Delcourt, M. (1939). Périclès. Paris: Éditions Gallimard. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2011-01-02 15:24:36 |
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Du reste, le grand homme d’État, c’est Clisthènes. Ce fils d’un tyran manqué, élevé parmi les aventures, sut embrasser par la pensée un vaste ensemble législatif et faire œuvre créatrice. Périclès, l’ami des philosophes, se borna à conserver et il ne put jamais dépasser la solution de quelques problèmes immédiats. Clisthènes se présenta comme l’homme qui, après une parenthèse de cinquante années, allait remettre en vigueur la constitution de Solon. Pisistrate, à vrai dire, ne l’avait jamais abolie quoiqu’il en eût gardé seulement les formes : procédé sage que les empereurs romains sauront employer pour engourdir les résistances républicaines. Le tyran avait même achevé sur un point important la réforme de Solon. Celui-ci avait trouvé le petit peuple des campagnes misérable et endetté ; les métayers vivaient du sixième de la récolte que leur laissait le propriétaire, et risquaient d’être réduits au servage comme les hilotes spartiates. Solon supprima les dettes, interdit la contrainte par corps et fit une dévaluation qui allégea le sort des paysans. Pisistrate, qui avait trouvé un appui parmi les pauvres, donna aux sixeniers la propriété des terres qu’ils cultivaient. Clisthènes pouvait donc partir d’une situation sociale assainie : Athènes ne deviendrait pas une seconde Sparte et l’aînée des filles d’lonie ne serait pas cultivée par des esclaves. Il s’agissait maintenant de donner une existence politique à ces gens établis sur la terre et accoutumés à l’indépendance personnelle. Solon avait divisé la population en quatre classes d’après leur revenu brut, c’est-à-dire d’après le nombre de mesures de blé, de vin ou d’huile récoltées sur le fonds. La cavalerie se recrutait dans les deux premières, l’infanterie dans les trois premières ; les Anciens n’ont jamais pensé qu’on puisse imposer le service militaire à des gens qui ne possédaient rien et qui étaient exclus des magistratures publiques, ce qui était le cas pour la quatrième classe, celle des thètes. Clisthènes garda ce système, mais le revenu de la terre, au lieu d’être calculé en nature, fut évalué en argent dès que l’emploi de la monnaie fut devenu courant. Du coup, la notion de classe perdit sa fixité : au cours du siècle suivant, à mesure que baissera la valeur de l’argent, on verra des hommes de la quatrième catégorie passer dans la troisième, sans être du reste moins pauvres pour cela. Clisthènes laissait les thètes à l’écart des charges individuelles, comme la stratégie et l’archontat, mais il entreprit de faire leur éducation politique en les introduisant dans les corps collectifs, l’Assemblée, le Conseil, le Tribunal. Celui-ci était composé uniquement de citoyens agissant comme des jurés. Plus tard, il fallut indemniser toutes ces petites gens qui donnaient leur temps à l’État : c’est Périclès qui devra accomplir, jusque dans leurs dernières conséquences, les réformes de son grand-oncle. |
Thomson, G. (1973). Les premiers philosophes M. Charlot, Trans. Paris: Éditions sociales. |
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Added by: Dominique Meeùs 2010-02-07 21:37:31 |
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Solon prétendait qu’en se tenant à mi-chemin entre les classes opposées et en imposant de la mesure à leurs ambitions, qui elles-mêmes sont illimitées, il avait réalisé la justice sociale. C’est la première fois qu’apparaît dans la pensée grecque l’idée de la « moyenne », ou « milieu », comme il faudrait plutôt l’appeler (meson). Mais la conception pythagoricienne est différente. Pour Solon, la moyenne c’était le point situé à mi-chemin des deux extrêmes, et il s’imposait de l’extérieur. Pour les Pythagoriciens, c’est une nouvelle unité qui naît du conflit même dont elle est négation. La signification de cette conception devient encore plus claire si nous examinons la terminologie qui l’exprime. Les Pythagoriciens décrivent l’accord en musique (harmonia) comme « une coordination des contraires, une unification du multiple, une réconciliation de ceux qui ne pensent pas pareillement (Philolaos, fragment P 10, édition Diels-Kranz) ». Les mots dicha phronéo, « être en désaccord » et symphronasis, « réconciliation » sont doriques et ont pour équivalents attiques stasis et homonoia, correspondant aux mots latins certamen et concordia. Tous ces mots ont pour origine des rapports sociaux : stasis signifie faction ou guerre civile (en latin : certamina ordinum); homonoia signifie paix civile ou concorde (en latin : concordia). Ainsi la concorde des Pythagoriciens reflète le point de vue de la nouvelle classe moyenne, intermédiaire entre l’aristocratie foncière et la paysannerie, et qui prétendait avoir résolu la lutte des classes par la démocratie. Si l’on désire une preuve supplémentaire, il n’est que d’opposer leur point de vue à celui de Théognis qui a été témoin dans sa cité natale de Mégare de l’arrivée au pouvoir des démocrates qu’il détestait […] […] Théognis n’était pas philosophe. Il ne fait que décrire, du point de vue de quelqu’un qui s’y oppose violemment, les transformations sociales de son temps. Et que voit-il ? Les contraires, esthloi et kakoi, qu’en tant qu’aristocrate il veut maintenir séparés, il les voit fusionner par l’effet de l’argent de la nouvelle classe moyenne. Cette interprétation est si évidente qu’on peut considérer qu’elle confirme l’idée que la doctrine en question remonte aux Pythagoriciens de Crotone. Une telle philosophie ne peut s’être constituée qu’à une époque d’ascension de la nouvelle classe moyenne. On peut tirer la même conclusion de l’œuvre d’Eschyle, qui meurt en 456 avant notre ère, à peu près au moment où l’Ordre Pythagoricien perd le pouvoir. Il est expressément dit par Cicéron, qui avait étudié à Athènes, qu’Eschyle était Pythagoricien (Les Tusculanes, livre 2 § 23). Et l’authenticité de cette tradition se trouve confirmée par l’étude de ses pièces. Il n’est pas nécessaire bien sûr de supposer qu’il fut membre de la Secte, bien qu’il se soit plusieurs fois rendu en Sicile et qu’il ait très bien pu y adhérer là. Mais sans aucun doute il en connaissait la philosophie pour laquelle, en tant que démocrate modéré, il éprouvait une sympathie naturelle. Ses premières pièces datent du début du 5e siècle, alors que Pythagore était peut-être encore en vie. Comme je l’ai montré dans mon livre Eschylus and Athens, le type de drame qu’il créa : la trilogie incarne, aussi bien par sa forme que par le contenu, l’idée de la fusion des contraires dans la moyenne. Le progrès de l’humanité, selon lui, avait été un combat entre des puissances opposées, par lequel l’homme était lentement passé de la barbarie à la civilisation — combat qui avait reçu de son vivant sa solution dans l’unité nouvelle que représentait l’Athènes démocratique, la plus brillante cité que le monde ait jamais contemplée. |