Bibliographie générale |
Lévy, J.-P. (1997). La fabrique de l’homme. Paris: Éditions Odile Jacob. Added by: Dominique Meeùs (2009-08-15 22:54:35) Last edited by: Dominique Meeùs (2010-01-02 08:12:20) |
Resource type: Book ID no. (ISBN etc.): ISBN:2-7381-0519-X BibTeX citation key: Levy1997a View all bibliographic details |
Categories: Biologie Keywords: biologie, cerveau, esprit, évolution, homme, Homo sapiens Creators: Lévy Publisher: Éditions Odile Jacob (Paris) |
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Abstract |
Table Introduction Première partie : L’occupation première de la machine : se maintenir, ne pas se désagréger Chapitre premier : La mécanique — bouger pour survivre et accessoirement devenir intelligent Bouger ou mourir, 13. — Les instruments du mouvement : la part mécanique de la machine, 16. — Le squelette qui a fait l’homme, 16. — Les articulations nécessaires et douloureuses, 19. — Les matrices extra-cellulaires assurent la cohérence mécanique, 20. — Les moteurs, 21. — Un vrai moteur à quatre temps, 22. Chapitre II : Les ressources — l’obsession permanente de tout ce qui vit : trouver de l’énergie Vivre c’est… ne pas mourir, 25. — Manger du fer ou fermenter, 26. — L’invention des antennes solaires, 27. — L’invention de la respiration, 28. — La première association, 29. Chapitre III : La distribution — faire fonctionner une société de cellules La machine est une société de cellules, 33. — L’intérêt d’une grande cavité au centre du corps, 34. -— Première mission : nourrir tout le monde, 35. — Deuxième mission : accumuler des réserves, 37. — Troisième mission : éliminer les déchets, 40. — Les éboueurs, 40. — Les stations d’épuration, 41. — Quatrième mission : fournir aux cellules l’oxygène des combustions, 43. — Cinquième mission : assurer le transport rapide de matières et d’informations, 44. — Être plat dans l’eau ou disposer d’une mer intérieure, 45. Chapitre IV : Le réglage : contrôler la machine et la mettre à l’heure Régler en permanence ou mourir, 47. — L’échange de courrier dans la machine : les hormones, 48. — La multiplicité des messages de régulation, 50. — Le cerveau, chef d’orchestre inconscient de toutes les régulations, 51. — Tout le monde se mêle de régulation, 52. — Hormones, parfums et accouplements, 53. — Se doter d’un temps : les horloges intérieures, 54. Chapitre V : L’entretien — réparer la machine Remplacer les pertes, 59. — Le suicide ordonné comme moyen de régulation, 60. — Boucher les fuites sans obturer, 62. Chapitre VI : Les sécurités — défendre la machine contre les envahisseurs Veiller aux frontières, 65. — À vie longue, défense sophistiquée, 66. — Des défenses en lignes successives, 67. — Les défenses non spécifiques innées, 68. — Les défenses sophistiquées adaptées à chaque agresseur, 69. — Démobiliser, 71. Chapitre VII : La fonction — la machine est un coureur de savanes La machine est une cité-État, 73. — L’homme, produit des contingences de l’histoire de la Terre, 74. — Quitter la forêt pour courir dans la savane, 77. Deuxième partie : La seule raison d’être de la machine : en faire d’autres Chapitre VIII : Le but — croissez et multipliez Croissez et multipliez…, 84. — …mais essayez de comprendre pourquoi, 86. — La fin de la première évolution, 88. — Faire du différent grâce au sexe, 89. — Fabriquer des cellules sexuelles dotées d’une demi-information, 90. — Chaque individu est différent de ses parents, 92. — Amener le spermatozoïde à l’ovule, 94. — Le spermatozoïde sent l’ovule, 95. Chapitre IX : La continuité — la machine abrite une cellule égoiste et immortelle, depuis l’origine de la vie Portraits de famille, 99. — Germen qui vit et soma qui meurt, 102. — L’apparition des êtres multicellulaires et la spécialisation sexuelle, 103. — L’apparition tardive de la mort naturelle, 105. Chapitre X : L’unité vivante — la micromachine qui est la vie. Le miracle cellulaire : l’isolement d’un micro—univers, 107. — L’intérieur de la cellule : une usine chimique, 109. — Tous les mouvements sont assurés par des chariots sur rails et la reconnaissance d’étiquettes, 111. — Le support de l’information organisatrice, 112. — Les unités d’information, 114. — Au commencement était l’ARN ?, 116. — La vie, qu’est—ce que c’est ?, 118. Chapitre XI : L’assemblage — comment d’un œuf faire un homme, ou une femme ? La fabrication de l’embryon, 122. — Tout animal est organisé en segments, 125. — L’exécution du plan : une énorme migration cellulaire ordonnée, 125. — Les messages chimiques de mise en place, 126. — Les mêmes gènes organisent la mouche et l’homme, 129. — Dans chaque segment, des combinaisons de gènes décident de ce qu’il faut construire, 132. Chapitre XII : L’héritage — L’évolution résulte d’un bricolage des embryons Un seul programme pour organiser tous les animaux, 135. — Une base commune pour tous les yeux, 136. — Une patte ou une nageoire ?, 137. — L’évolution procède en bricolant des embryons, 138. — Les résurgences ancestrales, 139. — Les insectes et les vertébrés sont organisés en sens inverse, 140. — Comment créer tous les animaux à partir d’une larve de méduse, 141. — L’embryon reparcourt-il l’évolution des espèces ?, 143. Troisième partie : Les créations de la machine : une représentation du monde et moi Chapitre XIII : Les espaces — se représenter le monde, très loin, devant moi, au contact, en moi Dehors mais tout près, 147. — Dedans, 149. — Très loin dans l’espace, le temps ou l’imaginaire, 150. — Hors de notre échelle, 150. Chapitre XIV : La surveillance — reconnaître l’étranger qui a pénétré dans la machine Le système immunitaire, sixième sens chargé d’identiiier les envahisseurs, 153. — Reconnaître toutes les structures chimiques possibles, 154. — Générer beaucoup d’information avec peu de matière, 156. — Tolérer le soi et exclure le reste, 158. — On ne reconnaît pas toujours ce qu’il faudrait, 159. Chapitre XV : L’informat1on — cinq fenêtres ouvertes sur le monde Inventer le monde grâce à cinq capteurs d’informations, 161. — Une recréation approximative, 162. — Le vivant est d’abord un chimiste qui analyse le monde, 163. — Reconnaître par contact, 166. — Voir le monde de sa fenêtre, 167. — La couleur n’est pas la même pour tout le monde, 170. — Quelques dizaines d’images du même objet se superposent dans le cerveau, 172. — Avec l’évolution, l’analyse est passée de la rétine au cerveau, 173. — Faire de la musique et des mots avec les ébranlements de l’air, 176. — Le cerveau corrige la représentation du monde à sa convenance, 179. Chapitre XVI : Le centre de contrôle — la fabrique de la pensée Le neurone vient de très loin, 183. — Le neurone n’est qu’un émetteur de courant électrique, 185. — Les contacts : la synapse, 187. — La fabrique de la pensée, 189. — Petits cerveaux, gros cerveaux, 191. — Le cortex a la même structure pour tous, 192. — Le cerveau et l’évolution, 193. — La construction continue de la fabrique, 194. — Un cerveau ou plusieurs ?, 197. — Un cerveau à la fois banal et exceptionnel, 198. Chapitre XVII : Les productions de la fabrique — créer des images : percevoir, se souvenir, penser et rêver Qu’est-ce qui pense ?, 201. — Percevoir, 203. — L’objet mental est un réseau de neurones activés, 205. — Identifier un objet à partir de traits et de points, 206. — Se souvenir, 207. — Le souvenir se joue dans les synapses, 209. — Réinventer le souvenir, 210. — Penser, 211. — Fixer sa mémoire de travail et son attention, 214. — Générer des hypothèses et les trier, 215. — Penser dans l’espace et le temps, 215. — Dormir et rêver, 217. — À quoi sert de rêver ?, 219. — Le cerveau manipulateur d’objets mentaux en trois états, 221. Chapitre XVIII : Le cerveau du monde intérieur — la machine qui souffre et se réjouit La perception consciente du corps et la douleur, 224. — Percevoir ou non la douleur, selon les besoins, 226. — Percevoir son corps et souffrir pour agir, 227. — La douleur maladie, 229. — Le langage du corps : sensations et émotions, 230. — La faim, régulation parfois prise en défaut par le goût, 232. — Régulations inconscientes et comportements conscients se complètent, 234. — Plaisir et aversion, 235. — La passion sexuelle, 238. — La «petite mort» est une petite épilepsie, 242. — La passion du pouvoir, 243. — Cerveau de mâle, cerveau de femelle, 244. — Protéger les petits, 248. Chapitre XIX : La multiplicité de l’être Réussir parce qu’on n’est pas le premier de la classe, 253. — Des machines vivantes automatiques, 254. — La curiosité et le goût du jeu, en tant que vertus, 256. — L’héritage des cerveaux anciens, 258. — Le lézard qui veille en nous, 259, — La vie affective et têtue du cerveau limbique, 261. — Le calculateur froid néocortical, 263. — La viscéralisation de l’autre, 264. — L’intégrateur préfrontal, 265. — Émotions et raison sont inséparables, 267. Chapitre XX : Les singularités — les inventions de la machine Communiquer sans parler, 272. — La parole est d’or, 274. — Cerveau gauche et cerveau droit, 276. — Le lexique, 278. — La conscience primaire que je partage avec mon chien, 279. — Conscience d’ordre supérieur : la conscience d’être conscient, 282. — Qu’est-ce que la conscience ?, 283. — Percevoir un moi, 285. — Où suis-je ? Que suis-je ? Suis—je un ou deux ?, 286. — Connaître et comprendre : se donner une raison d’être, 288. — Les idées qui vivent leur vie, 289. Quatrième partie : La machine dans une société de machines Chapitre XXI : Le réseau : la machine et les autres La vie est association, 293. — Les vrais superorganismes : la perte des individualités dans le groupe, 295. — Les sociétés de primates ont commencé bien avant l’homme, 298. — La société a fait l’homme, 301. — Sans échange de paroles, pas d’homme !, 303. — Les sociétés humaines ne peuvent être de vrais superorganismes, 305. Chapitre XXII : L’échappement — la vie indépendante des idées Les idées infectieuses mènent leur propre vie, 307. — Les idées forment les individus, les lient entre eux et assurent parfois leur survie, 309. — L’accélération permanente de la connaissance dans le réseau des cerveaux, 310. — L’évolution des idées, 312. Cinquième partie : Les faiblesses de la machine Chapitre XXIII : La détérioration — la machine n’est pas faite pour durer La vieillesse n’avait pas été prévue, 317. — L’âge de la vieillesse, 318. — Mourir, ce n’est rien; mourir, la belle affaire ! Mais vieillir…, 319. — Ça part aussi de la tête !, 322. — Le rôle clé des matrices extracellulaires, 325. — L’arrêt de la multiplication des cellules du soma est programmé, 327. — Ca rouille !, 328. Chapitre XXIV : Les pannes — la machine est fragile Les maladies ne sont plus ce qu’elles étaient…, 331. — …et leur traitement non plus, 334. — Passer de la magie à la technique scientifique n’est pas facile, 334. — Pannes de quoi ?, 336. — Les cinq familles de pannes, 337. Chapitre XXV : Les pièces défectueuses — l’usure, la détérioration et les malfaçons Usure et détérioration des pièces, 339. — Malfaçons, 340. — Réparer ou remplacer les pièces de la machine, 343. — Changer les gènes ?, 344. Chapitre XXVI : L’invasion — les inconvénients de constituer une niche écologique intéressante Les hôtes indésirables que notre mode de vie favorise, 348. — Bactéries, champignons, protistes et vers qui nous parasitent, 348. — Les virus : une information infectieuse, 349. — Le mystère des prions, 350. — Les dégâts des envahisseurs, 351. — Défenses et contournements, 352. — Le traitement des infections : une efficacité inégale et des surprises possibles, 354. Chapitre XXVII : Les déviants — la maffia dans une société cellulaire Échapper au contrôle social des métazoaires, 357. — Les nombreuses causes des cancers, 358. — Des barrières successives, 360. — Les gènes de cancers, 361. — Remettre de l’ordre dans la société cellulaire en subversion, 362. Chapitre XXVIII : L’autoagression — les dégâts d’une armée de métier Les bavures des forces de l’ordre, 366. — La guerre civile, 367. — Bloquer les réactions de défense inopportunes, 369. Chapitre XXIX : L’information biaisée — les maladies de la représentation du monde et du moi Les pannes de la pensée, 372. — Cerveaux détériorés, 373. — Cerveaux mal réglés, 375. — Cerveaux mal construits ?, 378. Chapitre XXX : La fin — la machine cesse de fonctionner Définir la mort, 383. — Vie et mort : la continuité, 384. — La mort nécessaire à l’évolution, 385. — Le péché originel du premier métazoaire, 386. — La mort fait l’humain : la seule espèce destinée à la mort, 388. Chapitre XXXI : Les limites — le monde que la machine se raconte Un cerveau aux capacités limitées, 391. — Croire ou savoir, 393. — Les limites, 396. — Le piège de l’évolution, 397. — Intégrer la science ou la rejeter ?, 398. Added by: Dominique Meeùs Last edited by: Dominique Meeùs |
Notes |
C’est un médecin de formation initiale, chercheur de profession. C’est donc un vulgarisateur qui sait de quoi il parle dans la mesure où il est à la pointe de la recherche dans certains des domaines qu’il aborde et qu’il a assez de culture scientifique générale pour parler des autres. Ce livre présente l’avantage de prendre l’homme comme fil conducteur, ce qui l’amène à traiter de l’évolution et du darwinisme, de la biologie, de l’embryologie, de la santé, de la neurologie, de la question de l’esprit. Ainsi on a tout en une fois, un peu comme dans le Roman du Big Bang (Singh, 2005) l’auteur est amené par son sujet à inclure toute la physique. Je dirais donc que si on ne veut lire (au moins dans un premier temps) qu’un seul livre sur le domaine des sciences de la vie, autant lire celui-là. Tous les scientifiques sont matérialistes sans le savoir, ou sans oser (se) l’avouer, mais Jean-Paul Lévy, lui, en plus, il le sait et il ne s’en cache pas. Sur la question de l’esprit et du cerveau, il est catégorique : « je » suis le fonctionnement de mon cerveau et rien d’autre. Singh, S. (2005). Le roman du big bang: La plus importante découverte scientifique de tous les temps P. Babo & D. Griesmar, Trans. Paris: Éditions Jean-Claude Lattès. Added by: Dominique Meeùs Last edited by: Dominique Meeùs |
Quotes |
p.15
Il ne suffit pas de se déplacer, il faut aussi disposer d’instruments de préhension pour capter les aliments, en réduire les dimensions et les broyer pour leur permettre de traverser la bouche, le pharynx (la gorge) et l’œsophage, et parvenir à l’estomac où va commencer la digestion. Beaucoup d’animaux ne disposent pour cela que de leurs mâchoires. Nos ancêtres quadrupèdes lointains, qui étaient dans ce cas, devaient posséder de volumineuses mandibules et de puissants muscles de la face pour les faire fonctionner et assurer leurs prises. Nous n’aurions jamais appris à penser si nous en étions demeurés là, car il ne reste pas assez de place dans ces petits crânes prolongeant une grosse face pour loger un cerveau aussi performant que le nôtre. Mais, du fait de l’évolution du bassin, qui permettait le redressement complet des préhominiens, la station verticale et la marche bipède, les mains se sont trouvées de plus en plus libres de devenir ce que sont les nôtres. Cela a nécessité aussi l’évolution de la patte arrière vers le pied, étape décisive que l’on oublie souvent, car on imagine mal que penser puisse dépendre des pieds. Les quadrupèdes redressés dont nous provenons disposaient désormais, comme bien des insectes ou crustacés, de membres spécialisés dans la préhension.
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: évolution cerveau main pensée pied préhension Comments: Attention au rôle du pied dans la pensée. Added by: Dominique Meeùs (2009-09-12 13:17:21) |
pp.22-23, Chapter 1. La mécanique — bouger pour survivre et accessoirement devenir intelligent
Un vrai moteur à quatre temps Le fonctionnement du moteur mérite qu’on s’y arrête, car il rappelle ceux que nous avons inventés. Chaque cellule est formée de nombreuses fibrilles accolées les unes aux autres et qui ont toutes la longueur du muscle. Chacune est constituée d’un empilement de disques contractiles minuscules (2,5 microns d’épaisseur) — les sarcomères, — séparés les uns des autres par des cloisons. Au centre des sarcomères on trouve des filaments épais, composés de molécules de myosine. Ils sont entourés à chaque extrémité par un manchon de filaments minces d’actine, attaché à la cloison. La contraction musculaire survient lorsque les manchons glissent sur le filament épais entraînant les cloisons du sarcomère qu’ils rapprochent l’une de l’autre. Le mécanisme moléculaire de ce phénomène est relativement simple. Lorsque le nerf moteur en donne l’ordre, un flux de calcium entre dans la cellule et un moteur à quatre temps se met en marche. Il démarre parce que de petites protéines spécialisées fixent le calcium qui les active et viennent modifier légèrement la structure de la myosine. Du coup, elle devient capable de réagir avec l’actine. Ce sont les têtes des molécules de myosine qui assurent les mouvements. Elles hérissent la surface du filament épais, ce qui les fait entrer en contact avec les filaments d’actine sous un angle de 45°. Lorsque la contraction s’enclenche, elles fixent une autre molécule, l’ATP (un accumulateur d’énergie, une sorte de ressort tendu à fond par l’empilement de trois molécules de phosphates) et elles se séparent de l’actine (temps 1). Puis elles clivent l’ATP qui est le carburant de ce moteur, c’est-à-dire qu’elles séparent le troisième phosphate du reste de l’ATP, libérant l’énergie du ressort. Cela ramène la tête de la molécule de myosine au contact d’un filament d’actine, mais cette fois sous un angle de 90° (temps 2) et elle tire ce filament en revenant à son angle normal de 45° (temps 3). Les manchons d’actine se resserrent donc sur les filaments épais, contractant tout le sarcomère. Les molécules de myosine se séparent alors de ce qui reste de la molécule d’ATP usée (temps 4). Elles sont de nouveau prêtes à fixer de l’ATP et à recommencer le processus. Le système fonctionne dans le détail comme une clé à molette. En effet, les filaments épais sont torsadés et des sillons hélicoïdaux formant l’équivalent d’une vis sans fin sont dessinés à leur surface par les têtes des molécules de myosine. Ces sillons vont guider les filaments minces dans leur glissement. Le filament épais se comporte donc comme la vis sans fin, les filaments minces comme le mors mobile de la clé à molette, et l’ATP, qui est le carburant du moteur, remplace le doigt qui fournit l’énergie à la clé. Added by: Dominique Meeùs Keywords: actine calcium cellule matérialisme mécanique mécanisme moteur muscle myosine phosphate sarcomère |
p.85
D’une soupe chimique prébiotique a émergé la cellule, le seul miracle. Encore le mot est-il trop fort car l’événement était probablement inéluctable dans les conditions de l’environnement. D’ailleurs, il a dû se reproduire de multiple fois, pour finalement se maintenir envers et contre tout.
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: soupe prébiotique cellule vie vivant |
pp.111-112
Tous les mouvements sont assurés par des chariots sur rails et la reconnaissance d’étiquettes Il se pose dans la cellule, comme dans toute usine, le problème du transport d’un poste de travail à un autre et celui du tri et de l’orientation des produits en cours ou en fin de fabrication. Le transport est assuré par de petites vésicules qui se forment par bourgeonnement à la surface de chaque citerne en se chargeant de leurs produits finis. Ce bourgeonnement se constitue parce que des protéines spécialisées qui nagent dans le cytosol viennent s’assembler sur la citerne. Comme elles s’organisent naturellement en structures sphériques rigides, elles entraînent dans ces structures la surface molle de la citerne et une partie de son contenu. Les bourgeons se referment en vésicules closes qui se déplacent jusqu’à la citerne suivante et s’y déchargent en fusionnant leur membrane avec la sienne. Pour ce faire, elles sont recouvertes de protéines spécialisées qui en permettent l’orientation correcte. Le tri et l’orientation sont réglés par un système de récepteurs qui reconnaissent certains motifs chimiques sur les molécules en fabrication et sur les citernes cibles. En fonction de cette reconnaissance, le système dirige les vésicules sur telle ou telle citerne ou tel compartiment cellulaire. Ainsi, certaines protéines, lorsqu’elles sont achevées, sont destinées à travailler dans le réticulum endoplasmique au début de la chaîne : à la fin de leur maturation, une série de quatre acides aminés constituant une véritable étiquette permet de les identifier et de les renvoyer en arrière pour être déversées dans ce réticulum. D’autres doivent être expédiées dans des petites citernes très particulières où s’accumulent les enzymes qui servent à dégrader les molécules, venues de la cellule ou de l’extérieur, qui doivent être détruites : les lysosomes. Ces molécules sont reconnues par un récepteur de la face intérieure de la dernière citerne du Golgi, parce qu’elles portent un sucre particulier le mannose-6-phosphate, et transportées par vésicules spéciales vers leur lieu de travail. De la même façon, la cellule identifie ce qu’elle va expulser dans le monde environnant grâce à des vésicules recouvertes de protéines particulières qui vont aller se vider à sa surface, alors qu’elle dirige vers des sacs de stockage les produits qui ne devront être libérés qu’à la réception de messages particuliers venus de l’extérieur. Tous les déplacements se font sur des rails formés par le cytosquelette qui rayonne dans toute la cellule. Il est constitué de microtubules (de tubuline) et de microfilaments (d’actine) sur lesquels se fixent des molécules qui constituent des moteurs, comme la kinésine ou la dynéine. Portant par un bout la charge qu’elles doivent tirer, fixées par l’autre au cytosquelette, elles glissent sur lui en clivant de l’ATP pour libérer l’énergie nécessaire. […] Lorsqu’ils reçoivent un message porté par des molécules spécialisées, les chimiokines, les récepteurs de celles-ci provoquent des réactions qui finalement modifient la répartition des filaments d’actine dans la cellule, et cette réorganisation du cytosquelette enclenche le mouvement dans une direction donnée. Finalement, tout mouvement animal, tout déplacement met en jeu ce système très simple de glissements sur des rails intracellulaires. Added by: Dominique Meeùs Keywords: étiquette cellule cytosquelette moteur rail transport |
pp.118-119
L’une des énigmes les plus passionnantes tient évidemment à la formation des toutes premières cellules, par enfermement de ces réactions dans une membrane de lipides protégeant les composantes des réactions. En outre, en les concentrant dans un espace réduit, elle accélérait, parmi les associations moléculaires formées au hasard, la sélection des plus efficaces. Dans un milieu ouvert, elles se seraient diluées. À la vérité, l’évolution prébiotique reste très largement inconnue, même si ces hypothèses ont le mérite de la vraisemblance. Il reste encore énormément à découvrir sur le chemin qui a mené des premières molécules organiques aux premières cellules vivantes, et l’on trouve là un des champs les plus passionnants de la biologie. La vie, qu’est-ce que c’est ? On dit souvent que la vie est la réplication infinie de la molécule d’ADN. En fait, tout a donc plus vraisemblablement commencé avant cela, par l’ARN. Puis l’information aurait été stockée préférentiellement par l’ADN, qui est plus stable que l’ARN, mieux réparable par les systèmes enzymatiques de la cellule, notamment du fait de sa structure à deux chaînes complémentaires, et tout aussi apte à garder cette information. La cellule aurait donc exploité ces avantages, et, depuis, l’ARN n’a plus été que l’intermédiaire entre l’ADN et les protéines. Mais ce qui caractérise vraiment la vie, même si on la considère comme un moyen pour l’ADN de se perpétuer, c’est la constitution de cette machine qui fait du complexe, contre les lois physiques de l’univers, grâce à l’information contenue dans l’ADN. On devrait donc plutôt dire que la vie a commencé avec la cellule et qu’elle est le produit d’une chimie prébiotique dont elle conserve et améliore sans cesse l’information. Ce qui la caractérise n’est ni la nature chimique des constituants, ni la possibilité d’échapper aux lois physiques et chimiques qu’elle subit comme le reste de la matière. Ce n’est pas non plus un mystérieux principe vital, notion qui ne ferait qu’éluder le problème. C’est seulement l’aptitude à s’isoler transitoirement du milieu ambiant tout en assurant une communication sélective avec lui, et donc à échapper en partie à son influence immédiate. Added by: Dominique Meeùs Keywords: membrane prébiotique isolation entropie ADN ARN cellule complexité vie vitalisme vivant |
pp.125-126
L’exécution du plan : une énorme migration cellulaire ordonnée Avant la fécondation, l’œuf a commencé de se structurer, il ébauche déjà l’embryon. Il existe dans son cytoplasme des zones destinées à se répartir dans les futurs feuillets ou dans la première cellule germinale, et cette organisation est sous le contrôle de gènes dont les produits, en particulier des ARN, se répartissent inégalement dans l’œuf, grâce à des migrations différentes sur le cytosquelette, qu’assurent des protéines spécialisées. Les cellules qui se forment dès les premières divisions ont un destin déterminé par la zone de cytoplasme qu’elles emportent, ce qui souligne le rôle organisateur vivant de la cellule maternelle. Added by: Dominique Meeùs Keywords: cellule cytoplasme division embryon spécialisation Comments: La division des cellules ne fait pas que dupliquer l’ADN. Elle partage aussi le reste de la cellule, et pas de manière égale. Added by: Dominique Meeùs (2009-09-12 20:52:39) |
pp.188-189
Au total, des phénomènes chimiques très simples, mettant en œuvre un petit nombre de molécules, expliquent l’influx nerveux de repos, sa modulation en période d’excitation et sa transmission, électrique tout le long du neurone, puis chimique dans les synapses. La nature du médiateur libéré par le neurone conditionne par ailleurs sa fonction précise : dans le cortex, les neurones les plus nombreux libèrent du glutamate et exercent ainsi une fonction activatrice, mais d’autres libèrent du GABA (acide gamma-aminobutyrique) et sont au contraire inhibiteurs de l’activation. De même, les neurones de certains noyaux du tronc cérébral envoient dans tout le cerveau de longs axones qui sécrètent de la dopamine ou de la sérotonine, ou d’autres médiateurs qui conditionnent le type de réponse des neurones récepteurs et, par conséquent, une fonction cérébrale précise. Ce qui peut surprendre finalement, c’est qu’il ne se passe rien d’autre dans les neurones que des phénomènes physiques et chimiques aussi simples, même lorsqu’il s’agit d’expliquer la pensée !
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: axone chimie cortex dopamine glutamate influx nerveux neurone pensée physique sérotonine synapse |
p.193
L’identité structurelle et fonctionnelle du cerveau humain et des autres cerveaux de vertébrés supérieurs souligne un fait que nous n’acceptons pas sans difficulté : il n’existe pas de nature humaine. Il n’existe qu’une particulière complexité des structures qui autorise nos performances. L’embryon, le fœtus même, ne devient à cet égard que progressivement « humain », au fur et à mesure du développement de son cerveau. Il ne l’est pas avant que celui-ci atteigne un certain niveau de complexité.
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: cerveau complexité embryon fœtus nature humaine |
pp.196-197
En fait c’est avec la fonction que ces différenciations s’opèrent et que les connexions définitives s’établissent. C’est le début d’un autre processus qui va se poursuivre toute la vie : l’individualisation de chaque cerveau en fonction de ses propres expériences. À une période de mise en place commune, génétiquement conditionnée, succède une autre période, épigénétique, strictement individuelle. Au terme de cette épigenèse (si l’on peut parler de « terme » pour un processus qui se poursuit toute la vie, ou presque), aucun cerveau n’est identique à un autre. Mais il ne faut pas oublier une troisième phase dans cette maturation de l’encéphale. Après la mise en place des cellules, puis de leurs connexions, c’est la phase de l’élagage qui commence avant la naissance et se poursuit après elle. Le cerveau ne se contente pas d’établir des connexions, il ne cesse aussi d’en détruire. […] une part importante de l’élimination des neurones ne se fait plus automatiquement chez nous selon un programme génétique, qui mènerait à des individus rigoureusement identiques les uns aux autres, mais en fonction des hasards de l’expérience individuelle. C’est ce qui fait de chaque cerveau un modèle unique. Apprendre sera la même chose : sélectionner, parmi beaucoup d’autres, les neurones ou les réseaux de neurones à conserver et éliminer les autres. Added by: Dominique Meeùs Keywords: épigenèse connexion nerveuse individu individualité |
p.198
Lors de la structuration, durant la vie intra-utérine, les zones anciennes correspondant au cerveau reptilien et même au cerveau limbique sont largement organisées par le programme génétique, sous-tendant certaines connaissances innées, ce qui n’élimine pas la possibilité de variations individuelles. En revanche, les zones récentes du néocortex ne sont organisées que dans les grandes lignes et ce sont celles-là qui vont être intensément remaniées toute la vie, permettant tous les apprentissages et toutes les restructurations mentales qui nous caractérisent.
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: apprentissage cerveau embryogenèse génétique individualité néocortex |
pp.198-199
Un cerveau à la fois banal et exceptionnel Au total, la fabrique de la pensée humaine ne se distingue des autres encéphales que par très peu de choses. Les neurones sont les mêmes et ils émettent les mêmes influx nerveux. Les structures sont conservées depuis les mammifères primitifs, et les mêmes organes constituent le cerveau. Seul nous caractérise le développement considérable du néocortex qui a multiplié le nombre de ses neurones et de leurs connexions, et du même coup les possibilités de diversification des aires spécialisées dans l’analyse des données, leurs associations et les décisions qui peuvent résulter de leur utilisation. Mais une autre particularité de l’homme est essentielle : son interminable capacité à restructurer son encéphale, c’est-à-dire à apprendre. Dans un sens, il a la chance de rester toute sa vie un enfant. Les systèmes nerveux des animaux les plus primitifs sont si semblables, d’un animal à l’autre, que l’on peut retrouver et numéroter chacun des neurones, dotés de fonctions strictement identiques, de l’aplysie ou de la daphnie. Avec leur multiplication, chaque neurone se dispose de façon plus variable, même si le plan d’ensemble est strictement réalisé selon un programme génétique commun, si bien qu’il serait illusoire, déjà chez la souris, de chercher à individualiser chaque cellule nerveuse. Deux souris, même de souches pures, ne sont pas absolument identiques. Chez l’homme, cette démarche serait d’autant plus vaine que le nombre des neurones s’est encore considérablement accru, mais surtout parce que la phase de structuration épigénétique, qui se poursuit des décennies, prend une place considérable et fait de chaque encéphale une entité unique. Le cerveau humain est un produit exceptionnel qui, rappelons-le, est encore loin d’avoir atteint son poids définitif à la naissance, puisqu’il pourra se multiplier ensuite par cinq, laissant d’énormes possibilités d’apprentissage, c’est-à-dire de remaniement cérébral. Added by: Dominique Meeùs Keywords: apprentissage épigenèse cerveau connexion nerveuse encéphale individualité néocortex neurone pensée |
p.201
Qu’est-ce qui pense ? C’est dans le cerveau que naît la pensée, on le sait depuis l’Antiquité. Certes, Aristote, comme les Amérindiens et bien d’autres, la localisait dans le cœur, mais Platon et les médecins, Hippocrate ou Galien, n’avaient pas d’hésitation quant à sa localisation cérébrale. Mais qu’est-ce qui pense ? Et en quoi l’acte de penser consiste-t-il dans le cerveau ? C’est si peu évident que le dualisme cartésien (une âme qui pense, dans un corps qui fait le reste) continue de traduire la vision la plus habituelle des humains, leur conception intuitive, et cela dans les cultures les plus diverses. Il est clair, pourtant, que cette idée revient à évacuer le problème dans le surnaturel sans chercher à le résoudre. Or ce que la neurobiologie nous montre à l’évidence aujourd’hui, c’est que la matière pense, et elle seule. Un monisme matérialiste est la seule conception scientifiquement fondée désormais, et les progrès rapides de la connaissance dans ce domaine, s’ils laissent encore bien des points d’incertitude, n’en permettent pas moins d’aborder en termes biologiques ce que l’on a longtemps cru hors du champ scientifique. Les décennies qui viennent seront probablement révolutionnaires à cet égard et marqueront, du même coup, une étape majeure dans la culture de l’humanité. Majeure, et pas facile à accepter par tous ! Added by: Dominique Meeùs Keywords: cerveau Descartes dualisme matérialisme matière monisme neurologie neurone pensée |
pp.274-275
La parole est d’or Le langage articulé est une authentique particularité humaine, bien plus que l’outil par exemple, qu’on invoque souvent à ce titre mais que les chimpanzés utilisent et fabriquent déjà, au moins de façon rudimentaire. Certes, ils disposent aussi de quelques dizaines de sons correspondant à des messages très simples, mais ils n’ont pas de syntaxe. Ce n’est peut-être qu’une question de possibilité de vocalisation, et il est probable que les structures qui permettent la parole s’ébauchent déjà avant l’homme, puisqu’il semble qu’au moins un bonobo, qui serait notre plus proche cousin longtemps confondu avec le chimpanzé, ait pu acquérir une syntaxe rudimentaire et quelques centaines de mots, d’un langage symbolique. L’homme, lui, peut naturellement émettre des milliers de messages différents et les associer de façon quasi infinie, pour transmettre des informations d’une extrême complexité. À une seule condition toutefois : qu’il ait pu imiter d’autres humains. Selon toute vraisemblance, cette capacité est récente dans notre famille. Les préhominiens, et même les premiers membres du genre Homo, ne disposaient pas d’un larynx situé comme le nôtre et associé à une chambre supralaryngée leur permettant de moduler les sons, avec le concours de la langue et des lèvres, comme nous le faisons. L’homme de Neanderthal, pourtant très proche de nous, n’avait pas seulement une région préfrontale beaucoup plus petite que la nôtre, ce qui limitait ses performances intellectuelles, il avait aussi un larynx en position sensiblement différente. Cette position devait lui permettre de respirer et de boire en même temps, ce qui nous est impossible, mais du coup il ne pouvait probablement pas moduler les voyelles. Seuls les derniers néanderthaliens auraient commencé à pouvoir le faire. Il est donc vraisemblable que nos prédécesseurs, il n’y a que quelques dizaines de milliers d’années, cent mille ans peut-être, ne pouvaient pas vraiment parler. C’est avec les changements de la face, qui ont entraîné aussi des modifications de la disposition du larynx, que le langage articulé est devenu possible. Et c’est la sélection, au cours de l’évolution, de cerveaux de plus en plus performants, capables d’utiliser une parole diversifiée, qui a fait l’Homo sapiens sapiens. Cette sélection très progressive n’a pu s’effectuer que grâce aux interactions réciproques de la pensée, d’abord élémentaire, et de la parole, qui va finalement perfectionner la pensée en lui fournissant un instrument de symbolisation et une syntaxe, ce qui multiplie massivement ses possibilités. Added by: Dominique Meeùs Keywords: articulation bonobo cerveau chimpanzé hominidé homme Homo Homo sapiens langage larynx message modulation parole pensée syntaxe vocalisation |
p.279
La conscience primaire que je partage avec mon chien S’il est une fonction cérébrale mal comprise, c’est bien la conscience, cet étrange processus qui fait que nous savons que nous voyons ou que nous pensons, et même que nous savons que nous le savons. Nous avons beaucoup de mal à analyser et à définir ce phénomène. Toujours présente, sauf durant le sommeil lent, la conscience nous met en communication avec le monde et avec nous-même, mais nous ne la dirigeons qu’en certains instants privilégiés. Les neurobiologistes […] commencent seulement à aborder l’étude de la conscience, timidement, avec des méthodes encore maladroites. C’est donc l’un des domaines dans lesquels les philosophes continuent à spéculer, ce qui témoigne, à l’évidence, de l’insuffisance des connaissances scientifiques. L’histoire des connaissances est celle d’un recul permanent de la spéculation abstraite des philosophes, parfois géniale, mais somme toute fort peu productrice de connaissances, devant les méthodes de la science. Mais la conscience est un domaine où la science ne pénètre encore qu’à pas comptés. Added by: Dominique Meeùs Keywords: cerveau connaissance conscience histoire des sciences neurobiologie philosophie science Comments: Intéressante conception de la philosophie occupant le terrain que la science n’occupe pas encore suffisamment, au point que l’intervention de la philosophie peut servir à diagnostiquer l’immaturité d’une science. A contrario, l’histoire de la connaissance est celle du recul de la philosophie. Added by: Dominique Meeùs (2009-09-15 07:28:07) |
pp.286-288
Le moi n’est apparemment que la perception d’un état neural, strictement présent, intégrant l’état actuel du corps et toutes les informations mémorisées sur ce corps, sur ses interactions avec le monde et même sur ses projets, qui sont en fait des souvenirs du futur possible. Il est non seulement lié au présent mais en permanence en train de se modifier au gré du présent. Quand je dis « moi », je me réfère à un ensemble d’informations sur ma machine, pour l’essentiel inconscientes, dont une fraction émerge, ou plus précisément vient juste d’émerger à ma conscience, dans un passé très récent que j’appelle « le présent ». Et ces informations vont se modifier avec ce présent Où suis-je ? Que suis-je ? Suis-je un ou deux ? L’ambiguïté du moi, c’est qu’en même temps qu’il se perçoit comme corps il se ressent aussi comme quelque chose d’autre, qui en serait prisonnier. Le dualisme, l’idée d’un corps habité par un esprit, est naturel et universel. Il est à l’origine de toutes les religions. Et pourtant, tout le monde constate l’évidence de la dégradation de l’esprit avec celle du cerveau, voire de son anéantissement dans un corps atteint de la maladie d’Alzheimer, par exemple. Où serait un esprit autonome dans cette machine dont la pensée est morte ? Mais l’esprit qui se pense lui-même se place naturellement hors de son objet au cours de ce processus, il ne peut donc pas s’assimiler à la machine biologique qui le produit. L’esprit (ou l’âme, si l’on préfère) est un ensemble d’informations de la machine, sur le monde et sur elle-même, qui proviennent exclusivement de ses circuits de neurones, et sont mortelles avec eux. […] Je me pense, donc je suis. Où ? Je suis entièrement inscrit dans mon cerveau, dans un langage dont les symboles sont des réseaux activables de neurones, avec des synapses renforcées qui donnent des préférences à certains de ces réseaux, ou plutôt à certaines de leurs associations. Pourtant, le dualisme continue à obséder une grande partie des humains, même ceux qui s’occupent de sciences cognitives. Or toute la pensée ne peut venir que de la matière, du corps. Comme l’écrit Edelman, « l’esprit est un processus d’un type particulier qui dépend de certaines formes particulières d’organisation de la matière », ou encore : « Darwin avait raison : c’est la morphologie qui a donné l’esprit. Et sur ce point Wallace, qui pensait que la sélection naturelle ne pouvait pas rendre compte de l’esprit humain, avait tort. Quant à Platon, il n’avait même pas tort : il était tout simplement à côté de la question. » C’est peut-être le permanent remaniement de l’esprit, c’est-à-dire du cerveau, qui le produit, qui donne cette impression de localisation de la pensée hors du corps. Mon moi, « je », est un gigantesque ensemble d’informations sur le monde, mais aussi sur moi, et sur moi dans le monde. Certaines de ces informations, le noyau dur interne, sont celles de l’espèce, génétiquement transmises dans mes cerveaux anciens et à peu près inaltérables, elles font mon humanité élémentaire et mes limites. D’autres, implantées solidement, sont en particulier les acquis de ma formation depuis l’enfance, ancrés dans mon cortex mais bien contrôlés par mes circuits limbiques, avec leurs connotations affectives et leur sentiment de vérité. Elles sont, pour cela, difficiles à faire évoluer. D’autres encore, plus récentes, issues de mon néocortex, se greffent sans cesse sur cet ensemble, comme une surface bouillonnante, infiniment changeante. Étant donné son remaniement permanent sous l’effet de sa propre activité, le cerveau n’est totalement le même que dans l’instant. Sous l’influence du monde extérieur, du corps, ou de son propre bouillonnement intérieur, une information particulière émerge à la conscience et, prise en compte par le cerveau lui-même qui l’a produit, elle va du même coup le modifier. Nous sommes en permanent devenir. Added by: Dominique Meeùs Keywords: âme conscience corps cortex Darwin dualisme esprit génétique inconscient information matérialisme matière moi néocortex neurone organisation religion sélection naturelle sciences cognitives synapse |
p.309
Les idées forment les individus, les lient entre eux et assurent parfois leur survie Les cerveaux se modifient au rythme de leur absorption d’idées nouvelles. C’est ainsi qu’ils se forment depuis l’enfance et toute leur vie. C’est ainsi qu’ils échangent aussi leurs informations et progressent, faisant à leur tour progresser les idées, au gré des mutations qu’elles subissent parfois chez eux. Les idées sont la res cogitans de Descartes, distincte de la res extensa mais produite par elle et qui n’existe pas sans elle. Elles font les cerveaux et pourtant ne peuvent vivre sans eux : comme le demandait un Indien dans un roman de J. Harrison, Dalva : « Que deviennent les histoires, quand il n’y a personne pour les raconter ? » Ce qui est important, c’est que ce commensal permanent de nos cerveaux est ce qui les lient les uns aux autres. Sans l’échange des idées, il n’y aurait pas de société humaine, inversement sans elle, qui assure la pérennité et l’évolution des idées, il n’y aurait pas de cerveaux humains. C’est pourquoi chaque homme est un composant de sa société dont il ne peut être dissocié. Chaque individu, certes, est unique, et la qualité d’un cerveau tient en partie à sa capacité à être rationnellement lui-même, mais il ne peut l’être qu’à l’intérieur d’un cadre que sa culture lui trace. Il est essentiellement une accrétion d’idées, parmi lesquelles très peu appartiennent en propre au porteur, s’il en est. Elles lui viennent du réseau de cerveaux auquel il appartient, mais leurs associations sont chaque fois différentes et leur utilisation chaque fois modulée par la part émotionnelle et passionnelle de ce cerveau. Si rien du corps n’a des chances de persister après la mort et si aucune âme immortelle ne s’en échappera pour poursuivre son existence, la survie des idées, elle, est une évidence. Quel que soit l’individu, le souvenir qui en subsiste, tant que ceux qui l’on connu vivent, est en grande partie celui des idées qui l’habitaient. Elles sont en général banales, mais forment pourtant des combinaisons originales. C’est ce qui assure aussi la survie à long terme de certains êtres dont la production mentale a marqué d’autres cerveaux et quelquefois toute l’humanité. Il n’est pas d’autre survie, et celle-là est le plus souvent anonyme, mais elle est de mieux en mieux assurée depuis quelques milliers d’années : depuis que les idées se sont stabilisées elles-mêmes, en nous amenant à créer le dessin et l’écriture, ces mémoires accessoires capables de les conserver, même si meurent les cerveaux. Added by: Dominique Meeùs Keywords: âme écriture Bunge cerveau culture idée monde 3 Popper social société survie vie après la mort Comments: C’est la question du monde 3 de Popper ou de son équivalent chez Bunge. Added by: Dominique Meeùs (2009-09-15 07:28:31) |
p.311
Les étapes majeures des progrès des cultures paléolithiques se sont donc succédé à des intervalles de centaines d’abord, puis de dizaines de millénaires. Avec les civilisations néolithiques, l’agriculture, l’élevage, la poterie, puis l’emploi des métaux, les villes, l’écriture, et les cultures historiques antiques, tout s’est déroulé beaucoup plus vite, en quelques millénaires, avec des étapes principales séparées de quelques siècles seulement. C’est avec la science que l’accélération suivante s’est produite. Depuis l’Antiquité, ce mot recouvrait le début des mathématiques et de l’astronomie, mais aussi, et pour l’essentiel, de pures spéculations qui n’avaient rien de scientifique, au sens où nous l’entendons. Autour de la Renaissance seulement et au début de l’âge classique, la science devient observation rigoureuse, des corps par l’anatomie ou des planètes par la lunette astronomique, mais elle devient aussi mesures et calculs appliqués à ces mesures. C’est le tournant décisif, le moment de la véritable naissance des sciences. C’est aussi celui où se produit un événement capital de l’histoire humaine, dont les conséquences finales restent aujourd’hui encore imprévisibles : la séparation progressive mais inéluctable de la foi et de la raison, que les querelles théologiques des siècles précédents n’avaient abordée que de façon spéculative. Les acquis scientifiques posaient le problème en des termes nouveaux et qui n’allaient cesser de se préciser. Les penseurs de la foi, malheureusement, ont manqué du génie qu’il leur aurait fallu pour percevoir le prodigieux événement qui s’ébauchait, si bien qu’ils ont stupidement continué à prétendre régenter la raison. Les processus de mutation des idées indispensables au progrès, il est vrai, sont la base de la science, alors que la foi requiert plutôt l’élimination des mutants. Added by: Dominique Meeùs Keywords: civilisation foi culture progrès raison religion science |
p.387
Les religions ont donc eu pour rôle de tenter d’y pourvoir [à la difficulté d’accepter la mort] par des explications sédatives de la mort que la science moderne ne peut malheureusement plus entériner. L’exemple du message catholique contemporain est significatif à cet égard d’une rupture profonde entre la science et la pensée religieuse, dans le temps même où l’Église se dit convaincue de devoir prendre en considération les acquis scientifiques, qu’elle ne peut plus nier. Seule une évolution majeure des pensées religieuses pourrait combler cette rupture, puisque le discours catholique sur la mort, celui du dernier catéchisme romain, reste totalement traditionnel et inconciliable avec toute vision scientifique. Si l’on en reste à la tradition augustinienne bien sûr, la mort, la maladie, la souffrance ne sont pas des événements d’ordre biologique, comme nous les comprenons aujourd’hui. Ce qui est surprenant, c’est que des esprits du 20e siècle continuent à vouloir imaginer leur être et leur mort comme on pouvait le faire au 5e, comme si l’on n’avait rien découvert entre-temps. Continuer à enseigner, dans les années 1990, que « l’homme aurait été soustrait à la mort corporelle s’il n’avait péché. Dieu destinait l’homme à ne pas mourir… » est purement et simplement une absurdité ! Mais l’Église, qui a toujours enseigné, depuis saint Paul (« par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort »), que le péché est mort de l’âme et responsable des misères humaines, ne renonce pas fondamentalement à cette vision. S’accrocher farouchement à des concepts venus de l’Antiquité, si ce n’est des sociétés néolithiques, est évidemment une belle illustration des mécanismes de défense que peut créer l’encéphale pour échapper à ce qui le gêne, mais cela revient aussi dans ce cas à nier de proche en proche toute la vision scientifique du monde. Cet homme qui n’était pas destiné à mourir ne peut pas être un primate, un mammifère, un vertébré, il ne peut être qu’une « créature » au sens le plus archaïque.
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: mort mortalité immortalité catholicisme catéchisme Église religion |
p.396
Les limites Dans cet univers infini où notre place ne cesse de se restreindre et nos explications traditionnelles de s’effondrer, nous prenons conscience de l’incapacité humaine à totalement expliquer le monde, sans pouvoir espérer d’autres intelligences une future révélation. Ce n’est pas la connaissance du vivant qui sera l’obstacle. Les réponses aux questions que son existence soulève sont proches, quand elles ne sont pas déjà acquises. La vie est explicable de bout en bout, même si nous ne pouvons dire exactement aujourd’hui comment elle s’est initialement formée. La logique des scénarios possibles nous est connue, si bien que nous pourrons probablement progresser vers une certitude, même si nous ne parvenions pas à les reproduire en laboratoire. La pensée, dans la compréhension de ses mécanismes intimes, nous pose de difficiles questions, mais tout permet de croire que leur résolution est désormais engagée. L’âme humaine fabriquée par le cerveau, imparfaite et mortelle, ne devrait plus nous poser de problème : chacune certes restera singulière, mais nous savons pourquoi. Il n’existe même pas à proprement parler de nature humaine puisque nous n’avons fait que poursuivre l’exploitation de fonctions apparues avant nous. Tout cela ne nous prive en rien, pourtant, de notre dignité et des devoirs que notre humanité nous impose, si nous acceptons de considérer notre situation objective. L’univers dans lequel nous nous trouvons risque, en revanche, de rester plus impénétrable que le vivant. Nous ignorons jusqu’où il faudra progresser pour aller jusqu’au bout des questions : les particules supposées élémentaires le sont-elles vraiment ? N’ont-elles d’autre réalité que probabiliste ? Pourquoi la matière émerge-t-elle du vide ? Qu’est-ce que ce vide qui grouille de particules virtuelles et bouillonne d’énergie ? Quel sera le destin final de cet univers ? Comment peut-on même envisager une cause explicative d’un début alors qu’elle serait nécessairement hors du système ? Added by: Dominique Meeùs Keywords: âme évolution Big Bang biologie cerveau connaissance esprit explication nature humaine particules élémentaires pensée univers vide vie vivant |
p.399
[…] une évolution majeure de notre culture, intégrant véritablement la pensée scientifique — et non plus seulement technique —, serait nécessaire. Dans un monde tout imprégné de science, nous vivons une étrange situation : moins qu’à aucune autre époque la science ne fait partie de la culture. La formation de l’intellectuel du 20e siècle le laisse en général d’une ignorance étonnante en matière scientifique et prêt, comme le politique, à croire n’importe quelle absurdité. On pourrait pourtant souhaiter voir les hommes se passionner pour ce qui est, et recréer à partir de cette passion une culture. Cela impliquerait une profonde évolution de nos enseignements.
Added by: Dominique Meeùs
Keywords: culture enseignement science |