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Bourre, J.-M. (1990). La diététique du cerveau: De l’intelligence et du plaisir. Paris: Éditions Odile Jacob.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2016-05-30 21:33:12 Pop. 0%
      C’est au milieu de la troisième semaine du développement de l’œuf fécondé qu’apparaît la première ébauche du système nerveux. En quelques mois, plusieurs dizaines de milliards de cellules sont créées. À certains moments, leur rythme de production atteint même jusqu’à deux cent cinquante mille cellules par minute !
      La comparaison du nombre de neurones permet de conclure que, dans le cerveau humain par rapport à celui du singe, les neurones sont passés de trente et une multiplications cellulaires (les mitoses), à trente trois. On peut supposer que la mutation génétique, chromosomique, qui a contribué à la naissance de l’espèce Homo a permis au nouveau cerveau d’effectuer deux mitoses neuronales supplémentaires.
      L’absence de multiplication des neurones découle donc de leur organisation fonctionnelle. Un renouvellement cellulaire effacerait en effet les acquisitions inscrites en mémoire dans les cellules et dans les connexions intercellulaires.
      Ainsi, chaque seconde deux millions de globules rouges sont détruits et remplacés dans l’organisme humain.
      Le tissu olfactif bénéficie de la coexistence de deux mécanismes de renouvellement de vitesse différente : une cilogenèse et une neurogenèse permanentes. La durée de vie d’un cil olfactif ne dépasse pas vingt-quatre heures et de nouveaux cils sont constamment en cours d’élaboration par évagination de la membrane cellulaire. La durée de vie d’une cellule neuroréceptrice, elle, ne dépasse pas cent jours. À l’heure actuelle, la neurogenèse olfactive est la seule exception connue à la règle qui veut que le stock de neurones disponibles à la naissance ne puisse que diminuer avec l’âge !
Changeux, J.-P. (2002). L’homme de vérité M. Kirsch, Trans. Paris: Éditions Odile Jacob.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2016-05-30 21:00:01 Pop. 0%
      Des composants chimiques élémentaires aux assemblées supra-macromoléculaires, la cellule nerveuse se construit. De proche en proche et d’un niveau à l’autre, sa matière s’organise, du niveau moléculaire aux niveaux supérieurs cognitifs.
      En premier lieu, le neurone se caractérise par la propriété de conserver une forme stable avec une topologie définie du soma, des dendrites, de l’axone et des synapses. Cette forme est due essentiellement à un ensemble complexe de tubules et de filaments relativement rigide appelé « cytosquelette ». Les microtubules, par exemple, sont creux et issus de l’assemblage supra-macromoléculaire d’une protéine, la tubuline, et d’un ensemble de protéines associées […] Ces tubules rigides sont les principaux facteurs déteminant la morphologie de la cellule et ils servent également de voie de circulation de « moteurs moléculaires » qui assurent des déplacements rapides entre le corps du neurone et les extrémités de ses prolongements. Les autres filaments du cytosquelette sont fort nombreux et de composition variée. Certains d’entre eux contiennent des protéines contractiles comme l’actine, ainsi que des protéines qui les réunissent en faisceaux et interviennent dans des mouvements internes à la cellule et aussi au niveau des terminaisons nerveuses.
Changeux, J.-P. (1984). L’homme neuronal 5th ed. Paris: Fayard.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2011-01-02 15:35:12 Pop. 0%
      Jusqu’à ce point du chapitre, sauf dans son introduction, le mot « neurone » n’est pas apparu sous forme écrite. Il n’a été question que de « machine cérébrale » et des calculs qu’elle effectue sur les objets mentaux. Comme leur nom l’indique, ces objets appartiennent au mental et se situent à un niveau d’organisation très supérieur à celui de la cellule nerveuse. Faut-il pour autant les considérer comme détachés de celle-ci ? La méthode suivie au cours des chapitres précédents nous conduit à adopter l’attitude exactement inverse. La machine cérébrale est un assemblage de neurones et notre problème consiste désormais à rechercher les mécanismes cellulaires qui permettent de passer d’un niveau à l’autre, de disséquer puis de reconstruire les « objets mentaux » à partir des activités élémentaires d’ensembles définis de neurones.
      Qu’est-ce que 200 000 ou même 1 000 000 de gènes devant le nombre de synapses du cerveau humain, ou même devant le nombre de singularités neuronales en principe repérables dans le cortex cérébral de l’homme ? Il ne peut exister de correspondance simple entre la complexité d’organisation du génome et celle du système nerveux central. L’aphorisme : « un gène — un enzyme » de Beadle et Tatum (1941), en aucune manière ne devient : « un gène — une synapse ». Alors, comment expliquer que l’organisation si complexe du système nerveux central des vertébrés, se construise, de manière reproductible, à partir d’un si petit nombre de déterminants génétiques ? La réponse est à chercher dans la manière dont cette complexité se construit au cours du développement embryonnaire […]
de Duve, C. (2013). Sept vies en une: Mémoires d’un prix nobel. Paris: Éditions Odile Jacob.  
Added by: Dominique Meeùs 2013-01-13 09:54:03 Pop. 0%
      Ces considérations m’ont amené à m’intéresser au fonctionnement du cerveau. ]’ai lu Jean-Pierre Changeux, Gérald Edelman, Francis Crick et les autres spécialistes de la question et tenté de suivre les débats intenses qui mettent aux prises les neurobiologistes, les spécialistes des sciences cognitives, les psychologues et les philosophes sur la nature de la conscience, considérée par les uns comme l’agent actif de délibération et de décision révélé par notre intuition et, par les autres, comme un simple « épiphénomène », une émanation passive des processus neuronaux sous-jacents qui exécutent tout le travail sans être influencés par elle. Malgré le sentiment que j’ai d’être aux commandes, je suis de plus en plus impressionné par les indices qui paraissent démontrer que mes neurones font tout sans demander mon avis.
Edelman, G. M., & Tononi, G. (2000). Comment la matière devient conscience J.-L. Fidel, Trans. Paris: Éditions Odile Jacob.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2016-05-30 19:22:45 Pop. 0%
      Le cerveau humain adulte pèse environ 1,5 kilogramme et contient environ cent milliards de cellules nerveuses ou neurones. La structure la plus récente par son évolution, le cortex, contient environ trente milliards de neurones et un million de milliards de connexions ou synapses.
      Le cortex et le thalamus sont traditionnellement divisés en un grand nombre d’aires distinctes du point de vue fonctionnel. On le voit à différents niveaux dans l’espace. Par exemple, l’arrière du système thalamocortical est en gros dédié à la perception, alors que le devant l’est à l’action et à la planification. La plupart de ces aires corticales sont assemblées pour former des cartes : les neurones voisins d’une aire sont connectés avec les neurones voisins d’une autre aire. Différentes aires du cortex cérébral ainsi que leurs noyaux thalamiques associés sont spécialisés : certaines aires traitent des stimuli visuels, par exemple, tandis que d’autres traitent des stimuli acoustiques et d’autres encore des stimuli tactiles. Dans le système visuel, par exemple, différentes aires traitent de différentes sous-modalités : certaines de la forme visuelle, d’autres de la couleur, d’autre du mouvement, et ainsi de suite. Au sein de chaque aire, différents groupes de neurones traitent de façon préférentielle les aspects spécifiques d’un stimulus : des groupes voisins de neurones traitent, par exemple, des différentes orientations d’un stimulus visuel.
     Cependant, la ségrégation anatomique n’est qu’un aspect. L’autre est l’intégration anatomique : la plupart de ces groupes de neurones sont connectés de façon réciproque pour former certaines structures. Les neurones du même groupe situés en un endroit donné sont intimement reliés ensemble, de sorte que beaucoup d’entre eux répondent de façon simultanée lorsque le bon stimulus survient. Les groupes de neurones situés en différents endroits, mais ayant des spécificités semblables, sont de préférence connectés ensemble — par exemple, les groupes de neurones qui répondent à des arêtes verticales sont liés par des connexions réciproques de façon bien plus serrée que les groupes de neurones qui répondent à des arêtes orientées différemment. Les groupes de neurones qui répondent à des positions proches dans le champ visuel sont connectés plus fortement que les groupes qui répondent à des positions éloignées. Dès lors, lorsqu’on présente à l’œil un contour ou une ligne longue, ces groupes liés ensemble s’éveillent de façon simultanée. Les mêmes règles semblent s’appliquer à d’autres aires du cortex, qu’elles soient dédiées à la perception ou à l’action. À une échelle encore plus importante, les aires corticales contenant un grand nombre de groupes de neurones sont elles-mêmes liées par des connexions réciproques convergentes ou divergentes, qui connectent des aires dispersées à une aire locale et vice versa. Ces voies qui vont d’une aire à une autre sont souvent appelées « projections ». Par exemple, il existe au moins trois douzaines d’aires visuelles dans le système visuel des singes (et probablement davantage chez les êtres humains). Ces aires sont reliées par plus de trois cent cinq voies de connexion (certaines comptant des millions de fibres axonales), 80 % d’entre elles ayant des fibres qui vont dans les deux directions. En d’autres termes, les aires distinctes du point de vue fonctionnel sont en majeure partie connectées de façon réciproque. Ces voies constituent le principal moyen permettant l’intégration des fonctions cérébrales. Elles fournissent une base structurale importante à la réentrée. Il s’agit d’un processus de signalisation aller et retour passant par les connexions réciproques. Comme nous le verrons, c’est la clé permettant de résoudre le problème de l’intégration des propriétés d’aires du cerveau variées et distinctes du point de vue fonctionnel en l’absence d’aire centrale chargée de la coordination.
Godaux, É. (1990). Cent milliards de neurones. Éditions Labor.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2016-05-30 21:39:51 Pop. 0%
      Notre cerveau est assurément l’objet le plus complexe de l’univers. Il est constitué de plus de cent milliards de cellules nerveuses qui sont, chacune, en relation directe avec dix mille de leurs semblables. Ainsi son identité même s’affirme au travers d’une complexité gigantesque que l’on peut chiffrer à un milliard de milliards d’interactions.
      En moyenne, chaque neurone est le siège de 50 potentiels d’action par seconde. Ainsi, chaque seconde, cinq mille milliards de potentiels d’action naissent et meurent dans notre cerveau.
Lévy, J.-P. (1997). La fabrique de l’homme. Paris: Éditions Odile Jacob.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2010-01-02 08:12:20 Pop. 0%
      Au total, des phénomènes chimiques très simples, mettant en œuvre un petit nombre de molécules, expliquent l’influx nerveux de repos, sa modulation en période d’excitation et sa transmission, électrique tout le long du neurone, puis chimique dans les synapses. La nature du médiateur libéré par le neurone conditionne par ailleurs sa fonction précise : dans le cortex, les neurones les plus nombreux libèrent du glutamate et exercent ainsi une fonction activatrice, mais d’autres libèrent du GABA (acide gamma-aminobutyrique) et sont au contraire inhibiteurs de l’activation. De même, les neurones de certains noyaux du tronc cérébral envoient dans tout le cerveau de longs axones qui sécrètent de la dopamine ou de la sérotonine, ou d’autres médiateurs qui conditionnent le type de réponse des neurones récepteurs et, par conséquent, une fonction cérébrale précise. Ce qui peut surprendre finalement, c’est qu’il ne se passe rien d’autre dans les neurones que des phénomènes physiques et chimiques aussi simples, même lorsqu’il s’agit d’expliquer la pensée !
      Un cerveau à la fois banal et exceptionnel
     Au total, la fabrique de la pensée humaine ne se distingue des autres encéphales que par très peu de choses. Les neurones sont les mêmes et ils émettent les mêmes influx nerveux. Les structures sont conservées depuis les mammifères primitifs, et les mêmes organes constituent le cerveau. Seul nous caractérise le développement considérable du néocortex qui a multiplié le nombre de ses neurones et de leurs connexions, et du même coup les possibilités de diversification des aires spécialisées dans l’analyse des données, leurs associations et les décisions qui peuvent résulter de leur utilisation. Mais une autre particularité de l’homme est essentielle : son interminable capacité à restructurer son encéphale, c’est-à-dire à apprendre. Dans un sens, il a la chance de rester toute sa vie un enfant. Les systèmes nerveux des animaux les plus primitifs sont si semblables, d’un animal à l’autre, que l’on peut retrouver et numéroter chacun des neurones, dotés de fonctions strictement identiques, de l’aplysie ou de la daphnie. Avec leur multiplication, chaque neurone se dispose de façon plus variable, même si le plan d’ensemble est strictement réalisé selon un programme génétique commun, si bien qu’il serait illusoire, déjà chez la souris, de chercher à individualiser chaque cellule nerveuse. Deux souris, même de souches pures, ne sont pas absolument identiques. Chez l’homme, cette démarche serait d’autant plus vaine que le nombre des neurones s’est encore considérablement accru, mais surtout parce que la phase de structuration épigénétique, qui se poursuit des décennies, prend une place considérable et fait de chaque encéphale une entité unique. Le cerveau humain est un produit exceptionnel qui, rappelons-le, est encore loin d’avoir atteint son poids définitif à la naissance, puisqu’il pourra se multiplier ensuite par cinq, laissant d’énormes possibilités d’apprentissage, c’est-à-dire de remaniement cérébral.
      Qu’est-ce qui pense ?
     C’est dans le cerveau que naît la pensée, on le sait depuis l’Antiquité. Certes, Aristote, comme les Amérindiens et bien d’autres, la localisait dans le cœur, mais Platon et les médecins, Hippocrate ou Galien, n’avaient pas d’hésitation quant à sa localisation cérébrale. Mais qu’est-ce qui pense ? Et en quoi l’acte de penser consiste-t-il dans le cerveau ? C’est si peu évident que le dualisme cartésien (une âme qui pense, dans un corps qui fait le reste) continue de traduire la vision la plus habituelle des humains, leur conception intuitive, et cela dans les cultures les plus diverses. Il est clair, pourtant, que cette idée revient à évacuer le problème dans le surnaturel sans chercher à le résoudre. Or ce que la neurobiologie nous montre à l’évidence aujourd’hui, c’est que la matière pense, et elle seule. Un monisme matérialiste est la seule conception scientifiquement fondée désormais, et les progrès rapides de la connaissance dans ce domaine, s’ils laissent encore bien des points d’incertitude, n’en permettent pas moins d’aborder en termes biologiques ce que l’on a longtemps cru hors du champ scientifique. Les décennies qui viennent seront probablement révolutionnaires à cet égard et marqueront, du même coup, une étape majeure dans la culture de l’humanité. Majeure, et pas facile à accepter par tous !
      Le moi n’est apparemment que la perception d’un état neural, strictement présent, intégrant l’état actuel du corps et toutes les informations mémorisées sur ce corps, sur ses interactions avec le monde et même sur ses projets, qui sont en fait des souvenirs du futur possible. Il est non seulement lié au présent mais en permanence en train de se modifier au gré du présent. Quand je dis « moi », je me réfère à un ensemble d’informations sur ma machine, pour l’essentiel inconscientes, dont une fraction émerge, ou plus précisément vient juste d’émerger à ma conscience, dans un passé très récent que j’appelle « le présent ». Et ces informations vont se modifier avec ce présent

Où suis-je ? Que suis-je ? Suis-je un ou deux ?
     L’ambiguïté du moi, c’est qu’en même temps qu’il se perçoit comme corps il se ressent aussi comme quelque chose d’autre, qui en serait prisonnier. Le dualisme, l’idée d’un corps habité par un esprit, est naturel et universel. Il est à l’origine de toutes les religions. Et pourtant, tout le monde constate l’évidence de la dégradation de l’esprit avec celle du cerveau, voire de son anéantissement dans un corps atteint de la maladie d’Alzheimer, par exemple. Où serait un esprit autonome dans cette machine dont la pensée est morte ? Mais l’esprit qui se pense lui-même se place naturellement hors de son objet au cours de ce processus, il ne peut donc pas s’assimiler à la machine biologique qui le produit. L’esprit (ou l’âme, si l’on préfère) est un ensemble d’informations de la machine, sur le monde et sur elle-même, qui proviennent exclusivement de ses circuits de neurones, et sont mortelles avec eux.
     […]
     Je me pense, donc je suis. Où ? Je suis entièrement inscrit dans mon cerveau, dans un langage dont les symboles sont des réseaux activables de neurones, avec des synapses renforcées qui donnent des préférences à certains de ces réseaux, ou plutôt à certaines de leurs associations. Pourtant, le dualisme continue à obséder une grande partie des humains, même ceux qui s’occupent de sciences cognitives. Or toute la pensée ne peut venir que de la matière, du corps. Comme l’écrit Edelman, « l’esprit est un processus d’un type particulier qui dépend de certaines formes particulières d’organisation de la matière », ou encore : « Darwin avait raison : c’est la morphologie qui a donné l’esprit. Et sur ce point Wallace, qui pensait que la sélection naturelle ne pouvait pas rendre compte de l’esprit humain, avait tort. Quant à Platon, il n’avait même pas tort : il était tout simplement à côté de la question. »
     C’est peut-être le permanent remaniement de l’esprit, c’est-à-dire du cerveau, qui le produit, qui donne cette impression de localisation de la pensée hors du corps. Mon moi, « je », est un gigantesque ensemble d’informations sur le monde, mais aussi sur moi, et sur moi dans le monde. Certaines de ces informations, le noyau dur interne, sont celles de l’espèce, génétiquement transmises dans mes cerveaux anciens et à peu près inaltérables, elles font mon humanité élémentaire et mes limites. D’autres, implantées solidement, sont en particulier les acquis de ma formation depuis l’enfance, ancrés dans mon cortex mais bien contrôlés par mes circuits limbiques, avec leurs connotations affectives et leur sentiment de vérité. Elles sont, pour cela, difficiles à faire évoluer. D’autres encore, plus récentes, issues de mon néocortex, se greffent sans cesse sur cet ensemble, comme une surface bouillonnante, infiniment changeante. Étant donné son remaniement permanent sous l’effet de sa propre activité, le cerveau n’est totalement le même que dans l’instant. Sous l’influence du monde extérieur, du corps, ou de son propre bouillonnement intérieur, une information particulière émerge à la conscience et, prise en compte par le cerveau lui-même qui l’a produit, elle va du même coup le modifier. Nous sommes en permanent devenir.
Pinker, S. (1999). L’instinct du langage M.-F. Desjeux, Trans. Paris: Éditions Odile Jacob.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2009-08-15 18:07:54 Pop. 0%
      La plupart des gens instruits ont déjà leur opinion sur le langage. Ils savent que c’est l’invention culturelle la plus importante de l’homme, la quintessence de sa capacité à utiliser des symboles et que ce phénomène sans précédent le distingue irrévocablement des autres animaux. Ils savent que le langage s’infiltre dans la pensée, des langages différents amenant leurs locuteurs à construire la réalité de façon différente. Ils savent que les enfants apprennent à parler avec des personnes qui représentent des modèles de rôles et avec celles qui s’occupent d’eux. Ils savent qu’autrefois on cultivait la complexité grammaticale dans les écoles, mais que la détérioration de l’éducation et l’effondrement de la culture populaire ont entraîné un effroyable déclin dans l’aptitude du sujet moyen à construire une phrase grammaticale. Ils savent aussi que l’anglais est une langue extravagante qui défie la logique. Ils savent que George Bernard Shaw se plaignait de ce que fish pourrait tout aussi bien s’écrire ghoti (avec gh comme dans tough, o comme dans women, et ti comme dans nation), et que seule l’inertie des institutions empêche qu’on adopte un système plus rationnel, où l’on pourrait dire plus souvent « ça s’écrit comme ça se prononce ».
     Dans les pages qui suivent, je vais essayer de vous convaincre que chacune de ces idées est fausse ! Et elles sont toutes fausses pour une seule et unique raison. Le langage n’est pas un produit culturel qui s’apprend comme on apprend comment dire l’heure ou comment fonctionne le gouvernement de son pays. Au contraire, c’est une partie distincte de la structure biologique de notre cerveau. Le langage est un savoir-faire complexe et spécifique qui se développe spontanément chez l’enfant, sans effort conscient et sans apprentissage formel, qui s’articule sans qu’il en connaisse la logique sous-jacente, qui est qualitativement le même chez tous les individus et qui est distinct d’aptitudes plus générales pour traiter les informations ou se comporter avec intelligence. C’est ainsi que certains spécialistes de sciences cognitives ont décrit le langage comme une faculté psychologique, un organe mental, un système de neurones et un module de traitement de données, mais je préfère le terme, archaïque je l’admets, d’instinct. Il rend l’idée que les gens savent parler plus ou moins dans le sens où les araignées savent tisser leur toile. Le tissage de la toile d’araignée n’a pas été inventé par quelque araignée géniale et restée inconnue. Il ne dépend pas d’un enseignement approprié ni d’un talent en architecture ou d’un savoir-faire en matière de construction. Bien plutôt, les araignées construisent des toiles parce qu’elles ont des cerveaux d’araignées qui les poussent à tisser et leur donnent la compétence pour y réussir. Bien qu’il existe des différences entre les toiles d’araignées et les mots, vous devriez considérer le langage de cette manière. Cela permettra de comprendre le phénomène que nous allons explorer.
     Si l’on pense au langage en terme d’instinct, on va à l’encontre de la sagesse populaire, en particulier parce qu’elle a été modelée par les règles des sciences humaines et sociales. Le langage n’est pas plus une création culturelle que la station verticale. Ce n’est pas la manifestation d’une capacité générale à utiliser des symboles : un enfant de trois ans, comme nous le verrons, est un génie en grammaire, mais il est totalement incompétent dans les arts visuels, l’iconographie religieuse, les panneaux de signalisation et autres éléments représentatifs de la sémiotique. Bien que le langage soit une aptitude merveilleuse exclusivement réservée à Homo sapiens entre tous les êtres vivants, cela ne justifie pas qu’on exclue l’étude de l’homme du domaine de la biologie, car la possession d’une aptitude merveilleuse et unique chez une espèce vivante est loin d’être un phénomène singulier dans le règne animal. Certains types de chauves-souris se dirigent tout droit sur des insectes grâce au sonar Doppler. Certains types d’oiseaux migrateurs naviguent sur des milliers de kilomètres en calibrant la position des constellations sur le moment du jour et de l’année. Dans le spectacle des merveilles de la nature, nous ne sommes qu’une espèce de primates, qui joue son rôle avec le talent qui lui est propre, celui de communiquer des informations sur qui a fait quoi et à qui, en modulant les sons que nous produisons en soufflant.
Prochiantz, A. (1989). La construction du cerveau. Paris: Hachette.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2010-07-18 09:34:49 Pop. 0%
      Ces prolongements neuronaux ([axones] peuvent être très longs, comme ceux qui connectent les neurones moteurs de la moelle épinière à un muscle du doigt (jusqu’à un mètre chez l’homme).
      Il est […] important de comprendre que le destin des ensembles cellulaires est dicté, à ce stade, par leur position le long des axes du cerveau, exactement comme, au stade antérieur, dans la blastula, le destin des cellules était dicté par leur position le long d’autres axes. Les informations de position jouent donc un rôle majeur dans les processus de différenciation et de morphogenèse.
      Le système nerveux central de l’homme forme une manière d’engramme de son histoire personnelle ; et l’individu humain, unique, donc non clonable, résulte d’une histoire sociale. Chez les abeilles, tous les individus sont à quelque chose près (qu’il ne faut évidemment pas nier) des clones. Deux humains, fussent-ils absolument identiques sur le plan génétique, ne sont jamais des clones, parce que l’histoire de chaque individu reste singulière, de la naissance à la mort. Or, cette histoire est marquée dans la structure physique, puisqu’elle s’inscrit dans la matière cérébrale même, à cause de l’importance de l’épigenèse qui va stabiliser tel circuit ou tel autre. Et si le langage, évidemment fondamental pour ce qui est de l’humanité de l’homme, se trouve lié à la structure d’une couche cérébrale particulière, à sa conformation synaptique, au nombre de cellules qui la composent et à tout autre trait de caractère épigénétique, alors le langage d’un individu a à voir avec le processus de son individuation: avec son histoire affective, intellectuelle, d’interactions avec les autres individus dans la société.
     L’individu humain est donc un individu extrême, et en même temps un individu social extrême ; à la fois le plus individuel et le plus social des animaux; le plus individuel parce que, par nature, le plus social. Voilà qui permet, me semble-t-il, de relancer sur de nouvelles bases les discussions souvent mal engagées sur l’inné et l’acquis.
     Prenons un exemple brûlant. Je suis convaincu que la perspective développementale que l’on vient de résumer est susceptible de réduire, sinon de dissiper complètement, l’hostilité qui s’est installée entre les neurobiologistes, ou ceux qu’on appelle les psychiatres biologistes, d’une part, et le courant psychanalytique, toutes obédiences confondues, d’autre part.
     Quand les biologistes décrivent les désordres comportementaux (névroses, psychoses...) comme inscrits dans la structure neuronale du cerveau, les psychanalystes interprètent à contresens et s’imaginent qu’on veut parler de quelque chose d’inné. Ils sont persuadés qu’on soutient, ipso facto, qu’il existe, par exemple, un gène de la schizophrénie ou de la névrose obsessionnelle, et que la maladie affecte automatiquement tout individu porteur du gène.
     Il faut bien leur accorder qu’à partir de données généalogiques démontrant, pour certaines formes de maladies mentales, une composante héréditaire, il s’est trouvé quelques idéologues qui ont tenté de généraliser et d’exploiter les résultats des recherches en biologie moléculaire pour soutenir de telles aberrations radicalement et exclusivement généticistes, qui menacent toujours d’être criminelles. Rappelons-nous les premières lobotomies !
     Mais il y a là un profond malentendu. La position des neurobiologistes sérieux consiste à affirmer, tout simplement, que la plupart de ces comportements sont liés à certaines structurations des réseaux neuronaux : ce qui ne signifie nullement que ces comportements soient innés ou qu’une quelconque composante génétique les rende fatals. On peut penser, au contraire, que ce sont des structures qui se sont construites au cours du développement de l’individu et qui se sont stabilisées du fait de l’environnement affectif que l’individu a dû affronter au fil de son histoire singulière. Dans cette perspective, une structure psychique névrotique peut, de fait, très bien correspondre à une structure de réseaux neuronaux.
     Prenons le risque de heurter un peu plus les convictions idéalistes de la majorité des psychanalystes en empiétant résolument sur leur domaine. Ne peut-on penser que la cure analytique correspond à une modification des réseaux neuronaux, qui s’effectue douloureusement dans les conditions du transfert au cours de l’anamnèse (la remontée vers les souvenirs d’enfance), puisqu’on sait que les neurones restent plastiques, chez l’homme, jusqu’à un âge avancé, sinon pendant l’entière durée de sa vie ? Si l’on a un jour la possibilité de visualiser certains de ces réseaux entiers, par exemple grâce à de nouvelles techniques d’imagerie médicale, on pourra peut-être trancher. J ’aime à penser qu’on pourra voir, au cours de la cure, s’opérer la modification de certains réseaux, et le dénouement de certains « nœuds » qu’on pourrait appeler, pourquoi pas, des « nœuds névrotiques ». Il n’y a rien là qui me paraisse scandaleux du point de vue de la neurobiologie. Pourquoi les psychanalystes s’en offusqueraient-ils ? Freud lui-même aurait-il rejeté cette hypothèse ?
Vignaux, G. (1991). Les sciences cognitives: Une introduction. Paris: Éditions La Découverte.  
Added by: Dominique Meeùs 2010-11-13 16:46:16 Pop. 0%
      Dans certains cas, on découvre ainsi que les signaux synaptiques circulent avec des efficacités variables selon les branches dendritiques qu’ils suivent. On constate que dans certaines dendrites aux branchements éloignés de la cellule, il existe des régions indépendantes en quelque sorte les unes des autres, lesquelles constitueraient des sortes de sous-unités à l’intérieur desquelles apparaissent des « processus d’interactions non linéaires » entre synapses, et dont l’effet ressemblerait à une multiplication des signaux. Seul alors le résultat parviendrait au corps cellulaire — comme si ces sous-unités étaient des « coprocesseurs fonctionnant en parallèle » (R Gogan, S. Tyc-Dumont, 1988).
     En conséquence, il apparaît que la géométrie de chaque élément va déterminer d’une certaine façon les types et les capacités de traitement des informations nerveuses par le neurone. Cela se vérifie, entre autres, par cette constatation qu’une même synapse peut avoir des effets très variables selon sa localisation dans l’arborescence dendritique. À l’évidence, les effets des synapses sont tributaires de la forme dendritique qui les réceptionne, et cela va être déterminé, à chaque fois, par la configuration spatiale des synapses concernées. Sans doute, ainsi, les processus synaptiques de transmission des informations nerveuses sont-ils communs à bien des espèces, mais au moins peut-on faire l’hypothèse — sous réserve d’éventuelles remises en cause futures — que c’est bien cette géométrie tridimensionnelle des neurones qui va permettre la richesse des traitements d’informations dont ils se révèlent capables, et que cette architecturation interne au neurone, mais aussi composée et interagissante entre différentes régions du cerveau, est encore responsable de nos capacités neurobiologiques et intellectuelles supérieures aux autres espèces, notamment sous l’aspect de ces extraordinaires spécifications fonctionnelles dont témoignent l’organisation et le fonctionnement du cerveau humain (P. Gogan, S. Tyc-Dumont, 1988).
      D’une part, la plasticité cérébrale n’est pas indéfinie — quand un certain nombre d’ajustements sont terminés, les voies neuronales perdent toute capacité de se modifier — et, d’autre part, dans certaines parties du cerveau, il est essentiel, en revanche, que demeure une plasticité permanente, parce qu’il s’agit de circuits neuronaux permettant l’apprentissage et assurant au cerveau de stocker continûment de nouvelles connaissances.
Vygotski, L. S. (1985). Pensée et langage F. Sève, Trans. Paris: Messidor/Éditions sociales.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2012-05-28 00:55:41 Pop. 0%
      Ainsi le fait qu’un concept scientifique le soit en raison de sa nature même implique qu’il occupe une certaine place dans le système des concepts, laquelle détermine son rapport avec les autres concepts. L’essence de tout concept scientifique est définie avec une extrême profondeur par Marx : « Toute science serait superflue si l’apparence et l’essence des choses se confondaient [*]. » C’est là l’essence du concept scientifique. Il serait superflu si, comme le concept empirique, il reflétait l’objet dans son apparence. Aussi suppose-t-il nécessairement un autre rapport à l’objet, qui n’est possible que dans le concept, et cet autre rapport à l’objet, contenu dans le concept scientifique, suppose nécessairement à son tour, comme nous l’avons montré plus haut, l’existence de rapports entre les concepts, c’est-à-dire un système de concepts. De ce point de vue nous pourrions dire que chaque concept doit être considéré avec tout le système de ses rapports de généralité, qui détermine sa propre mesure de généralité, tout comme la cellule doit être considérée avec toutes ses dendrites, grâce auxquelles elle s’insère dans le tissu général. On comprend du même coup que sous l’angle logique la délimitation entre concepts enfantins spontanés et concepts non spontanés coïncide avec la distinction entre concepts empiriques et concepts scientifiques.
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