Reconnaissons-le : on peut penser tout ce qu’on voudra de ces thèmes généraux. Envisagés sous cette forme, on ne saurait leur refuser une incontestable grandeur. Vu de loin, le système de Hegel est comme une de ces cathédrales gothiques qu’on aperçoit dans un vaste paysage avec ses tours symétriques et ses clochetons réguliers. Il fait un effet énorme et grandiose. Il est colossal. Mais dès que, au lieu de se contenter d’une vue d’ensemble, on se préoccupe des détails de sa construction, on éprouve des déceptions pénibles. On croyait avoir affaire à du granit et à des murailles solides. On en vient à se demander si l’on n’a pas été enthousiasmé par un simple décor d’Opéra fait de bouts de bois rajoutés, de morceaux de toile peinte et d’astucieux faux semblants. C’est sans doute ce qui explique et l’engouement suscité au début par l’œuvre de Hegel, et le discrédit où, dans sa lettre, elle est rapidement tombée, sans compter ses renouveaux actuels. Les auditeurs de la première heure et les rénovateurs ont été et sont éblouis par les vastes perspectives qu’Hegel ouvre à leurs yeux. Mais les lecteurs quand ils ont l’esprit calme et suffisamment critique sont fatalement frappés du caractère artificiel, voulu, souvent arbitraire, jusqu’au ridicule et au calembour, de sa dialectique orgueilleuse. Nulle part, en effet, plus que chez Hegel, on ne voit danger de l’esprit de système. Thèse, antithèse, synthèse, c’est un « lit de Procuste ». Et c’est assurément un jeu qui demande beaucoup d’ingéniosité, d’imagination et de subtilité que celui qui consiste à tout y faire entrer. Mais comment pratiquer un tel jeu sans utiliser, et les artifices verbaux, et les obscurités propices, et les grandiloquences impressionnantes, et les escamotages, bref tous les procédés ordinaires des illusionnistes ? « Il n’est pas, disait Bossuet et a répété Pasteur, de pire dérèglement de l’esprit que de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient. » Formule à méditer quand on lit Hegel. |