Althusser, L. (1974). Philosophie et philosophie spontanée des savants (1967): Cours de philosophie pour scientifiques. Paris: Librairie François Maspero. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2009-08-23 21:21:26 |
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Mais les questions philosophiques ne sont pas les problèmes scientifiques. La philosophie traditionnelle peut donner des réponses à ses questions, elle ne donne pas de solution aux problèmes scientifiques ou autres — au sens où les scientifiques donnent des solutions à leurs problèmes. Ce qui veut dire : la philosophie ne résout pas les problèmes scientifiques au lieu et place de la science ; les questions de la philosophie ne sont pas les problèmes des sciences. Ici encore, nous prenons position dans la philosophie : la philosophie n’est pas science, ni à fortiori la science, ni la science des crises de la science, ni la science du Tout. Les questions philosophiques ne sont pas ipso facto des problèmes scientifiques. |
Feltz, B. (2003). La science et le vivant: Introduction à la philosophie des sciences de la vie. Bruxelles: De Boeck. |
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Added by: Dominique Meeùs 2010-09-06 19:16:05 |
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[…] la formulation classique du principe d’émergence : « le tout est plus grand que la somme des parties ». Par une telle formulation, on veut signifier que des propriétés nouvelles apparaissent lorsque des éléments sont assemblés en un tout. Les propriétés sont nouvelles parce que chaque élément ne présente pas ces propriétés et parce que cette nouveauté n'est pas compréhensible comme simple sommation des propriétés des parties en question. Dans ce contexte, on voudrait montrer qu’un organisme présente des propriétés nouvelles par rapport aux cellules qui le constituent. Une telle formulation a grande valeur de généralité. Trop grande d'ailleurs parce que, précisément, on ne voit pas très bien quel assemblage de parties ne rencontre pas une telle formulation. |
Laplane, D. (1992). La neuropsychologie s’intéresse-t-elle à la pensée ? In H. Barreau (Ed.), Le cerveau et l’esprit (pp. 3–14). Paris: CNRS éditions. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2009-10-06 04:11:52 |
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Un peu plus loin, Sperry précise sa pensée en l’opposant aux concepts les plus répandus dans les milieux neurobiologiques ; cette énumération a au moins l’intérêt de faire connaître les modes de pensée habituels dans ce milieu imprégné de béhaviorisme matérialiste : la conscience n’est pas un épiphénomène acausal, elle n’est pas la face intérieure (internal aspect) de l’activité cérébrale, elle ne s’identifie pas aux événements neuronaux, elle n’est pas non plus un pseudo-problème injecté dans nos esprits par des gymnastiques sémantiques et destinées à disparaître grâce à une approche linguistique appropriée. La conscience n’est plus interprétée comme un corrélat simplement passif et parallèle des événements neuronaux, leur face passive ou leur sous-produit. Elle est un déterminant actif, causal, essentiel du contrôle cérébral normal. On croit rêver d’entendre de telles constatations sortir de l’un des temples du béhaviorisme ! Certes, Sperry affirme ne pas mettre en cause le dogme fondamental du béhaviorisme : les arguments anciens contre l’usage de l’introspection dans l’expérimentation scientifique demeurent. Mais on est carrément sorti du matérialisme. On comprend aussi pourquoi, affirmant que seul un esprit conscient pourrait mouvoir la matière à l’intérieur du cerveau et exercer une influence causale dans la direction et le contrôle du comportement, Sperry doit doter le cerveau droit isolé, capable de performances cognitives si remarquables, d’une conscience seule capable d’organiser son fonctionnement. Toutefois, les spiritualistes auraient tort de trop vite compter Sperry parmi leurs alliés. Bien que la conscience soit, d’après lui, une propriété « émergente », bien qu’elle ne soit pas un simple corrélat passif et parallèle de l’activité neuronale, ni la face passive ou le sous produit des événements corticaux, mais un déterminant actif et essentiel, causal du contrôle cérébral normal, les propriétés subjectives n’ont rien de « mystique », comme il désigne, dans un vocabulaire un peu singulier, ce que d’autres dénommeraient sans doute spirituel. Ce pouvoir causal réside, selon lui, dans l’organisation hiérarchique du système nerveux combinée avec la propriété universelle de tout ensemble sur ses parties… Le tout a des propriétés, en tant que système, irréductibles à celles de ses parties, et les propriétés aux niveaux supérieurs contrôlent celles des niveaux inférieurs. Dans le cas des fonctions cérébrales, les propriétés conscientes des hauts niveaux d’activité cérébrale déterminent le cours des événements neuronaux des niveaux inférieurs. Sperry souligne volontiers qu’il ne s’agit plus de matérialisme et il ne se soucie guère de qualifier cette position. Je voudrais montrer qu’il ne peut s’agir que d’idéalisme, ce qui suppose un esprit pour penser, ce dont Sperry est apparemment loin de se douter. Qu’est-ce en effet qu’un système ou un ensemble, sinon une modalité de description d’une organisation entre elles de plusieurs parties. Si on reste matérialiste, la seule réalité est le jeu des forces physiques, le mouvement des électrons ou de telle ou telle molécule. L'utilisation de la notion de système n’est certes pas interdite au matérialiste mais à condition qu’il reste parfaitement conscient qu’il se donne là une commodité dont il s’empressera de se défaire dès que possible. En tout cas, il s’interdit de l’utiliser comme un élément explicatif ou causal. L’idéaliste n’a pas à se refuser ce moyen, car la réalité du monde n’existe pas en dehors des propriétés organisatrices de son propre esprit. Le propre de l’idéalisme est de tenir la réalité pour épuisée par sa représentation, comme l’a rappelé Bergson. Dans quel cas cela pourrait-il mieux s’appliquer qu’à propos d’un système et de ses propriétés ? Si on utilise le système comme moyen d’explication, comme chaînon de causalité, c’est bien qu’il fait partie de la réalité. Mais en même temps, il est clair qu’il est en totalité « épuisé » par sa description, c’est-à-dire qu’il n’existe qu’en elle, qu’il n’existe pas dans la matérialité des choses qui constituent le système, mais seulement dans leurs rapports entre elles, c’est-à-dire dans une notion descriptive de leurs interactions. Si donc nous utilisons non pas seulement par commodité, mais comme explicative, la notion de système, non seulement nous ne sommes plus dans le matérialisme, même pas dans une de ses variétés atténuées, mais nous admettons une réalité pensante en dehors du système, le cerveau dans l’espèce. |
Lewontin, R. C., Rose, S., & Kamin, L. J. (1985). Nous ne sommes pas programmés: Génétique, hérédité, idéologie M. Blanc, R. Forest & J. Ayats, Trans. Paris: Éditions La Découverte. |
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Added by: admin 2008-06-14 17:29:04 |
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Cette compréhension, selon nous, doit être dialectique, par opposition au réductionnisme. L’explication réductionniste cherche à déduire les propriétés des « touts » des propriétés intrinsèques des parties, ces dernières propriétés caractérisant les parties avant leur assemblage en structures complexes. La démarche caractéristique du réductionnisme est d’assigner des poids relatifs à différentes causes partielles et de chercher à établir l’importance de chacune en faisant varier un seul paramètre à la fois. Au contraire, les explications dialectiques n’attribuent pas de propriétés aux parties prises isolément de leur association en « touts », mais considèrent que les propriétés des parties surgissent de leur association. Ou encore, on peut dire que les propriétés des parties et des « touts » se déterminent les unes les autres. Les caractéristiques des individus humains n’existent pas à l’état isolé : elles sont engendrées par la vie sociale ; mais la nature de cette vie sociale est de son côté une conséquence du fait que nous sommes des êtres humains et non, par exemple, des végétaux. Il s’ensuit que l’explication dialectique s’oppose aux modes d’explications culturelles ou dualistes qui séparent le monde en différentes sortes de phénomènes — culture et biologie, esprit et corps — explicables de manière différente, par des moyens qui ne se recoupent pas. Les explications dialectiques cherchent à rendre compte de l’univers matériel d’une façon cohérente, unitaire, mais non réductionniste. Pour la dialectique, l’univers est unitaire, mais en changement constant ; les phénomènes observables à tout instant font partie de processus, processus qui ont une histoire et un futur, dont les voies ne sont pas uniquement déterminées par leurs unités constitutives. Les « touts » sont composés d’unités dont on peut décrire les propriétés ; mais l’interaction de ces unités, lors de la constitution des « touts », engendre des complexités qui font que les produits obtenus sont qualitativement différents des parties constitutives. On peut penser à la cuisson d’un gâteau : le goût du produit est le résultat d’une interaction complexe d’ingrédients (beurre, sucre, farine…) exposés pendant des laps de temps différents à des températures élevées ; ce goût ne peut être décomposé en tant pour cent de farine, tant pour cent de beurre, etc., bien que chaque ingrédient (ou ce qu’il en est advenu à haute température) contribue au produit final. Dans un univers où des interactions complexes de ce genre se produisent constamment, l’histoire devient capitale. La position et l’état d’un organisme à un moment donné ne dépendent pas seulement de sa constitution à ce moment, mais aussi d’un passé qui impose diverses contingences à l’interaction présente et future de ses parties constitutives. Une telle conception du monde abolit les antithèses entre réductionnisme et dualisme, entre nature et culture, ou hérédité et environnement ; entre un monde statique et ses composantes qui interagissent mais (de manière limitée et prédéterminée en fait, au long de chemins définis à l’avance). Dans les chapitres qui suivent, l’explication de cette position apparaîtra au cours de notre critique du déterminisme biologique, par exemple dans notre analyse des relations entre génotype et phénotype (chapitre 5) et entre esprit et cerveau. |
Ollman, B. (2005). La dialectique mise en œuvre: Le processus d’abstraction dans la méthode de marx. Paris: Éditions Syllepse. |
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Added by: admin 2010-02-01 12:03:49 |
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[…] comprendre un élément de notre expérience quotidienne exige de savoir comment il est apparu et s’est développé, et comment il s’insère dans le contexte ou le système plus large dont il fait partie. Avoir conscience de cela n’est cependant pas suffisant. Car rien n’est plus facile que de retomber dans des appréciations étroitement focalisées sur les apparences. Après tout, peu de gens nieraient que tout dans le monde change et interagit à une certaine vitesse et d’une manière ou d’une autre, que l’histoire et les connexions systémiques appartiennent au monde réel. La difficulté a toujours été de trouver un moyen de penser tout cela de façon adéquate, sans en déformer les processus et en leur donnant l’attention et le poids qu’ils méritent. La dialectique cherche à surmonter cette difficulté en élargissant notre idée des choses pour y inclure, comme aspects de ce qu’elles sont, à la fois le processus par lequel elles sont devenues ce qu’elles sont et les interactions dans lesquelles elles se situent. De cette façon l’étude de toute chose induit l’étude de son histoire et du système qui l’inclut. La dialectique restructure notre pensée de la réalité en remplaçant notre notion de « chose » issue du sens commun, selon lequel une chose a une histoire et a des relations externes avec d’autres choses, par la notion de « processus », qui contient sa propre histoire et ses futurs possibles, et par celle de « relation », qui contient comme partie intégrante de ce qu’elle est ses liens avec d’autres relations. Rien n’a été ajouté ici qui n’existât déjà. Il s’agit plutôt de décider où et comment tracer les frontières, et d’établir les unités dans lesquelles ont puisse penser le monde (ce qu’on appelle, en termes dialectiques, « abstraire »). Alors que les qualités que nous percevons à travers nos cinq sens existent véritablement dans la nature, les distinctions conceptuelles qui nous indiquent où une chose se termine et où la suivante commence dans l’espace et le temps sont des constructions sociales et mentales. Aussi profond que soit l’impact du monde réel sur les frontières que nous traçons, c’est nous qui, en fin de compte, en faisons le découpage, et des personnes issues de cultures et de traditions philosophiques différentes peuvent en fait les tracer différemment. |