les grandes installations américaines. Nous raconterons cette histoire dans le chapitre 12 pour montrer comment cette organisation, groupant au départ la plupart des pays d’Europe occidentale, a pu s’engager dans des collaborations de recherche avec l’Union soviétique qui ont permis de maintenir des contacts et de développer une certaine compréhension mutuelle au cours des longues années de guerre froide. Un bon mélange de compétition et de collaboration avec les États-Unis s’est constamment maintenu. Des physiciens de nombreux pays ont appris à travailler ensemble, à partager ou à respecter d’autres points de vue. Ce travail en commun de gens rationnels et motivés, sachant qu’en termes de science c’est l’expérience et la logique, et non pas l’idéologie et le goût, qui tranchent, a fortement contribué à créer un climat de confiance réciproque. Le futur grand accélérateur du CERN, le LHC, qui est en construction aujourd’hui pour être achevé dans cinq ans, sera le plus grand accélérateur de son genre dans le monde. Il accélérera des protons jusqu’à 7 000 GeV (7 TeV), circulant en sens opposés dans deux anneaux côte à côte situés dans le tunnel qui a abrité le LEP. Dans quatre zones où seront installés les détecteurs, les protons seront amenés en collision frontale à 14 TeV. Cet outil sera exploité par plusieurs milliers de physiciens venant de très nombreux pays. Le rôle de contact, de rencontre et de collaboration de cette physique est un facteur certes modeste mais extrêmement tangible de compréhension mutuelle et donc de stabilité dans le monde. Les quarks lient les hommes entre eux ! Cet aspect de la recherche est particulièrement précieux et les chapitres 12 et 13 lui seront consacrés. Comme membre du CERN pendant plus de trente ans, comme président de la Société européenne de physique au moment critique du dégel au début des années 1990, j’ai eu le privilège de vivre le développement de cette collaboration sans cesse plus poussée à l’échelle du monde. Ce fut une expérience formidable que je voudrais partager ici. Il n’est pas nécessaire de comprendre pour cela ce que sont les quarks. Mais, sans quark, sans la motivation partagée de la physique, il n’y aurait rien de cette grande coopération planétaire. Added by: Dominique Meeùs |
pp.26-28, Section Quelques mots sur le CERN
Le terme « nucléaire » qui apparaît dans le nom du CERN peut être trompeur. Il ne s’agit de recherches ni sur les réacteurs nucléaires ni sur les bombes nucléaires, qualifiés d’ailleurs souvent, et à tort, d’ « atomiques ». Quand le CERN naît, au début des années 1950, les constituants du noyau atomique, les protons et les neutrons, sont encore parmi les éléments ultimes de la matière. Mieux les explorer et les comprendre est naturellement couvert par le terme « nucléaire ». Il est resté alors que l’on plongeait profondément dans ces particules pour y découvrir les quarks et, avec eux, bien d’autres choses encore. Le CERN était aussi une organisation internationale et il était hors de question d’y conduire des recherches qui puissent intéresser des applications stratégiques pour l’époque. Le but des recherches était donc strictement fondamental. Il s’agissait d’explorer la structure de la matière pour mieux comprendre comment le monde est fait. Il est remarquable qu’un effort important et intergouvernemental de cette ampleur ait pu être ainsi réalisé. C’est cet esprit qui persiste aujourd’hui dans une collaboration qui a dépassé les limites de l’Europe occidentale pour devenir mondiale. Les moyens techniques mis en œuvre sont importants. Le budget annuel du CERN est élevé, de l’ordre de 600 millions d’euros. Mais ses installations sont utilisées par près de 7 000 scientifiques. On a pu dire que la physique des particules ne répond qu’à la curiosité humaine, ce qui est vrai, mais coûte très cher, ce qui peut être gênant quand on est soucieux de priorités immédiates. Cette dernière assertion est moins vraie. Le budget du CERN est comparable à celui d’une grande université ou d’un grand hôpital en Europe, or il n’y a qu’un seul CERN. À un facteur deux près au plus, le coût de la recherche par physicien est le même, quel que soit le domaine. En physique des particules, la coopération est plus dense. Elle implique quelques très gros laboratoires aux budgets particulièrement élevés et donne ainsi l’impression d’être plus coûteuse. Il faut quand même penser à une utilité à court terme et j’essaye de faire face à cette question épineuse dans le chapitre 14. Mais, assez de généralités, plongeons maintenant dans le monde des quarks pour parler ensuite de ce bel exemple de collaboration entre les hommes ! Ainsi, la physique des particules cherche à trouver les constituants ultimes de la matière et à étudier leurs propriétés. Cette plongée au cœur de la matière a connu de grands succès. Unité et simplicité apparaissent sous la complexité et la diversité du monde. Un petit nombre de constituants fondamentaux permettent de comprendre des structures très complexes. Au niveau de ces constituants, toutes les forces connues procèdent d’un même mode. L’étude de la structure intime de la matière implique l’analyse de collisions entre particules de très grande énergie si bien que la physique des particules s’identifie à la physique des hautes énergies. En comprenant ce qui se produit au cours de ces collisions à haute énergie nous pouvons aussi analyser ce qui s’est passé dans l’Univers, juste après le Big Bang, quand la température et la densité étaient énormes. La physique des particules est devenue une discipline fondamentale pour la cosmologie. Les moyens à mettre en œuvre pour réaliser ces collisions de plus en plus haute énergie demande des collaborations regroupant un grand nombre de physiciens sur une base qui est aujourd’hui largement internationale. Ces collaborations se sont avérées très utiles pour bousculer de nombreuses barrières culturelles ou politiques et elles ont joué un grand rôle pour maintenir un contact précieux pendant la guerre froide. Elles doivent continuer à jouer ce rôle et faciliter contact et compréhension entre les hommes. Cette recherche, motivée avant tout par la curiosité humaine et sans applications commerciales évidentes, a besoin de plus en plus de la sympathie du public pour continuer à reculer les limites de la connaissance. Added by: Dominique Meeùs |
pp.329-331
C’est en effet avec la masse que nos idées préconçues se trouvent peut-être les plus bousculées. Quoi de plus tangible que la masse ? N’est-ce pas a priori une propriété fondamentale d’un objet indépendante des circonstances ? Avec Lavoisier, la masse est une propriété indestructible, que l’on retrouve à travers tous les processus chimiques. Avec Einstein, c’est une forme de l’énergie mais dans la plupart des cas, la conservation de l’énergie entraîne la conservation de la masse. En physique des particules, la masse est une propriété intrinsèque de la particule, un invariant qui sert à la définir. La masse est longtemps apparue comme une propriété fondamentale. N’est-il pas surprenant de la voir maintenant apparaître comme une propriété purement dynamique, liée aux propriétés du vide et à la façon dont elles affectent les particules qui s’y trouvent ? Le modèle standard introduit des particules sans masse et le couplage au champ de Higgs attribue une masse déterminée à chaque particule, toutes ces masses étant proportionnelles à la valeur moyenne de ce champ. On peut dire que la masse de chaque particule est maintenant donnée par une constante de couplage au champ de Higgs, soit autant de paramètres (de nombres purs) qu’il y a de particules. Cela s’applique aux leptons, mais pour les quarks constituant des hadrons, il faut aller plus loin. Les quarks u et d ne vont acquérir ainsi que des masses très faibles (quelques MeV) par rapport à celles des protons et des neutrons qu’ils constituent (de l’ordre du GeV). Or la masse du proton et celle du neutron représentent la masse telle qu’elle apparaît dans la vie courante, la masse des atomes et donc de tous les corps. Comme nous venons de le voir, cette masse hadronique correspond à la masse effective que prennent ces quarks quand ils s’habillent de gluons à l’intérieur d’un hadron. Pratiquement, la totalité de cette masse effective est un effet dynamique. On peut aussi dire qu’elle correspond à l’énergie nécessaire pour créer la bulle que va constituer la particule dans un vide qui préférerait ne pas l’avoir et ne la tolère que parce qu’elle est globalement « neutre » vis-à-vis de la couleur. La création de cette « bulle » demande une énergie de l’ordre du GeV. D’où vient cette valeur de la masse ? Il n’y a pas d’échelle de masse en chromodynamique. Il n’y a qu’une constante de couplage sans dimension. Nous avons vu qu’une échelle de masse (de l’ordre de 150 MeV) apparaît pourtant quand on considère la variation de la constante de couplage effective avec le transfert. Elle est incontournable lorsqu’on veut calculer et pour ce faire renormaliser la théorie. Rappelons-nous l’inversion de l’effet d’écran rencontré au chapitre 2. La masse va dépendre de la structure de la chromodynamique fondée sur la symétrie SU(3) de la couleur. Elle dépend avant tout du fait qu’il y a 8 gluons et 2 quarks à ce niveau d’énergie, encore une fois des nombres purs. Mais il n’y a pas que cela. Un physicien dira que lorsqu’on renormalise une théorie il faut se raccrocher à une valeur expérimentale qu’on ne peut que mesurer et qui, dans le cas de l’interaction forte, peut être choisie comme une distance de l’ordre de 1 fermi (où mesurer la force de l’interaction avec un couplage effectif de l’ordre de 1) ou une énergie de l’ordre de 150 MeV (donnant la variation du couplage effectif avec le transfert). On se raccroche souvent en pratique à la masse du méson rho qui vaut 750 MeV. L’expérience a bien son mot à dire. On ne saurait cependant minimiser la portée de la théorie. Fixant l’échelle de masse sur la valeur d’une masse hadronique, on peut en principe calculer toutes les autres masses ainsi que la température de déconfinement que nous avons rencontrée (voir chapitre 7). Ce n’est aujourd’hui possible qu’au prix de gros calculs numériques sur des ordinateurs qui deviennent de plus en plus puissants (voir chapitre 14). Cette nouvelle conception de la masse est une révolution importante. Ce qui apparaissait comme une propriété intrinsèque et immuable se voit relégué au rang d’effet dynamique dépendant des interactions et, avant tout, de la structure du vide. Added by: Dominique Meeùs Keywords: dynamique additivité de la masse champ de Higgs conservation de la masse conservation de l’énergie Einstein gluon hadron Lavoisier lepton masse modèle standard neutron particule proton quark renormalisation vide |