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Bonnard, A. (1963). Civilisation grecque: De l’iliade au parthénon. Paris: Union générale d’éditions.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2012-07-13 15:07:03 Pop. 0%
      Voilà, sommairement indiquées, quelques-unes ces circonstances dont l’action conjuguée permet et conditionne la naissance de la civilisation grecque. Qu’on observe que ce n’est pas seulement les conditions naturelles (climat, sol et mer) ni non plus le moment historique (héritage de civilisations antérieures) ni les seules conditions sociales (conflit des pauvres et des riches, ce « moteur » de l’histoire) mais que c’est la convergence de tous ces éléments pris ensemble qui constitue une conjoncture favorable à la naissance de la civilisation grecque.
     Et que faites-vous du « miracle grec » ? s’exclameront certains savants ou prétendus tels. Il n’y a pas de « miracle grec ». La notion de miracle est foncièrement antiscientifique, elle est aussi non hellénique. Le miracle n’explique rien : il remplace une explication par des points d’exclamation.
     Le peuple grec ne fait que développer, dans les conditions où il se trouve, avec les moyens qu’il a sous la main, et sans qu’il soit nécessaire de faire appel à des dons particuliers qu’il tiendrait du Ciel, une évolution commencée avant lui et qui permet à l’espèce humaine de vivre et d’améliorer sa vie.
      Les improvisateurs grecs, prédécesseurs d’Homère, récitaient d’abord leurs poèmes, par fragments, dans des maisons seigneuriales. Ces seigneurs n’étaient plus les chefs pillards de l’époque de Mycènes, c’étaient surtout de gros propriétaires ruraux qui se plaisaient à entendre célébrer les exploits guerriers du temps passé. Vient un moment où apparaissent dans le monde grec les premiers marchands. C’est dans les villes d’Ionie en Asie mineure, juste au sud du pays éolien, à Milet, Smyrne, et autres ports. Homère vit au 8e siècle dans l’une de ces villes de la côte ionienne, sans que nous puissions préciser laquelle. C’est l’époque où va se déclencher la lutte des classes avec une violence subite, comme peut-être à aucun autre moment de l’histoire. Dans cette lutte le peuple misérable qui n’a point de terres ou rien que des terres médiocres, conduit par la classe des marchands, va tenter d’arracher aux nobles propriétaires le privilège presque exclusif qu’ils se sont arrogé sur le sol. Du même coup ils arrachent à la classe possédante sa culture, se l’approprient et en façonnent les premiers chefs-d’œuvre du peuple grec.
     De récents travaux savants ont suggéré que la naissance de l’Iliade, au 8e siècle en Ionie, se place au moment où la poésie improvisée et encore flottante se fixe en une œuvre d’art écrite et élaborée. L’apparition de la première épopée, et la plus belle de l’héritage humain, est liée à la naissance de cette classe nouvelle de bourgeois commerçants. Ce sont des commerçants qui diffusent soudain l’usage ancien mais très peu répandu de l’écriture. Un poète ionien — un poète de génie que la tradition nomme Homère — amène au niveau de l’œuvre d’art une partie choisie par lui de la matière traditionnelle épique improvisée. Il compose et il écrit enfin, sur papyrus, notre Iliade.
     C’est dire que la classe bourgeoise donne valeur artistique, donne forme à une culture poétique jusque-là informe. Du même coup cette culture poétique est mise par elle, dans des récitations publiques, au service de toute la cité, au service du peuple.
Charles-Picard, G., & Charles-Picard, C. (1958). La vie quotidienne à carthage au temps d’hannibal: 3e siècle avant jésus-christ. Paris: Librairie Hachette.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2011-05-28 20:53:41 Pop. 0%
      Le problème social
     La population de la grande ville comprenait donc des éléments très divers par leur origine et leur civilisation, fort inégaux en richesse et en puissance sociale. Il ne semble pas pourtant que de graves conflits de classes l’aient agitée. Nous ne savons pratiquement rien des esclaves urbains qui étaient évidemment très nombreux ; ils ne paraissent pas avoir été animés d’une haine violente contre leurs maîtres. Au début du 4e siècle, un ambitieux de haute naissance, Hannon le Grand, tente une révolution politique et sociale qui devait lui donner le pouvoir souverain. Il appela les esclaves à se soulever, mais il semble avoir rencontré assez peu de succès auprès de ceux qui travaillaient en ville et vivaient avec leurs maîtres. Bomilcar, qui tenta aussi d’établir sa dictature au temps de la guerre d’Agathocle, s’appuya sur ses mercenaires et ne paraît avoir trouvé aucun appui dans le prolétariat urbain. Enfin, au moment de la crise suprême, en 149, le Sénat punique décréta la libération des esclaves. On ne craignait donc pas qu’ils prissent le parti des Romains, et la confiance qu’on mettait en eux fut justifiée car ils combattirent jusqu’au bout avec le plus grand courage.
     Le danger social venait d’ailleurs : tout d’abord des cultivateurs libyens ; ceux-ci se révoltèrent en 396 et en 379, et chaque fois mirent en danger l’existence même de Carthage. L’archéologie nous révèle la médiocrité de leur niveau de vie. S’ils demeuraient libres de leur personne, l’obligation qui leur était faite de verser une dîme, portée, en cas de guerre, au quart et même, quelquefois, à la moitié de leur récolte, était évidemment fort lourde ; il ne faut pas oublier cependant que jusqu’à ces dernières années demeurait en vigueur dans toute l’Afrique du Nord le « Khamessat », contrat de métayage qui réserve au propriétaire les quatre cinquièmes du revenu de la terre. Mais ces Africains se souvenaient d’avoir été privés depuis peu de leur liberté ; le système économique qu’on leur imposait leur déplaisait sans doute et ils auraient préféré revenir à l’élevage et au nomadisme ; enfin, ils étaient incités à la révolte par le voisinage de leurs congénères demeurés indépendants. Des esclaves ruraux qui travaillaient sur les domaines de l’aristocratie carthaginoise n’étaient pas non plus satisfaits de leur sort. Ces deux éléments fournirent les troupes des jacqueries du 4e siècle et, à Hannon, les vingt mille hommes qu’il rassembla après l’échec de sa tentative de révolte en ville.
     Un autre élément de désordre était constitué par les mercenaires. Nous dirons plus loin quel péril représentait pour Carthage cette force explosive toute prête à la détruire au lieu de la protéger. Mais il faut indiquer ici que la grande guerre qui éclata en 240, et qui demeure, grâce à Polybe et à Flaubert, l’épisode le plus célèbre de l’histoire de Carthage, fut avant tout une de ces grandes crises sociales qui ébranlèrent le monde antique entre la mort d’Alexandre et le rétablissement de l’ordre par Auguste. L’élément dynamique de l’armée que l’imprudence du gouvernement punique rassembla à Sicca était formé par ces gens que Polybe appelle des demi-Grecs, anciens esclaves ou déserteurs originaires de Sicile et de Grande Grèce.
     Ces régions étaient alors, avec l’Asie Mineure, celles où le déséquilibre social était le plus menaçant. Elles furent le foyer des trois grandes guerres serviles que Rome dut réprimer en 134, en 103 et en 73. On y trouvait en effet d’énormes masses d’esclaves maltraités, agités par une propagande révolutionnaire venue d’Orient et entretenue par des mages ou des philosophes qui rêvaient de réformer l’ordre social. Spendios, qui fut le véritable instigateur de la révolte, en faisant échouer au dernier moment l’accord que Giscon était venu négocier, était un de ces demi-Grecs de Campanie réduits en esclavage par les Romains. Sitôt la rupture accomplie, les mercenaires regroupèrent des esclaves fugitifs : c’étaient les cultivateurs des domaines puniques révoltés contre leurs maîtres. Les Libyens se soulevèrent aussi en masse ; Polybe nous fait un tableau fort précis de la triste situation où étaient réduits ces pauvres gens par l’âpreté avec laquelle les carthaginois avaient levé leur tribut pendant la guerre contre Rome. Un grand nombre d’hommes se trouvaient en prison pour n’avoir pas pu s’acquitter ; les femmes avaient pourtant constitué quelques réserves, consistant surtout en leurs bijoux personnels.
     Elles les livrèrent sans hésiter aux mercenaires qui tirèrent de cette contribution l’argent nécessaire à la guerre et se payèrent sur elle de leur arriéré de solde. On retrouve dans ce trait un usage qui s’observe encore aujourd’hui chez les Bédouins du Maghreb : les pauvres économies qu’ils peuvent amasser sont investies exclusivement en bijoux d’argent, grandes fibules, bracelets, anneaux de cheville, auxquels on ne touche que dans la plus grande nécessité. Les mercenaires trouvèrent encore un appui dans les villes phéniciennes qui reprochaient à Carthage de les traiter en sujettes et non en égales. Les commerçants de ces ports souffraient évidemment gravement du monopole carthaginois sur tout le commerce extérieur. L’opposition d’intérêts se révéla plus forte que la solidarité ethnique ; lors de la dernière guerre avec Rome, sept villes, les plus importantes, Utique et Hadrumète en tête, abandonnèrent Carthage pour Rome et durent à cette défection de conserver, dans le cadre de la province romaine, une indépendance théorique.
     […]
     Le problème social n’était donc pas posé à Carthage par l’opposition des classes à l’intérieur de la cité, mais par le conflit d’éléments ethniques affectés à des tâches économiques diverses. Tous les Carthaginois, riches et pauvres, libres ou esclaves, se sentaient solidaires parce qu’ils profitaient, inégalement sans doute, de la prospérité de la cité, et que les plus misérables savaient qu’ils auraient tout à perdre à sa ruine. Ce qui se passa en Espagne lors de la prise de Carthagène par les Romains montre que ce sentiment n’était pas illusoire : la ville comprenait deux éléments : une bourgeoisie formée en majeure partie de commerçants, et une classe ouvrière qui travaillait surtout à l’arsenal ; nous ignorons son statut exact, mais elle jouissait en tout cas de la liberté juridique. Scipion se garda bien de rien changer à cette hiérarchie. Il renvoya les citoyens chez eux et annonça aux artisans qu’ils seraient désormais esclaves du peuple romain, mais qu’ils retrouveraient leur liberté à la fin de la guerre si l’on était satisfait de leur travail ; en attendant, ils furent organisés militairement en escouades de trente hommes, ayant chacune à sa tête un surveillant romain. Les autres prisonniers allèrent aux galères.
     Au contraire, les Libyens s’opposaient en bloc aux Carthaginois et n’étaient maintenus dans la dépendance que par la terreur. Les indigènes espagnols étaient dans les mêmes sentiments. Il y avait là, dans l’empire punique, une cause de faiblesse que les Romains surent fort bien exploiter. Polybe insiste beaucoup sur l’habileté de Scipion qui se présenta en libérateur aux Ibères, traitant avec beaucoup d’égard les otages rassemblés par les Puniques à Carthagène : c’étaient les familles des principaux chefs indigènes, qui répondaient du loyalisme de leur tribu. « S’étant fait amener tous les otages, qui étaient au nombre de plus de trois cents, il commença par flatter et caresser les enfants les uns après les autres, leur promettant pour les consoler que dans peu ils reverraient leurs parents… Il donna aux petites filles des pendants d’oreilles et des bracelets, et aux jeunes garçons des poignards et des épées. Sur ces entrefaits, la femme de Mandonius, frère d’Indibilis, roi des Ilergètes, vint se jeter aux pieds de Scipion, pour le conjurer les larmes aux yeux de faire traiter les matrones faites prisonnières avec plus d’égards et de bienséance que n’avaient fait les carthaginois… Alors Scipion comprit ce qu’elle voulait dire et, voyant la jeunesse des filles d’Indibilis et de plusieurs dames illustres, il ne put s’empêcher de répandre des larmes. Le mot seul de cette dame suffit pour lui faire concevoir tout ce que ces prisonnières avaient à souffrir. »
     Ce passage touchant, dont la vieille traduction de Buchon rend bien la grâce doucereuse, montre que les procédés de propagande dont on se sert pour ruiner un empire colonial n’ont guère changé depuis l’Antiquité. Les « services psychologiques » de l’armée romaine avaient fort consciencieusement préparé leur dossier « d’atrocités puniques » et, à défaut de journalistes, les historiens étaient chargés de le faire connaître à l’opinion publique des pays civilisés, c’est-à-dire de la Grèce où se formait la conscience internationale de l’époque. Il serait évidemment absurde de prendre pour parole d’Évangile cette propagande de guerre dont l’hypocrisie est évidente. Carthage ne manquait pas d’administrateurs coloniaux habiles qui savaient gagner la confiance de leurs sujets. La section de sa diplomatie qui s’occupait des rapports avec les princes indigènes compte à son actif de remarquables succès. Un de ses meilleurs agents fut cet Asdrubal, fils de Giscon, qui réussit à gagner à sa patrie l’alliance de Syphax en lui faisant épouser sa fille Sophonisbe, elle-même douée de tous les talents et de tous les attraits de la «belle espionne». Mais à cette époque le sentiment national s’éveillait chez les Libyens, et Carthage était le premier obstacle à leurs aspirations. Syphax, qui tentait d’entraver ce développement, ne put tenir devant Massinissa qui sut l’organiser et le diriger à son profit. Carthage périt ainsi pour n’avoir pas su résoudre le problème fort difficile que soulève, en pays colonial, la coexistence de populations dont le niveau de vie et la civilisation s’opposent de manière trop criante.
Delcourt, M. (1939). Périclès. Paris: Éditions Gallimard.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2011-01-02 15:24:36 Pop. 0%
      Si nous connaissions mieux le détail des événements [le bannissement des Alcméonides], nous constaterions sans doute que les terreurs religieuses y ont joué un rôle moins important que certains intérêts matériels ou politiques dont le mécanisme nous échappe.
      À la fin du moyen âge grec, au 7e et au 6e siècles, on vit dans les cités des hommes audacieux se mettre à la tête des mécontents, s’emparer du pouvoir avec leur aide et fonder des dynasties plus ou moins durables.
      Pisistrate s’empara du pouvoir une première fois en 560, avec l’aide du petit peuple. D’autres partisans s’appuyèrent sur les autres classes. Lycurgue souleva les paysans de la plaine ; Mégaclès, qui avait d’abord jugé bon de s’expatrier, revint pour travailler sa clientèle, les petits bourgeois de la côte.
      Le fils de Mégaclès, qui s’appelait Clisthènes comme son grand-père maternel, le tyran sicyonien, […] avait l’étoffe d’un vrai politique. Il conquit le pouvoir à force d’audace et de pertinacité, à la manière des tyrans, en s’appuyant sur une partie de la population, et d’abord sur l’aristocratie. Mais, ou bien elle le soutenait mollement, ou bien peut-être il conçut alors le plan qu’il devait réaliser plus tard et qui fit d’Athènes le premier gouvernement populaire. Ce qui est sûr, c’est qu’il se mit brusquement à la tête du parti du peuple.
Gorren, J. (1936). Précis de dialectique. Université ouvrière de Bruxelles.  
Added by: Dominique Meeùs 2010-11-24 15:28:02 Pop. 0%
      Platon voit les contradictions des choses et notamment des classes sociales. Il est un des premiers précurseurs du socialisme utopique. On lui doit aussi les premières notions du matérialisme historique, particulièrement celles des mobiles économiques et de la lutte des classes.
Thomson, G. (1973). Les premiers philosophes M. Charlot, Trans. Paris: Éditions sociales.  
Added by: Dominique Meeùs 2010-02-07 21:37:31 Pop. 0%
      Le mythe de la création a pour origine la réalité de la royauté mais dans la conscience humaine, divisée par la classe, ce rapport se trouva inversé, et le rôle du roi dans le rituel fut pris pour commémoration de ce que le dieu avait accompli au commencement.
      Solon prétendait qu’en se tenant à mi-chemin entre les classes opposées et en imposant de la mesure à leurs ambitions, qui elles-mêmes sont illimitées, il avait réalisé la justice sociale. C’est la première fois qu’apparaît dans la pensée grecque l’idée de la « moyenne », ou « milieu », comme il faudrait plutôt l’appeler (meson). Mais la conception pythagoricienne est différente. Pour Solon, la moyenne c’était le point situé à mi-chemin des deux extrêmes, et il s’imposait de l’extérieur. Pour les Pythagoriciens, c’est une nouvelle unité qui naît du conflit même dont elle est négation.
     La signification de cette conception devient encore plus claire si nous examinons la terminologie qui l’exprime. Les Pythagoriciens décrivent l’accord en musique (harmonia) comme « une coordination des contraires, une unification du multiple, une réconciliation de ceux qui ne pensent pas pareillement (Philolaos, fragment P 10, édition Diels-Kranz) ». Les mots dicha phronéo, « être en désaccord » et symphronasis, « réconciliation » sont doriques et ont pour équivalents attiques stasis et homonoia, correspondant aux mots latins certamen et concordia. Tous ces mots ont pour origine des rapports sociaux : stasis signifie faction ou guerre civile (en latin : certamina ordinum); homonoia signifie paix civile ou concorde (en latin : concordia). Ainsi la concorde des Pythagoriciens reflète le point de vue de la nouvelle classe moyenne, intermédiaire entre l’aristocratie foncière et la paysannerie, et qui prétendait avoir résolu la lutte des classes par la démocratie.
     Si l’on désire une preuve supplémentaire, il n’est que d’opposer leur point de vue à celui de Théognis qui a été témoin dans sa cité natale de Mégare de l’arrivée au pouvoir des démocrates qu’il détestait […]
     […]
     Théognis n’était pas philosophe. Il ne fait que décrire, du point de vue de quelqu’un qui s’y oppose violemment, les transformations sociales de son temps. Et que voit-il ? Les contraires, esthloi et kakoi, qu’en tant qu’aristocrate il veut maintenir séparés, il les voit fusionner par l’effet de l’argent de la nouvelle classe moyenne.
     Cette interprétation est si évidente qu’on peut considérer qu’elle confirme l’idée que la doctrine en question remonte aux Pythagoriciens de Crotone. Une telle philosophie ne peut s’être constituée qu’à une époque d’ascension de la nouvelle classe moyenne. On peut tirer la même conclusion de l’œuvre d’Eschyle, qui meurt en 456 avant notre ère, à peu près au moment où l’Ordre Pythagoricien perd le pouvoir. Il est expressément dit par Cicéron, qui avait étudié à Athènes, qu’Eschyle était Pythagoricien (Les Tusculanes, livre 2 § 23). Et l’authenticité de cette tradition se trouve confirmée par l’étude de ses pièces. Il n’est pas nécessaire bien sûr de supposer qu’il fut membre de la Secte, bien qu’il se soit plusieurs fois rendu en Sicile et qu’il ait très bien pu y adhérer là. Mais sans aucun doute il en connaissait la philosophie pour laquelle, en tant que démocrate modéré, il éprouvait une sympathie naturelle. Ses premières pièces datent du début du 5e siècle, alors que Pythagore était peut-être encore en vie. Comme je l’ai montré dans mon livre Eschylus and Athens, le type de drame qu’il créa : la trilogie incarne, aussi bien par sa forme que par le contenu, l’idée de la fusion des contraires dans la moyenne. Le progrès de l’humanité, selon lui, avait été un combat entre des puissances opposées, par lequel l’homme était lentement passé de la barbarie à la civilisation — combat qui avait reçu de son vivant sa solution dans l’unité nouvelle que représentait l’Athènes démocratique, la plus brillante cité que le monde ait jamais contemplée.
      Par révolution démocratique de la Grèce ancienne (elle n’eut lieu nulle part ailleurs dans l’Antiquité) nous entendons le passage du pouvoir d’État des mains de l’aristocratie terrienne à celles de la nouvelle classe des marchands. On a objecté que le terme était trop vague puisqu’il pouvait tout aussi bien s’appliquer à la révolution bourgeoise ou à la révolution socialiste. C’est exact mais sans grande importance. L’absence d’un terme plus précis provient du manque de nom spécifique pour ce qu’Engels appelle, dans son tableau de la Grèce ancienne « la nouvelle classe des riches industriels et commerçants ». Par conséquent, lorsque nous parlons de révolution démocratique, il faut comprendre que nous pensons aux Grecs de l’Antiquité qui, après tout, ont un certain droit de priorité, puisque la démocratie est toujours désignée par le nom qu’ils lui ont donné.
     Cette révolution fut en général précédée par une phase de transition qu’on appelle la tyrannie. Nous pensons donc distinguer trois étapes : l’oligarchie qui est la domination de l’aristocratie terrienne, la tyrannie et la démocratie. Cette évolution est typique mais il est évident qu’elle ne se produisit pas partout au même rythme ou avec la même régularité. Dans certains États retardataires l’étape finale ne fut jamais atteinte. Dans certains des États les plus avancés l’évolution fut arrêtée ou même l’on revint en arrière. Dans les dernières années du 5e siècle la lutte que se livraient démocrates et oligarques prit la forme d’une guerre panhellénique entre Athènes et Sparte. Les premiers tyrans appartiennent à la seconde moitié du 7e siècle : Cypsélos et Périandre à Corinthe, Théagénès à Mégare, Orthagoras à Sicyône, Thrasyboulos à Milet, Pythagore (ce n’est pas le philosophe) à Éphèse. Dans quelques cités la tyrannie fut évitée ou anticipée par un aisymnètes, ou « arbitre », désigné d’un commun accord par les factions rivales pour exercer pendant une période limitée des pouvoirs dictatoriaux. C’est le cas de Pittacos de Mytilène et de son contemporain Solon d’Athènes (594). En 545 Polycrate devint tyran de Samos et, cinq ans plus tard, aidé par un autre tyran Lygdamis de Naxos, Pisistrate réussit à imposer la tyrannie à Athènes. Les premières démocraties qui nous soient connues existaient à Chios (600) et à Mégare (590). À Mégare, quelques années plus tard, les oligarques organisèrent avec succès une contre-révolution, peut-être avec le soutien des Bacchides, qui peu après la mort de Périandre avaient repris le pouvoir à Corinthe. À Milet, la mort de Thrasyboulos fut suivie d’une guerre civile qui dura deux générations, après quoi la cité retrouva sa prospérité antérieure sous la tyrannie d’Histiaios. Entre-temps, à Naxos la tyrannie de Lygdamis avait cédé la place à une démocratie. Et à Samos aussi, après la mort de Polycrate (523), il y eut une révolution démocratique mais elle fut vaincue à la suite de l’intervention perse. Partout, après leur conquête de l’Ionie (545) les Perses avaient mis en place des tyrans qui leur étaient favorables. Aussi lorsque les Ioniens se révoltèrent (499) et à nouveau lorsque les Perses furent vaincus à la bataille de Mycale (479), la démocratie fut en général restaurée.
     En Italie et en Sicile, cette évolution commença plus tard et n’eut pas le même résultat. Les peuples non grecs de l’Italie du Sud et de la Sicile se trouvaient à un niveau culturel bien inférieur à celui des Lydiens et des Cariens et, par conséquent, il était plus facile de les exploiter. À Syracuse et probablement aussi dans d’autres cités, les Grecs des classes inférieures firent cause commune avec les indigènes contre l’aristocratie terrienne. La lutte faisait déjà rage vers le milieu du 6e siècle mais dans plusieurs cités la tyrannie n’apparaît pas comme une transition vers la démocratie mais plutôt comme l’instrument de l’unification par la violence de cités voisines. Nous savons que le philosophe Empédocle était à la tête du parti démocratique à Agrigente vers 470 (Diogène Laërce, livre 8, § 66), et un autre philosophe, Archytas le Pythagoricien, était le dirigeant élu de la démocratie à Tarente aux environs de 400 (Strabon 280).
     C’est seulement pour Athènes que la suite des événements est conservée avec assez de précision pour former un récit continu et nous serons donc obligés de considérer son histoire comme, en gros, représentative des autres cités. Après avoir suivi la montée du mouvement démocratique à Athènes, nous examinerons son reflet dans la pensée athénienne, et ayant ainsi reconstitué dans ses lignes essentielles l’idéologie de la démocratie, nous utiliserons nos résultats pour l’étude des premiers philosophes.
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