Bacon, F. (1945). Essais E. Rocart, Trans. Bruxelles: Éditions La Boétie. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2010-08-16 06:30:35 |
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J’aimerais mieux croire à toutes les fables et légendes, au Talmud et au Coran, que penser que cet assemblage de l’Univers est un corps sans âme. Si Dieu n’a jamais opéré de miracle pour convaincre les athées, son œuvre est la plus convaincante des démonstrations. Il est exact qu’un peu de philosophie incline les esprits vers l’athéisme, mais une étude plus approfondie les ramène à la religion, car tant que l’homme médite sur les causes secondes, il peut s’y arrêter parfois sans aller plus loin ; mais lorqu’il considère la chaîne indissoluble qui lie et réunit ces causes, il doit nécessairement s’élever jusqu’à la Providence et la Divinité. Bien plus, l’école-type de l’athéisme, celle de Leucippe, de Démocrite et d’Épicure, est la meilleure démonstration de l’existence de Dieu. Car il est mille fois plus juste que quatre éléments variables avec une cinquième essence, immuable, convenablement placée, peuvent se passer de Dieu, que de penser qu’un nombre infini de petites parcelles ou molécules éparses aient pu sans la direction d’une suprême intelligence produire tant d’ordre et de beauté. |
de Duve, C., Meeùs, D., & Pestieau, D. 2006, September 20Aux origines de la vie: Sur l’évolution, darwin, le dessein intelligent et la science. Solidaire. |
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Added by: admin 2009-03-01 08:18:49 |
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Du moment que vous affirmez que quelque chose n’est pas explicable, vous sortez du domaine de la science. Parce que la science est fondée sur une hypothèse de départ : que les choses sont explicables. Cela ne sert à rien de construire des laboratoires, de faire des recherches si on ne prend pas comme point de départ que ce qu’on recherche est explicable. Si je dis que quelque chose n’est pas explicable, j’exclus l’objet de ma recherche et je ferme le labo. Comme scientifique, on ne pourrait affirmer que quelque chose n’est pas explicable que quand on a épuisé toutes les possibilités d’explications. |
de Duve, C. (2013). Sept vies en une: Mémoires d’un prix nobel. Paris: Éditions Odile Jacob. |
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Added by: Dominique Meeùs 2013-01-13 09:54:03 |
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Ce que je relate, avec mon vocabulaire à moi, c’est un cheminement intérieur strictement personnel, soutenu par l’art de raisonner que m’ont inculqué les pères jésuites, par le « doute méthodique » auquel m’a initié Descartes et par la démarche scientifique de Claude Bernard que j’ai apprise de mon maître Bouckaert. Le fruit principal de ce cheminement a été le refus de tout dualisme et une prise de position ferme en faveur du monisme, non par conviction doctrinale, mais pour des raisons de simple cohérence intellectuelle. Je refuse le dualisme cartésien « matière-esprit », « corps-âme », etc., parce que je pose la question de la nature du lien par lequel les deux communiquent : matière ? esprit ? ou les deux ? Descartes ne se prononce pas sur cette question à propos de ses « esprits animaux », dont la terminologie est presque contradictoire. L’autre dualisme que je rejette est celui qui voit dans l’univers existant l’œuvre d’un Créateur, Grand Architecte, Maître Horloger ou toute autre représentation anthropomorphique tirée de notre expérience journalière. Avec d’autres, je demande qui a créé le Créateur. Si on me répond : « Il n’a pas été créé ; Il est », je demande pourquoi on juge nécessaire de faire appel à lui. Pourquoi ne pas voir tout simplement le monde comme étant lui-même incréé, la seule réalité qui inclut tout, y compris nous-mêmes ? […] C’est de telles considérations qu’est née dans mon esprit, il y a une dizaine d’années, la notion d’Ultime Réalité, qui englobe tout ce qui existe, y compris moi-même et mes semblables, en une entité unique, mais présentant plusieurs facettes accessibles chacune à une part différente du cerveau humain : 1) la facette intelligible, révélée par la science ; 2) la facette sensible, source de l’émotion artistique ; et 3) la facette éthique, d’où naît la distinction entre le bien et le mal ; soit la célèbre triade retenue, notamment, par Einstein — le vrai, le beau et le bien — à laquelle j’ajoute l’amour, qui domine tout.
Un dernier virage J’allais conclure sur cette « profession de foi », lorsqu’une dernière autocritique m’a soudain fait changer d’avis. Je me suis rendu compte que cette notion d’Ultime Réalité, que j’ai énoncée il y a dix ans et réitérée depuis à plusieurs reprises, n’était pas le fruit d’une conviction raisonnée, mais bien un simple prolongement de ce fil conducteur issu du déisme de ma première enfance qui transparaît tout au long des citations qui précèdent. Il est enveloppé d’un « flou artistique » qui me permet de prendre mes distances à l’égard d’une croyance que mon cerveau rationnel rejette, tout en continuant de baigner dans le mysticisme romantique du boy-scout qui contemple le ciel étoilé. Suite à cette constatation, la notion d’Ultime Réalité a cessé d’emporter mon adhésion. Elle est devenue pour moi une cause d’embarras et de malentendu, que je me dois de dissiper tant que j’en ai encore le temps. En effet, cette notion évoque presque immanquablement celle d’une entité intemporelle dont nous ne faisons que découvrir l’existence et la nature. Entre mon Ultime Réalité et l’Être immanent des religions monothéistes, le pas est aisément franchi. je n’en voudrais pour preuve que l’accueil favorable que ma proposition a reçu d’un grand nombre de croyants. Pour ceux que j’induirais à franchir ce pas, je dois à l’honnêteté intellectuelle de préciser que telle n’est pas mon intention. Je ne puis plus, rationnellement, me rallier à ce concept d’un Être immanent. Il existe une autre conception, défendue en dehors de toute croyance par de nombreux scientifiques, selon laquelle les qualités que j’attribue à l’Ultime Réalité ne sont que des constructions du cerveau humain, de nature strictement utilitaire, dont il se fait qu’elles ont été retenues par la sélection naturelle parce que les individus et les groupes qui s’y conformaient survivaient mieux et produisaient plus de progéniture que ceux qui les ignoraient. Si nous respectons la vérité, ce n’est pas pour sa valeur intrinsèque, mais parce que, au cours du temps, le mensonge n’a pas été payant. En dernière analyse, la sélection naturelle n’a pas favorisé ceux qui refusaient de regarder la vérité en face. Nous aspirons à la beauté, non pas comme une conception abstraite, mais comme une qualité génératrice d’émotions qui, au travers de formes perpétuellement changeantes, ont renforcé les liens que les œuvres d’art ont tissés au sein des populations qui se sont groupées autour d’elles. Nous faisons appel à l’éthique, non pas en raison d’une supériorité existentielle du bien sur le mal, mais parce que les sociétés qui se donnaient des lois l’ont emporté sur les sociétés anarchiques. On doit souligner à ce propos que la sélection naturelle joue aussi un rôle dans le domaine culturel. Toutes les innovations qui contribuent au succès évolutif de leurs auteurs tendent à être automatiquement retenues. Vue sous cet angle, la réalité se présente comme une entité que nous ne faisons pas que découvrir, comme je le suggérais, mais que nous contribuons aussi à construire, dans un cadre où le temps joue un rôle majeur. Ainsi redéfinie, l’Ultime Réalité n’est pas l’entité intemporelle que son nom évoque, mais bien une conception de mon esprit qui ne me serait pas venue à l’idée si je n’avais pas subi un endoctrinement déiste au cours de ma première enfance. On peut se demander à ce propos si la « religiosité » d’Einstein, qui a fait couler tant d’encre, sinon d’eau bénite — le mot « Dieu » semble exercer sur lui une attraction presque obsessionnelle — ne trouve pas semblablement son origine dans une synagogue où il aurait reçu sa première éducation. Examinant mon revirement à la lueur des bribes qui subsistent de mes cours de philosophie, je constate que je n’ai fait que redécouvrir pour mon compte un dilemme qui préoccupe les philosophes depuis des millénaires et qui a opposé, notamment, Aristote à son ancien maître Platon : les notions abstraites appartiennent-elles, comme le pensait Platon, à un monde métaphysique qui existe en dehors de nous et que nous découvrons ? Ou bien sont-elles des créations de l’esprit humain ? Les mathématiciens se sont posé la même question à propos de leurs concepts. Pour ma part, j’ai commencé par me ranger avec les platoniciens, comme en témoigne ce passage d’À l’écoute du vivant : « Je ne puis qu’avouer un préjugé intuitif — ou est-ce une empreinte de ma première enfance ? — en faveur de la vision platonicienne. » Je suis passé depuis de l’autre côté. Cette nouvelle vision des choses débarrasse les attributs que j’assignais à l’Ultime Réalité de tout cadre métaphysique ou ésotérique. Pour autant, elle n’exclut pas la nécessité pour nous de nous donner des valeurs. Elle demande simplement une réorganisation de ces dernières. |
De l’origine de la vie à son histoire, il n’y avait qu’un pas ou, plutôt, une série de pas dont chacun m’a demandé un nouvel effort d’étude et de réflexion concrétisé dans un nouveau livre (de Duve, 1996). Le problème était simple au départ, car seules les grandes lignes de l’évolution biologique m’intéressaient. je laissais les détails aux experts. Par contre, ce qui a considérablement enrichi et, en même temps, stimulé ma réflexion, ce fut la théorie de la sélection naturelle de Darwin, que je n’avais rencontrée précédemment que dans ma critique du livre de Monod (de Duve, 1972). Je n’avais aucune difficulté à accepter la version contemporaine de cette théorie, qui ne fait que donner un habillage chimique (par l’ADN et l’appariement de bases) à ses fondements conceptuels. Il y avait d’abord le phénomène fondamental de la réplication, source, si elle est fidèle, de la continuité génétique et, par ses inévitables infidélités, de la diversité naturelle que les cultivateurs et les éleveurs ont longtemps exploitée pour créer, par le choix des géniteurs (sélection artificielle), des espèces végétales et animales possédant certains caractères génétiques désirables qui ont remplacé la plupart des espèces dites « sauvages » dans le monde d’aujourd’hui. Il y a ensuite, empruntée à l’économiste Thomas Malthus (1766-1834), la notion de lutte pour la vie (struggle for life) comme conséquence inéluctable de cette diversité naturelle laissée à elle-même. D’où la sélection obligatoire des variants les mieux adaptés à survivre et à se reproduire dans les conditions d’environnement existantes, reconnue par Darwin et, en même temps, par son compatriote et contemporain moins connu, Alfred Russell Wallace. J’admettais en outre, avec la grande majorité des évolutionnistes, que les modifications génétiques qui offrent à la sélection naturelle les objets de ses « choix » sont le fruit d’événements strictement accidentels, récusant par la même occasion la théorie du « dessein intelligent », en partie parce que ses soi-disant « preuves » ne sont pas convaincantes et, surtout, parce qu’elle n’est pas scientifique, étant fondée sur une affirmation indémontrable et infalsifiable, selon laquelle certains phénomènes ne sont pas explicables naturellement. Par définition, la science repose sur le postulat que les choses sont explicables naturellement, que l’on n’abandonnera que s’il est mis en défaut, ce qui ne s’est encore jamais passé. Il convient de ne pas confondre ici « inexplicable » avec « inexpliqué », dont il subsiste encore de nombreux cas. Un corollaire de la vision darwinienne classique, obvie mais rarement explicité, est que la sélection naturelle ne peut agir que sur les variants inclus dans le lot qui lui est offert par le hasard. D’autres formes mieux adaptées aux conditions ambiantes pourraient exister, mais, si elles ne sont pas offertes, elles n’émergeront pas. Ici, deux extrêmes se présentent à l’esprit : Ou bien le hasard offre à la sélection naturelle tous les variants possibles, auquel cas c’est la forme optimale qui sortira — et qui sortira à répétition si la situation se reproduit. C’est ce que j’ai appelé l’optimisation sélective. Ou bien le lot offert par le hasard ne contient qu’un très petit sous-ensemble des variants possibles, auquel cas le phénomène est gouverné par la contingence et a toutes les chances de ne pas être reproductible. Je n’ai pas souvenance d’avoir jamais vu le problème présenté sous cette forme, mais j’ai toutes les raisons de soupçonner que la deuxième éventualité a été retenue intuitivement par la majorité des évolutionnistes classiques, dont Jacques Monod, François Jacob, Ernst Mayr, George Gaylord Simpson, Stephen Jay Gould, pour ne citer que les plus connus. C’est ce que déclare implicitement Monod lorsqu’il écrit : « L’Univers n’était pas gros de la vie, ni la biosphère de l’homme » ; ou ce que sous-entend Jacob quand il parle du « bricolage » de l’évolution ; ou, encore ce qu’affirme Gould dans une allégorie aussi bancale que célèbre : « Rembobinez la bande et rejouez-la à partir d’un même début, le résultat sera tout à fait différent. » L’erreur, dans ce genre d’affirmations est de confondre hasard et improbabilité. Ce n’est pas parce qu’un phénomène est régi par le hasard qu’il en devient automatiquement improbable. Tout dépend du nombre d’occasions qui lui sont données de se produire, relativement à sa probabilité. Ainsi, comme je l’ai montré par un calcul simple (de Duve, 2005), j’ai 99,9 % de chances de gagner à pile ou face si la pièce est lancée une dizaine de fois, au jet d’un dé avec trente-huit essais, et même avec un billet de loterie de sept chiffres s’il y a soixante-neuf millions de tirages, soit, en moyenne, avec un nombre d’occasions égal approximativement à sept fois l’inverse de la probabilité de l’événement. Bien entendu, la loterie ne fonctionne pas ainsi. Mais il pourrait en être autrement pour l’évolution. C’est ce que suggèrent, notamment, les nombreux cas qui ne s’expliquent que par optimisation sélective dans une optique darwinienne. Un exemple particulièrement frappant est celui du mimétisme, le phénomène, fréquent dans la nature, par lequel, par exemple, sont nés des insectes qui ressemblent à s’y méprendre à la branche ou à la feuille sur laquelle ils sont juchés, ou des poissons qui ne se distinguent pas du fond sablonneux ou couvert de galets sur lequel ils reposent. Il est évident qu’une adaptation aussi précise à l’environnement n’a pu se faire, si elle a eu lieu naturellement, que par une longue succession d’étapes dont chacune a été retenue par la sélection naturelle, ce qui sous-entend qu’à chaque étape, le lot fourni par le hasard contenait une mutation suffisamment favorable à la poursuite du processus ou, du moins, compatible avec elle pour être retenue par la sélection naturelle. Ma pensée se rapproche ainsi sous une forme plus explicite de celle des évolutionnistes de la nouvelle génération, tels que Simon Conway Morris et Richard Dawkins, qui mettent en exergue les nombreux cas de convergence évolutive, le phénomène par lequel des formes de vie géographiquement séparées répondent indépendamment par une même adaptation à un même défi environnemental. Dawkins va jusqu’à retourner contre son auteur l’allégorie de Gould en affirmant que si on « rejouait la bande », le même récit en sortirait. Éclairée par ces notions, l’évolution de la vie apparaît devoir plus à la nécessité et moins au hasard qu’on ne le croit généralement, sans qu’il soit nécessaire pour expliquer ce fait de faire appel à un principe directeur finaliste extramatériel type « dessein intelligent ». Dans ce type d’estimation, il est important également de définir clairement l’événement dont on estime la probabilité. Ainsi, au jeu de bridge, que j’ai beaucoup pratiqué dans ma jeunesse et qui est devenu le domaine d’expertise de mon fils Alain, le nombre total des distributions possibles des cinquante-deux cartes parmi les quatre joueurs est 5 × 10exp28, soit cinquante milliards de milliards de milliards. C’est dire que la probabilité que la même répartition des cartes ait jamais été distribuée deux fois par hasard depuis que le jeu existe est proche de zéro. Mais ce qui intéresse le joueur, ce n’est pas ce chiffre, c’est la chance qu’il a de réussir un contrat, par exemple trois sans atout. Ici, à en juger par la fréquence avec laquelle un tel contrat est réussi en une soirée, l’événement devient banal. De même, le nombre de séquences différentes que l’on peut réaliser avec des acides aminés appartenant, comme les constituants des protéines, à vingt espèces différentes (espace des séquences), devient matériellement irréalisable avec des longueurs dépassant une trentaine d’acides aminés. Il faudrait une masse équivalente à 10exp54 fois la masse de l’univers pour contenir un exemplaire de chaque séquence possible de cent acides aminés, la longueur d’une petite protéine naturelle. Ce fait a été utilisé par les partisans du « dessein intelligent » comme argument massue contre la notion que la vie a pu naître naturellement. Ils ne tiennent pas compte du fait que la sélection naturelle ne joue pas sur les séquences comme telles, mais sur des caractères structuraux ou fonctionnels, tels qu’une activité enzymatique, par exemple, réalisables avec de très nombreuses séquences différentes. Surtout, l’argument néglige l’itinéraire parcouru pour atteindre une séquence donnée. D’après ce que nous savons, les protéines d’aujourd’hui sont nées par la combinaison modulaire de nombreux intermédiaires (par le biais de gènes d’ADN ou d’ARN) de séquence croissante dont chacun a été produit en un nombre suffisamment petit pour faire l’objet de la sélection naturelle. En conclusion, on peut se demander ce que penserait Einstein de ces nouvelles conceptions. On sait que, déterministe jusqu’au bout des ongles, le père de la théorie de la relativité abhorrait la notion de hasard, où il ne voyait qu’un écran pour notre ignorance. Il a exprimé ce sentiment par la phrase célèbre : « Dieu ne joue pas aux dés », à laquelle je réponds, au figuré, bien entendu : « Si, car Il est sûr de gagner. » |