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Althusser, L. (1974). Philosophie et philosophie spontanée des savants (1967): Cours de philosophie pour scientifiques. Paris: Librairie François Maspero.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2009-08-23 21:21:26 Pop. 0%
      Dialectique [chez Monod]
     La même inversion.
     Dans l’Élément 1 [intra-scientifique], la dialectique est matérialiste : elle est présente dans le concept d’émergence. Ce concept d’émergence fonctionne adéquatement du point de vue scientifique, dans le domaine de la science biologique. Il y fonctionne au titre matérialiste.
     Mais quand on sort de la sphère de la biologie, pour passer à la noosphère, le concept d’émergence perd son contenu scientifique d’origine, et il est contaminé par la façon dont Monod pense la nature de son nouvel objet : l’histoire. Dans l’histoire, la dialectique fonctionne d’une manière étonnante.
     D’abord, l’émergence y prolifère : un vrai deus ex machina. Chaque fois qu’il se passe quelque chose de nouveau, une idée nouvelle, un événement nouveau, Monod prononce le mot magique : « émergence ». En règle générale, on peut dire que, lorsqu’un concept sert à penser toutes les choses, c’est qu’il risque de ne plus penser grand-chose. C’est le travers déjà dénoncé par Hegel contre Schelling appliquant partout sa théorie des pôles : du formalisme.
     Ensuite, l’émergence fonctionne dans l’histoire non sous la forme propre à l’histoire, mais sous la forme propre à la biologie : témoin la théorie de la sélection naturelle des idées, cette vieille imposture que Monod croit nouvelle.
     Enfin, qu’on le veuille ou non, et en dépit de ce que Monod avait dit du primat de l’émergence sur la téléonomie, excellemment, contre Teilhard et les finalistes, comme ce qui fait le fond de l’histoire pour Monod, c’est l’émergence de la noosphère, c’est-à-dire l’émergence de l’Esprit ; comme la noosphère est scientifiquement parlant un concept vide ; comme émergence et noosphère sont constamment associées, et de manière répétée, il en résulte un effet-philosophique objectif dans l’esprit, non de Monod sans doute, mais de ses auditeurs et de ses lecteurs. Cette insistance vide produit en fait un effet d’inversion de sens et de tendance : qu’on le veuille ou non, tout se passe comme si la noosphère était le produit le plus complexe, le plus fin, le plus extraordinaire de toute la suite des émergences, donc un produit « valorisé », sinon en droit (Monod ne le dit pas), mais en fait. La multiplication soudaine et miraculeuse des émergences dans la noosphère n’est que la manifestation en quelque sorte empirique de ce privilège de fait, mais privilège tout de même : la noosphère est la sphère privilégiée du fonctionnement de l’émergence. Alors le rapport se renverse, et tout se passe comme si la suite des émergences avait pour fin cachée, pour téléonomie, l’émergence de la noosphère. Monod peut contester cette interprétation : mais comme en fait il ne contrôle pas les notions qu’il manipule dans le domaine de l’histoire, comme il les croit scientifiques, alors qu’elles ne sont qu’idéologiques, rien d’étonnant s’il ne perçoit que l’intention de son discours, et non son effet objectif. La dialectique, matérialiste dans l’Élément 1 [intra-scientifique] est devenue idéaliste dans l’Élément 2 [extra-scientifique]. Inversion de tendance. Je reconnais volontiers que ce que je viens de dire n’est pas vraiment établi, puisque je parle seulement d’un « effet » d’écoute ou de lecture, qui est en lui-même insaisissable en dehors d’une convergence d’effets divers ; je vais analyser deux autres de ces effets pour renforcer ce que je viens de dire.
     1. Monod donne une définition de l’émergence qui contient en fait deux définitions très différentes l’une de l’autre. Son cours s’ouvre par cette définition. Je cite :
     « L’émergence, c’est la propriété de reproduire et de multiplier les structures ordonnées hautement complexes, et de permettre la création évolutive de structures de complexité croissante. »
     Il serait passionnant d’analyser de très près cette formule très réfléchie mais boiteuse. Car elle contient deux définitions différentes, deux propriétés différentes pensées sous un seul et même concept. L’émergence, c’est une double propriété : de reproduction et de création. Tout est dans le et. Car la propriété de reproduction est une chose et la propriété de création est une autre chose. Il est clair que la seconde n’a de sens scientifique en biologie que sur la base de la première : si des formes de vie n’étaient pas douées de la propriété de se reproduire et multiplier, il ne pourrait rien surgir de nouveau qui soit à la fois vivant, et plus complexe parmi elles. Il y a donc un lien entre reproduction et création. Mais il y a aussi différence, une rupture : celle du surgissement inattendu du nouveau, plus complexe que le précédent. Le petit mot et qui relie chez Monod la reproduction et la création risque de confondre les deux réalités ; en tout cas, les juxtapose. Or, une juxtaposition, ce n’est peut-être pas suffisant du point de vue scientifique. Monod ne pense donc pas entièrement, de manière satisfaisante, dès la définition qui manifestement veut désigner un des composants essentiels de l’Élément 1 [intra-scientifique] de la P.S.S. [philosophie spontanée de savant], ce qu’il dit. Monod ne distingue pas vraiment dans sa définition les deux propriétés. Pourtant, dans le domaine de la science biologique, sa pratique scientifique distingue parfaitement ce que sa définition se contente de juxtaposer : il y a des phénomènes de reproduction-multiplication, et les phénomènes de surgissement. Ce ne sont pas les mêmes phénomènes. Dans son exposé scientifique, lorsque Monod fait intervenir le terme d’émergence, c’est pratiquement toujours pour désigner le surgissement des formes nouvelles : la reproduction reste toujours dans l’ombre. De fait, elle ne joue, lorsqu’il est question du surgissement, aucun rôle scientifique pour penser le surgissement : elle désigne seulement qu’on a affaire à la vie, à des formes qui se reproduisent et se multiplient. Cette question est réglée par l’A.D.N. Donc, dans sa pratique, Monod fait bel et bien une distinction qu’il ne pense pas dans sa définition, à moins de considérer qu’il la pense sous la forme de la conjonction et, ce qui est insuffisant. […] En poursuivant cette analyse, que cette définition de l’émergence produit dans son silence central (ce mot : et) un effet tel que la « création » (ce mot n’est pas heureux) des formes nouvelles, d’une complexité « croissante », permet à la notion d’émergence de basculer insensiblement du côté d’un impensé qui fonctionne comme une finalité impensée, donc de changer de tendance : du matérialisme à l’idéalisme.
     2. On pourrait développer des considérations analogues à propos du concept de hasard chez Monod. En fait, le concept d’émergence a partie liée avec le concept de hasard. En biologie, le hasard est en quelque sorte l’indice précis des conditions de possibilités de l’émergence. Soit. Il joue depuis Épicure un rôle matérialiste positif, contre les exploitations finalistes de la biologie. Mais on peut constater que Monod conserve le même concept de hasard lorsqu’il passe de la biologie à l’histoire, à la noosphère. Pratiquement alors le couplage émergence/hasard sert à Monod à penser comme des émergences fondées sur le hasard, des phénomènes parfaitement explicables sur la base d’une science de l’histoire dont Monod ne soupçonne ou ne mentionne pas l’existence. Dans la plupart des exemples historiques de Monod (Shakespeare, le communisme, Staline, etc.), le hasard fonctionne chez Monod en sens inverse de la façon dont il fonctionne dans la biologie : non comme indice des conditions d’existence de l’émergence, mais comme théorie biologiste de l’histoire elle-même. Le symptôme frappant de cette inversion nous est fourni par le darwinisme historique de Monod. Alors qu’il ne fait pas intervenir la théorie de la sélection naturelle en biologie, il la ressort subitement et massivement en histoire, en parlant de ce grand esprit qui fera une histoire de « la sélection des idées ». Il est tout de même assez singulier de voir qu’une notion comme la sélection naturelle, que la biologie a étroitement limitée ou même profondément transformée, trouve subitement son plein emploi en histoire. Il est clair que, pour Monod, le sous-développement de l’histoire justifie qu’on y place un concept dans un emploi incontrôlé et démesuré, sans commune mesure d’ailleurs avec l’emploi que la biologie moderne fait elle-même de ce concept. Le résultat qui nous intéresse est en tout cas celui-ci : par l’usage non contrôlé qui en est fait, le hasard a changé de sens, et de tendance. Il est passé d’un fonctionnement matérialiste à un fonctionnement idéaliste. Et comme le hasard a partie liée avec l’émergence, l’émergence aussi.
Feltz, B. (2003). La science et le vivant: Introduction à la philosophie des sciences de la vie. Bruxelles: De Boeck.  
Added by: Dominique Meeùs 2010-09-06 19:16:05 Pop. 0%
      […] la qualité d’émergente accordée à une propriété apparaît fondamentalement historique. Dans l’exemple qui nous occupe, il ne fait pas de doute que les modifications des chromosomes dans la cellule seront un jour expliquées en fonction de la structure biochimique de la cellule. C’est le caractère réductionniste de programme de recherche biologique contemporaine qui est manifeste.
Levins, R., & Lewontin, R. C. (1985). The dialectical biologist. Harvard: Harvard University Press.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2020-03-03 15:30:17 Pop. 0%
      Dialectical materialism is not, and never has been, a programmatic method for the solution of particular physical problems. Rather, dialectical analysis provides us with an overview and a set of warning signs against particular forms of dogmatism and narrowness of thought. It tells us: “Remember that history may leave an important trace”; “Remember that being and becoming are dual aspects of nature”; “Remember that conditions change and that the conditions necessary to the initiation of some processes may be destroyed by the process itself”; “Remember to pay attention to real objects in space and time and not lose them utterly in idealised abstractions”; “Remember that qualitative effects of context and interaction may be lost when phenomena are isolated”, and above all else, “Remember that all the other caveats are only reminders and warning signs whose application to different circumstances of the real world is contingent”.
Madaule, J. (1953). La pensée historique de toynbee. In Le monde et l’Occident (pp. 9–65). Paris: Desclée De Brouwer.  
Added by: Dominique Meeùs 2010-07-30 00:12:20 Pop. 0%
      Qu’est-ce à dire ? C’est qu’une Civilisation naît toutes les fois que les hommes se trouvent en présence d’un défi (challenge) et qu’ils le relèvent victorieusement. La Civilisation naît donc d’une contradiction surmontée. Cette contradiction peut venir de la nature ou des hommes, peu importe. Mais rien ne saurait en tenir lieu. Voilà une idée capitale, que l’on pourrait exprimer ainsi : au commencement de toute Civilisation est un effort victorieux. Du reste, cette loi s’applique aussi bien au développement des Civilisations qu’à leur naissance.
      Je crois que nous touchons ici au défaut le plus apparent de la méthode de Toynbee, qui est de pratiquer l’extrapolati0n au delà des limites permises et d’écrire une histoire qui est bel et bien déductive, alors qu’elle se donne l’apparence d’être inductive. Il part, en effet, d’une grande hypothèse cosmique, nullement démontrée, ni même démontrable, et qu’il s’agirait ensuite de vérifier à la lumière de l’Histoire. Nous avons dit en quoi consiste cette hypothèse, qui est beaucoup plus une hypothèse de naturaliste qu’une hypothèse d’historien. L’Humanité paraît emportée dans une espèce d’Évoluti0n créatrice qui doit beaucoup aux intuitions bergsoniennes.
      Naissance, développement, breakdown, Temps des Troubles, État universel, Église et Épopée, désintégration, toutes ces catégories sont admirablement adaptées à l’exemple choisi [la Civilisation hellénique]. Mais c’est ici qu’intervient fâcheusement l’extrapolation. Il va falloir à tout prix découvrir les mêmes phases dans les autres Civilisations. Et voilà où les faits sont soumis à une rude épreuve.
      Mais en réalité, toute sa méthode en est le contre-pied [du matérialisme historique]. Jamais historien ne fut plus que Toynbee « idéaliste » au sens que les marxistes donnent à ce mot. S’il n’est pas insensible aux injustices sociales ; s’il accorde une très grande importance aux rivalités de classes, il n’évoque à peu près jamais, ou d’une façon très furtive, les rapports de production qui, selon les marxistes, contiennent l’explication dernière de l’Histoire. Pour Toynbee, ce sont, à coup sûr, des élites et des idées qui mènent le monde. Les masses ne jouent dans l’Histoire qu’un rôle passif. Tout va bien quand elles suivent ; tout se gâte quand elles commencent à ne pas suivre. Il est vrai qu’alors elles tirent de leurs souffrances les religions de salut.
     Nous touchons ici à un autre aspect de la pensée de Toynbee. Si, à certains égards, sa méthode rappelle celle des Sciences naturelles ; à un autre point de vue elle est imprégnée d’un moralisme à base chrétienne et n’est pas sans présenter plus d’une ressemblance avec la pensée de Simone Weil. La source est, d’ailleurs, un peu la même. Au fond Toynbee est avant tout un helléniste. Il invoque très souvent les mythes grecs et, quand il nous rappelle, à plusieurs reprises, le mot d’Eschyle, suivant lequel nous apprenons par la souffrance, comment n’évoquerions-nous pas les commentaires de Simone Weil sur Prométhée ? La souffrance est donc, selon lui, une source de connaissance et de spiritualité. Ce ne sont pas ceux qui jouissent, mais ceux qui souffrent qui sont le moteur de l’Histoire.
      Les historiens qui se soucient avant tout d’exactitude ont eu beau jeu de montrer combien les arguments de Toynbee sont parfois faibles et reposent ou sur des faits controuvés ou sur des faits mal interprétés. Ils lui reprochent de se contenter de documents de seconde ou de troisième main. Mais n’est-ce point là condamner le projet lui-même d’une Histoire universelle ? Il est impossible, en effet, de tenter une pareille entreprise si l’on oblige l’historien à ne parler que de ce qu’il connaît de première main. Je crois cependant qu’une pareille entreprise est à la fois légitime et nécessaire et que, si l’on doit noter les faiblesses de Toynbee, il faut en même temps reconnaître que ce qu’il a essayé devait être tenté.
     Lorsque, en effet, nous considérons dans son ensemble l’Histoire de l’humanité, nous ne pouvons pas ne pas être frappés par certaines analogies. […] Ces analogies de structure et de comportement demandent à être sérieusement étudiées, et c’est un fait qu’elles l’ont été jusqu’ici fort peu par les historiens. Au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent dans la période qu’ils ont choisie pour leur spécialité, nous les voyons insister sur les caractères propres de cette période, comme s’ils n’étaient plus capables que de saisir les différences. Tout rapprochement, toute analogie leur semblent dès lors incongrus. Cela provient à la fois d’un excès de science et d’une certaine ignorance. Ils connaissent trop bien une partie de l’Histoire, mais ils ignorent par trop tout le reste.
     […]
     La tentative était légitime, car nous disposons à présent d’un matériel suffisant pour permettre des confrontations utiles. Les derniers siècles n’ont pas seulement été des siècles d’investigation et de conquête dans le domaine géographique ; ils ont été aussi des siècles de découvertes dans le domaine de l’Histoire. […]
     Cette tentative était en outre nécessaire. […]
Ollman, B. (2005). La dialectique mise en œuvre: Le processus d’abstraction dans la méthode de marx. Paris: Éditions Syllepse.  
Added by: admin 2010-02-01 12:03:49 Pop. 0%
      […] comprendre un élément de notre expérience quotidienne exige de savoir comment il est apparu et s’est développé, et comment il s’insère dans le contexte ou le système plus large dont il fait partie. Avoir conscience de cela n’est cependant pas suffisant. Car rien n’est plus facile que de retomber dans des appréciations étroitement focalisées sur les apparences. Après tout, peu de gens nieraient que tout dans le monde change et interagit à une certaine vitesse et d’une manière ou d’une autre, que l’histoire et les connexions systémiques appartiennent au monde réel. La difficulté a toujours été de trouver un moyen de penser tout cela de façon adéquate, sans en déformer les processus et en leur donnant l’attention et le poids qu’ils méritent. La dialectique cherche à surmonter cette difficulté en élargissant notre idée des choses pour y inclure, comme aspects de ce qu’elles sont, à la fois le processus par lequel elles sont devenues ce qu’elles sont et les interactions dans lesquelles elles se situent. De cette façon l’étude de toute chose induit l’étude de son histoire et du système qui l’inclut.
     La dialectique restructure notre pensée de la réalité en remplaçant notre notion de « chose » issue du sens commun, selon lequel une chose a une histoire et a des relations externes avec d’autres choses, par la notion de « processus », qui contient sa propre histoire et ses futurs possibles, et par celle de « relation », qui contient comme partie intégrante de ce qu’elle est ses liens avec d’autres relations. Rien n’a été ajouté ici qui n’existât déjà. Il s’agit plutôt de décider où et comment tracer les frontières, et d’établir les unités dans lesquelles ont puisse penser le monde (ce qu’on appelle, en termes dialectiques, « abstraire »). Alors que les qualités que nous percevons à travers nos cinq sens existent véritablement dans la nature, les distinctions conceptuelles qui nous indiquent où une chose se termine et où la suivante commence dans l’espace et le temps sont des constructions sociales et mentales. Aussi profond que soit l’impact du monde réel sur les frontières que nous traçons, c’est nous qui, en fin de compte, en faisons le découpage, et des personnes issues de cultures et de traditions philosophiques différentes peuvent en fait les tracer différemment.
Raymond, P. (1977). Matérialisme dialectique et logique. Paris: Librairie François Maspero.  
Last edited by: Dominique Meeùs 2011-01-13 06:55:41 Pop. 0%
      Dans l’œuvre d’Engels, les expressions où il est question de « dialectique » concernent en général l’histoire, ou plus simplement la transformation, le changement, voire le mouvement. Et, de ce fait déjà, la confusion des exemples témoigne d’une fiction persévérante.
     Il s’agit donc de souligner tantôt l’impératif pratique d’évolutions ou de révolutions ; la dialectique est alors refus du conservatisme, contraire de la réaction. Tantôt la nécessité théorique et pratique de s’adonner à la science de l’histoire, naturelle ou sociale ; la dialectique est alors désir d’étendre le domaine scientifique et d’en utiliser les acquisitions au profit du premier point. Tantôt le besoin d’une philosophie qui corresponde à cette double nécessité et fasse la liaison entre théorie historique et pratique politique ; la dialectique est alors rejet de la sous-métaphysique dominante, proposition d’une philosophie nouvelle.
     L’extrême abondance des exemples où « dialectique » signifie à peu près « histoire », « transformation », « changement » ou « mouvement » confirme ces orientations générales. Dans l’Anti-Dühring, le thème dialectique recouvre la fluence universelle : « Tout est fluent » (introduction, 1) ; et si cette phrase est une constatation encore naïve, le retour à la dialectique après l’étape « analytique », où l’on « détache les détails de leur enchaînement historique ou naturel », marque le moment supérieur, scientifique, de l’héraclitéisme. Quand Engels veut spécifier cette fluence universelle, il cite à l’appui les transformations des espèces avec la théorie de Darwin, l’histoire de la nature inerte avec Kant (Histoire universelle de la nature et théorie du ciel), l’histoire de la pensée collective et individuelle à la fois avec Hegel et l’histoire sociale avec Marx. Dans la Dialectique de la nature, le thème dialectique n’est pas traité différemment : « Le changement est continuel, c’est-à-dire la suppression de l’identité abstraite avec soi », à tous les niveaux, même « dans la nature dite inorganique » ; le principe d’identité n’appartient qu’à la « vieille conception du monde », « métaphysique » (« Dialectique », a). Contre elle, il faut affirmer comme thèse fondamentale la « muabilité de la nature » ; référence est alors faite à Kant pour la nature inerte, à Lyell pour l’évolution géologique, à Darwin pour l’évolution biologique (introduction).
      Une dialectique fondée sur l’éternité du mouvement, au prix de la répétition. « Le mouvement est une contradiction », dit Engels (Anti-Dühring, chapitre 12). Mais de quel mouvement s’agit-il ? Tantôt Engels parle du mouvement mécanique : « Le simple changement mécanique de lieu […] ne peut s’accomplir que parce qu’à un seul et même moment un corps est à la fois dans un lieu et dans un autre lieu, en un seul et même lieu et non en lui » (Dialectique de la nature, « Les formes du mouvement de la matière ») (le mouvement mécanique est celui des « masses ») ; tantôt du mouvement physico-chimique (atomes et molécules) ; tantôt du mouvement organique, qui fait la synthèse des deux premiers et les rend « indissociables » : « Le mécanique y est causé directement par le physico-chimique […]. » Les divers mouvements sont associés « dialectiquement » : à chaque niveau les mouvements se convertissent les uns dans les autres et se transforment en mouvements de « qualité différente » par « accroissement quantitatif ». La dialectique consiste à suivre l’histoire de ces transformations : ce n’est pas tant le mouvement qui est dialectique que la persistance, la réciprocité et la transformation des mouvements.
     Ces mouvements, le mouvement de ces mouvements, que concernent-ils ? La confusion des exemples est là extrême : tantôt l’histoire d’une identité (une plante ou un animal), tantôt celle d’un changement d’identité (la nature, la Terre, une espèce, une société). Autrement dit, Engels gomme immédiatement l’écart entre Marx et Hegel : faut-il toujours une identité au changement ? La dialectique doit-elle être pronominale, aliénation et retrouvailles d’une identité ? Cette précipitation d’Engels est, très exactement exprimée par l’idée d’un mouvement des mouvements, d’une identité logique de la dialectique : c’est la série des trois lois de la dialectique. Fiction du 18e siècle présentée comme innovation logique à renfort de Hegel. Fiction qui implique quelques présupposés :
     — que la logique analytique classique est dépassée au profit d’une fluence synthétique. En fait, Engels confond plusieurs choses : l’identité d’un concept n’est pas celle d’un individu, mais d’un ensemble de différences et de similitudes, de répétitions et de transformations réglées, si bien que la transformation méthodique (et non historique) du concept est absurde ; l’identité d’un individu (d’un organisme par exemple) n’est pas celle d’une permanence ni d’un flux, mais d’une reproduction variable qui suppose à la fois une identité et les conditions extérieures de son exercice, si bien que la transformation est abstraite sans recours à une histoire sans identité, l’histoire d’une identité n’a même aucun sens ; un mécanisme technique implique des conditions extérieures pour une répétition, conditions qui, cette fois-ci, sont en outre celles de son identité elle-même et non seulement de sa persistance ou de son échec ; or une société n’est pas un mécanisme, économique par exemple, ni un mécanisme de mécanismes, mais l’ensemble ouvert des conditions de l’existence de mécanismes, d’identités ou de concepts. La dialectique historique entraîne donc a priori l’absence de lois logiques et non un autre type de logique : il n’y a pas de synthèse logique possible entre la logique, forcément analytique, et l’histoire ;
     — que les résultats obtenus par des savants grâce à des méthodes, de démonstration par exemple, pourraient recevoir une clarté supplémentaire d’une logique « dialectique » : en fait, ou bien il s’agit d’une histoire, et elle n’a rien à voir avec un processus démonstratif conscient (sinon réfléchi), elle n’éclaire donc que le changement de méthodes ; ou bien il s’agit d’une méthode, et elle ne peut venir après coup, comme le sentiment d’avoir « fait de la prose toute sa vie sans en avoir la moindre idée » à M. Jourdain (Anti-Dühring, « La dialectique »). Le chapitre d’Engels sur la démonstration mathématique, comme illustration de la dialectique, est ainsi le plus haut point de sa confusion ;
     — que les thèmes de l’éternel retour et de l’identité « qui contient en elle la différence » suffisent à entraîner une conception dialectique, alors qu’ils sont les bases mêmes de la philosophie antidialectique de Nietzsche à l’époque d’Engels (l’éternel retour est, chez celui-là, interprétable comme le refus de la conception métaphysique de l’identité : rien n’existe comme entité, mais comme éclatement et entrelacement d’un passé et d’un avenir, comme différence d’avec soi-même).
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