Cette analyse ne met pas fin au débat entre nature et culture, mais elle le replace dans une perspective nouvelle. On ne peut plus désormais parler d’inné et d’acquis sans prendre en compte à la fois les données du génome, leur mode d’expression au cours du développement, l’évolution épigénétique de la connectivité sous ses aspects anatomiques, physiologiques et comportementaux. Cela peut paraître très difficile, voire presque impossible, surtout dans le cas du cerveau humain. Pourtant, cette conception du gène et de son expression, à la fois multidimensionnelle, non linéaire et hautement contextualisée, remet en cause des formulations qui ont un impact social très fort : comme les « gènes du bonheur » ou, au contraire, de « la nature strictement constructive du développement mental », dans le premier cas, on omet l’épigenèse, dans le second, la génétique. Le développement du cerveau humain se caractérise fondamentalement par cette « ouverture de l’enveloppe génétique » à la variabilité épigénétique et à l’évolution par sélection, celles-ci étant rendues possibles par l’incorporation dans le développement synaptique d’une composante aléatoire au sein des enchaînements de croissance synaptique en cascade qui vont des débuts de l’embryogenèse jusqu’à la puberté. Chaque « vague » successive de connexions, dont le type et la chronologie sont encadrés par l’enveloppe génétique, est sans doute en corrélation avec l’acquisition de savoir-faire et de connaissances particuliers, mais aussi avec la perte de compétences […] Le savoir inné et l’apprentissage épigénétique se trouvent étroitement entrelacés au cours du développement pré- et postnatal, où se manifestent l’acquisition de savoir-faire et de connaissances, l’entrée en action de la conscience réflexive et de la « théorie de l’esprit », l’apprentissage du langage, des « règles épigénétiques » et des conventions sociales. L’épigenèse rend possibles le développement de la culture, sa diversification, sa transmission, son évolution. Une bonne éducation devrait tendre à accorder ces schémas de développement avec le matériel pédagogique approprié que l’enfant doit apprendre et expérimenter. Petit à petit se met en place ce que Pierre Bourdieu appelle l’« habitus » de chaque individu, qui varie avec l’environnement social et culturel, mais aussi avec l’histoire particulière de chacun. Le caractère unique de chaque personne se construit ainsi comme une synthèse singulière de son héritage génétique, des conditions de son développement et de son expérience personnelle dans l’environnement social et culturel qui lui est propre. Du point de vue plus général de l’acquisition des connaissances, le savoir inné et la plupart des dispositions innées à acquérir des connaissances et à en mettre à l’épreuve leur vérité de manière consciente se sont développés à travers l’évolution des espèces au niveau de l’enveloppe génétique. Par ailleurs, la durée exceptionnellement longue de l’évolution épigénétique dont dispose le cerveau humain a permis une « incorporation » dans le cerveau de caractéristiques du monde extérieur sous forme de « savoir épigénétique ». Inversement, c’est aussi ce qui a rendu possible la production d’une mémoire culturelle qui ne dépende pas directement des limites intrinsèques du cerveau humain et puisse être transmise de manière épigénétique au niveau du groupe social. |
Lors de la structuration, durant la vie intra-utérine, les zones anciennes correspondant au cerveau reptilien et même au cerveau limbique sont largement organisées par le programme génétique, sous-tendant certaines connaissances innées, ce qui n’élimine pas la possibilité de variations individuelles. En revanche, les zones récentes du néocortex ne sont organisées que dans les grandes lignes et ce sont celles-là qui vont être intensément remaniées toute la vie, permettant tous les apprentissages et toutes les restructurations mentales qui nous caractérisent. |