Mais en réalité, toute sa méthode en est le contre-pied [du matérialisme historique]. Jamais historien ne fut plus que Toynbee « idéaliste » au sens que les marxistes donnent à ce mot. S’il n’est pas insensible aux injustices sociales ; s’il accorde une très grande importance aux rivalités de classes, il n’évoque à peu près jamais, ou d’une façon très furtive, les rapports de production qui, selon les marxistes, contiennent l’explication dernière de l’Histoire. Pour Toynbee, ce sont, à coup sûr, des élites et des idées qui mènent le monde. Les masses ne jouent dans l’Histoire qu’un rôle passif. Tout va bien quand elles suivent ; tout se gâte quand elles commencent à ne pas suivre. Il est vrai qu’alors elles tirent de leurs souffrances les religions de salut. Nous touchons ici à un autre aspect de la pensée de Toynbee. Si, à certains égards, sa méthode rappelle celle des Sciences naturelles ; à un autre point de vue elle est imprégnée d’un moralisme à base chrétienne et n’est pas sans présenter plus d’une ressemblance avec la pensée de Simone Weil. La source est, d’ailleurs, un peu la même. Au fond Toynbee est avant tout un helléniste. Il invoque très souvent les mythes grecs et, quand il nous rappelle, à plusieurs reprises, le mot d’Eschyle, suivant lequel nous apprenons par la souffrance, comment n’évoquerions-nous pas les commentaires de Simone Weil sur Prométhée ? La souffrance est donc, selon lui, une source de connaissance et de spiritualité. Ce ne sont pas ceux qui jouissent, mais ceux qui souffrent qui sont le moteur de l’Histoire. |