Lewontin, R. C., Rose, S., & Kamin, L. J. (1985). Nous ne sommes pas programmés: Génétique, hérédité, idéologie M. Blanc, R. Forest & J. Ayats, Trans. Paris: Éditions La Découverte. |
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Added by: admin 2008-06-14 17:29:04 |
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Le monde réductionniste intégral tel qu’il apparaît dans les écrits sociobiologiques d’un E. O. Wilson (Sociobiology : The New Synthesis), ou d’un Richard Dawkins (Le gène égoïste) se fonde explicitement sur le dogme central de la biologie moléculaire : le gène prime ontologiquement sur l’individu et l’individu sur la société (*). Mais il se fonde tout aussi explicitement sur un ensemble de concepts économiques de gestion, en vogue dans les années soixante et soixante-dix : analyse des coûts, coûts marginaux des investissements, théorie des jeux, ingénierie et communication. Tout cela est transféré sans complexe par Wilson ou Dawkins dans le domaine naturel. En fait, ce réductionnisme intégral met en jeu un double mouvement : la vision du monde sociobiologique est tirée de l’observation de l’ordre social existant, puis, comme on peut s’y attendre et comme il est également arrivé à la théorie darwinienne de l’évolution avec le darwinisme social, elle est appliquée en retour à l’ordre social pour le légitimer […] (*) Pour Jaques Monod [Hudson 1977:212] : « On a une équivalence logique exacte entre famille et cellules. Tout ceci est entièrement écrit dans la structure des protéines qui est elle-même inscrite dans l’ADN. » |
En fait, il s’agit d’une tentative d’explication systématique de l’existence sociale de l’homme, fondée sur deux principes : les phénomènes sociaux humains sont la conséquence directe du comportement des individus ; ces comportements individuels sont la conséquence directe de caractéristiques biologiques innées. Ainsi, le déterminisme biologique est une explication réductionniste de la vie humaine, pour laquelle les « flèches » de la causalité vont des gènes aux individus humains et des individus humains à l’humanité. Mais c’est davantage qu’une explication : c’est une position politique. Car si l’organisation sociale humaine, y compris les inégalités de statut, richesse ou pouvoir, est la conséquence directe de notre biologie, alors, en dehors de tel ou tel programme gigantesque de génie génétique, aucune pratique ne peut modifier significativement la structure sociale ou la situation des individus ou des groupes au sein de celle-ci. Ce que nous sommes est naturel, et donc fixé une fois pour toutes. Lutter, faire des lois, faire des révolutions même, tout cela est vain. À la longue les différences naturelles entre individus et entre groupes, fondées sur les universaux biologiques du comportement humain, rendront impuissants tous nos efforts naïfs pour restructurer la société. Nous ne vivons peut-être pas dans le meilleur de tous les mondes concevables, mais nous vivons dans le meilleur de tous les mondes possibles. |
La croissance du déterminisme biologique au début des années soixante-dix fut précisément la réponse aux militantismes de plus en plus menaçants. Ce fut une tentative pour résister à leurs pressions en leur refusant toute légitimité. Ainsi, on a commencé à dire que les Noirs n’ont pas à réclamer des salaires et des statuts sociaux égaux, parce qu’ils sont biologiquement moins aptes à maîtriser les hautes abstractions grâce à quoi on obtient les hautes rémunérations. La revendication égalitaire féministe n’est pas fondée, puisque la domination masculine est inscrite dans nos gènes par suite d’une évolution multimillénaire. Impossible de satisfaire les parents qui veulent restructurer les écoles pour que leurs enfants « retardés » puissent y être instruits : leurs enfants ont des cerveaux défectueux. La violence des Noirs contre les propriétaires et les marchands n’est pas la révolte des dépossédés : elle découle de lésions cérébrales. À chaque mouvement militant, son explication biologique sur mesure qui le rend illégitime ! Le déterminisme biologique est une façon puissante de « blâmer la victime » dans toutes sortes de circonstances [Ryan 1971]. On peut s’attendre à le voir, de ce fait, se renforcer et se diversifier en un temps où la conscience d’être victime se répand au fur et à mesure que s’accroît l’impossibilité de satisfaire les revendications. |
L’idéologie de l’égalité est devenue une arme pour le maintien d’une société inégalitaire à partir du moment où l’on a fait passer la cause des inégalités de la structure de la société à la nature des individus. Le discours mis en place a pris la forme suivante. D’abord, on affirme que les inégalités au sein de la société sont la conséquence directe et inéluctable des différences de mérite et de capacité intrinsèques entre les individus. Chacun peut réussir, atteindre les sommets ; mais y parvenir ou non résulte de la force ou de la faiblesse de la volonté ou du caractère. Deuxièmement, alors que l’idéologie libérale adhérait à un déterminisme culturel, mettant l’accent sur le milieu et l’éducation, le déterminisme biologique affirme que les succès ou les échecs de la volonté et du caractère sont codés, pour une large part, dans les gènes des individus ; autrement dit, le mérite et le talent se transmettent par filiation de génération en génération. Enfin, le déterminisme biologique affirme que l’existence de ces différences biologiques entre individus conduit nécessairement à la création de sociétés hiérarchisées, parce qu’il est inscrit dans la nature humaine de créer des hiérarchies de statut, de richesse, de pouvoir. Ces trois arguments sont requis ensemble pour justifier complètement les structures sociales existantes avec leurs inégalités. |
Zapata, R. (1988). La philosophie russe et soviétique. Paris: Presses universitaires de France. |
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Last edited by: admin 2011-08-15 08:58:49 |
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Des militants du Parti mettent en cause l’existence même d’une philosophie marxiste. V. V. Adoratski, E. Enchmen et surtout S. Minine à partir de présupposés divers considèrent que la philosophie est par essence bourgeoise, et qu’il n’y a que la science qui peut « servir le prolétariat ». Reprenant certaines thèses du proletkult et de Bogdanov, ils estiment que la philosophie n’est qu’un leurre de l’idéologie bourgeoise et qu’elle ne peut répondre aux nouvelles questions que pose le processus révolutionnaire. Les orthodoxes de Sous la bannière du marxisme n’hésiteront pas à jeter l’anathème contre ces dissidents qui veulent lancer la philosophie « par-dessus bord ». Abandonner la philosophie aux idéalistes, ce n’est pas seulement trahir l’héritage laissé par Marx, Engels et Plékhanov, mais aussi courir le risque de tomber dans l’opportunisme politique. Argumentation qui sera reprise par le Parti dans sa condamnation des « liquidateurs » de la philosophie. |