Althusser, L. (1974). Philosophie et philosophie spontanée des savants (1967): Cours de philosophie pour scientifiques. Paris: Librairie François Maspero. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2009-08-23 21:21:26 |
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C’est à partir de cette situation contradictoire qu’on peut comprendre les rapports qui s’esquissent actuellement entre les différentes disciplines littéraires. Elles revendiquent le nom de sciences humaines, marquant, par le mot de sciences, leur prétention d’avoir mis fin à leur ancien rapport à leur objet. Au lieu d’un rapport culturel, c’est-â-dire idéologique, elles veulent instaurer un nouveau rapport : scientifique. Dans l’ensemble, elles pensent avoir réussi cette conversion, et le proclament dans le nom qu’elles se donnent, se baptisant elles-mêmes sciences humaines. Mais une proclamation peut être seulement une proclamation : une intention, un programme — mais aussi en partie un mythe, destiné à entretenir une illusion, la « réalisation d’un désir ». Il n’est pas sûr que les sciences humaines aient vraiment changé de « nature » en changeant, de nom et de méthodes. La preuve en est dans le type de rapports qui se constituent actuellement entre les disciplines littéraires : mathématisation systématique de nombre de disciplines (économie politique, sociologie, psychologie) ; et « application » des disciplines manifestement les plus avancées dans la scientificité sur les autres (rôle pilote de la logique mathématique, et surtout de la linguistique, rôle également envahissant de la psychanalyse, etc.). Contrairement à ce qui se passe dans les sciences de la nature, où les rapports sont généralement organiques, ce genre d’ « application » reste extérieur, mécanique, instrumental, technique — donc suspect. L’exemple actuel le plus aberrant de l’application extérieure d’une « méthode » (qui dans son « universalité » relève de la mode) à un objet quelconque est le « structuralisme ». Quand des disciplines sont à la recherche d’une « méthode » universelle, il y a fort à parier qu’elles ont un peu trop envie d’afficher leurs titres scientifiques pour les avoir vraiment mérités. De vraies sciences n’ont jamais besoin de faire savoir au monde qu’elles ont trouvé la recette pour le devenir. |
Dialectique [chez Monod] La même inversion. Dans l’Élément 1 [intra-scientifique], la dialectique est matérialiste : elle est présente dans le concept d’émergence. Ce concept d’émergence fonctionne adéquatement du point de vue scientifique, dans le domaine de la science biologique. Il y fonctionne au titre matérialiste. Mais quand on sort de la sphère de la biologie, pour passer à la noosphère, le concept d’émergence perd son contenu scientifique d’origine, et il est contaminé par la façon dont Monod pense la nature de son nouvel objet : l’histoire. Dans l’histoire, la dialectique fonctionne d’une manière étonnante. D’abord, l’émergence y prolifère : un vrai deus ex machina. Chaque fois qu’il se passe quelque chose de nouveau, une idée nouvelle, un événement nouveau, Monod prononce le mot magique : « émergence ». En règle générale, on peut dire que, lorsqu’un concept sert à penser toutes les choses, c’est qu’il risque de ne plus penser grand-chose. C’est le travers déjà dénoncé par Hegel contre Schelling appliquant partout sa théorie des pôles : du formalisme. Ensuite, l’émergence fonctionne dans l’histoire non sous la forme propre à l’histoire, mais sous la forme propre à la biologie : témoin la théorie de la sélection naturelle des idées, cette vieille imposture que Monod croit nouvelle. Enfin, qu’on le veuille ou non, et en dépit de ce que Monod avait dit du primat de l’émergence sur la téléonomie, excellemment, contre Teilhard et les finalistes, comme ce qui fait le fond de l’histoire pour Monod, c’est l’émergence de la noosphère, c’est-à-dire l’émergence de l’Esprit ; comme la noosphère est scientifiquement parlant un concept vide ; comme émergence et noosphère sont constamment associées, et de manière répétée, il en résulte un effet-philosophique objectif dans l’esprit, non de Monod sans doute, mais de ses auditeurs et de ses lecteurs. Cette insistance vide produit en fait un effet d’inversion de sens et de tendance : qu’on le veuille ou non, tout se passe comme si la noosphère était le produit le plus complexe, le plus fin, le plus extraordinaire de toute la suite des émergences, donc un produit « valorisé », sinon en droit (Monod ne le dit pas), mais en fait. La multiplication soudaine et miraculeuse des émergences dans la noosphère n’est que la manifestation en quelque sorte empirique de ce privilège de fait, mais privilège tout de même : la noosphère est la sphère privilégiée du fonctionnement de l’émergence. Alors le rapport se renverse, et tout se passe comme si la suite des émergences avait pour fin cachée, pour téléonomie, l’émergence de la noosphère. Monod peut contester cette interprétation : mais comme en fait il ne contrôle pas les notions qu’il manipule dans le domaine de l’histoire, comme il les croit scientifiques, alors qu’elles ne sont qu’idéologiques, rien d’étonnant s’il ne perçoit que l’intention de son discours, et non son effet objectif. La dialectique, matérialiste dans l’Élément 1 [intra-scientifique] est devenue idéaliste dans l’Élément 2 [extra-scientifique]. Inversion de tendance. Je reconnais volontiers que ce que je viens de dire n’est pas vraiment établi, puisque je parle seulement d’un « effet » d’écoute ou de lecture, qui est en lui-même insaisissable en dehors d’une convergence d’effets divers ; je vais analyser deux autres de ces effets pour renforcer ce que je viens de dire. 1. Monod donne une définition de l’émergence qui contient en fait deux définitions très différentes l’une de l’autre. Son cours s’ouvre par cette définition. Je cite : « L’émergence, c’est la propriété de reproduire et de multiplier les structures ordonnées hautement complexes, et de permettre la création évolutive de structures de complexité croissante. » Il serait passionnant d’analyser de très près cette formule très réfléchie mais boiteuse. Car elle contient deux définitions différentes, deux propriétés différentes pensées sous un seul et même concept. L’émergence, c’est une double propriété : de reproduction et de création. Tout est dans le et. Car la propriété de reproduction est une chose et la propriété de création est une autre chose. Il est clair que la seconde n’a de sens scientifique en biologie que sur la base de la première : si des formes de vie n’étaient pas douées de la propriété de se reproduire et multiplier, il ne pourrait rien surgir de nouveau qui soit à la fois vivant, et plus complexe parmi elles. Il y a donc un lien entre reproduction et création. Mais il y a aussi différence, une rupture : celle du surgissement inattendu du nouveau, plus complexe que le précédent. Le petit mot et qui relie chez Monod la reproduction et la création risque de confondre les deux réalités ; en tout cas, les juxtapose. Or, une juxtaposition, ce n’est peut-être pas suffisant du point de vue scientifique. Monod ne pense donc pas entièrement, de manière satisfaisante, dès la définition qui manifestement veut désigner un des composants essentiels de l’Élément 1 [intra-scientifique] de la P.S.S. [philosophie spontanée de savant], ce qu’il dit. Monod ne distingue pas vraiment dans sa définition les deux propriétés. Pourtant, dans le domaine de la science biologique, sa pratique scientifique distingue parfaitement ce que sa définition se contente de juxtaposer : il y a des phénomènes de reproduction-multiplication, et les phénomènes de surgissement. Ce ne sont pas les mêmes phénomènes. Dans son exposé scientifique, lorsque Monod fait intervenir le terme d’émergence, c’est pratiquement toujours pour désigner le surgissement des formes nouvelles : la reproduction reste toujours dans l’ombre. De fait, elle ne joue, lorsqu’il est question du surgissement, aucun rôle scientifique pour penser le surgissement : elle désigne seulement qu’on a affaire à la vie, à des formes qui se reproduisent et se multiplient. Cette question est réglée par l’A.D.N. Donc, dans sa pratique, Monod fait bel et bien une distinction qu’il ne pense pas dans sa définition, à moins de considérer qu’il la pense sous la forme de la conjonction et, ce qui est insuffisant. […] En poursuivant cette analyse, que cette définition de l’émergence produit dans son silence central (ce mot : et) un effet tel que la « création » (ce mot n’est pas heureux) des formes nouvelles, d’une complexité « croissante », permet à la notion d’émergence de basculer insensiblement du côté d’un impensé qui fonctionne comme une finalité impensée, donc de changer de tendance : du matérialisme à l’idéalisme. 2. On pourrait développer des considérations analogues à propos du concept de hasard chez Monod. En fait, le concept d’émergence a partie liée avec le concept de hasard. En biologie, le hasard est en quelque sorte l’indice précis des conditions de possibilités de l’émergence. Soit. Il joue depuis Épicure un rôle matérialiste positif, contre les exploitations finalistes de la biologie. Mais on peut constater que Monod conserve le même concept de hasard lorsqu’il passe de la biologie à l’histoire, à la noosphère. Pratiquement alors le couplage émergence/hasard sert à Monod à penser comme des émergences fondées sur le hasard, des phénomènes parfaitement explicables sur la base d’une science de l’histoire dont Monod ne soupçonne ou ne mentionne pas l’existence. Dans la plupart des exemples historiques de Monod (Shakespeare, le communisme, Staline, etc.), le hasard fonctionne chez Monod en sens inverse de la façon dont il fonctionne dans la biologie : non comme indice des conditions d’existence de l’émergence, mais comme théorie biologiste de l’histoire elle-même. Le symptôme frappant de cette inversion nous est fourni par le darwinisme historique de Monod. Alors qu’il ne fait pas intervenir la théorie de la sélection naturelle en biologie, il la ressort subitement et massivement en histoire, en parlant de ce grand esprit qui fera une histoire de « la sélection des idées ». Il est tout de même assez singulier de voir qu’une notion comme la sélection naturelle, que la biologie a étroitement limitée ou même profondément transformée, trouve subitement son plein emploi en histoire. Il est clair que, pour Monod, le sous-développement de l’histoire justifie qu’on y place un concept dans un emploi incontrôlé et démesuré, sans commune mesure d’ailleurs avec l’emploi que la biologie moderne fait elle-même de ce concept. Le résultat qui nous intéresse est en tout cas celui-ci : par l’usage non contrôlé qui en est fait, le hasard a changé de sens, et de tendance. Il est passé d’un fonctionnement matérialiste à un fonctionnement idéaliste. Et comme le hasard a partie liée avec l’émergence, l’émergence aussi. |
Aristote. (2000). Metaphysique: Tome1, livres α — ζ J. Tricot, Trans. Vol. 1. Paris: Librairie philosophique J. Vrin. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2013-07-13 13:08:29 |
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(Livre Α, 5, 986 a 22) D’autres, parmi ces mêmes philosophes [les Pythagoriciens], reconnaissent dix principes, qu’ils rangent en deux colonnes parallèles [κατά συστοιχίαν] : Limité et Illimité, Impair et Pair, Un et Multiple, Droite et Gauche, Mâle et Femelle, en Repos et Mû, Rectiligne et Courbe, Lumière et Obscurité, Bon et Mauvais, Carré et Oblong. — Sensiblement la même parait avoir été la doctrine d’Alcméon de Crotone, soit que celui-ci ait reçu ses idées des Pythagoriciens, ou ces derniers, d’Alcméon, car il florissait au temps de la vieillesse de Pythagore, et les doctrines sont presque identiques. Il dit, en effet, que la plupart des choses humaines vont par deux, désignant par là non pas des contrariétés définies comme celles des Pythagoriciens, mais des contrariétés prises au hasard : par exemple, le Blanc et le Noir, le Doux et l’Amer, le Bien et le Mal, le Grand et le Petit. Ainsi donc, ce philosophe a émis des idées informes sur le reste, tandis que les Pythagoriciens se sont expliqués clairement sur le nombre et la nature de leurs contrariétés. — De ces deux écoles nous pouvons donc retenir que les contraires sont les principes des êtres, et l’une d’elles peut nous renseigner sur le nombre et la nature de ces principes. Mais comment il est possible de les réduire aux causes dont nous avons parlé, c’est ce qui n’a pas été nettement articulé par ces philosophes ; ils semblent pourtant ranger les éléments sous l'idée de matière, car c’est à partir de ces éléments, pris comme parties immanentes de toutes choses, qu’est, disent-ils, constituée et façonnée la substance. |
Aristote. Περὶ τῶν σοφιστικῶν ἐλέγχων: Réfutations des sophistes J. Barthélémy Saint-Hilaire, Trans. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2010-12-22 21:29:47 |
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Ὁμοίως δὲ καὶ τὸ παρὰ τὸ πῂ καὶ τὸ ἁπλῶς· οἷον ὁ Ἰνδός, ὅλος μέλας ὤν, λευκός ἐστι τοὺς ὀδόντας· λευκὸς ἄρα καὶ οὐ λευκός ἐστιν. Ἢ εἰ ἄμφω πῄ, ὅτι ἅμα τὰ ἐναντία ὑπάρχει. Τὸ δὲ τοιοῦτον ἐπ´ ἐνίων μὲν παντὶ θεωρῆσαι ῥᾴδιον, οἷον εἰ, λαβὼν τὸν Αἰθίοπα εἶναι μέλανα, τοὺς ὀδόντας ἔροιτ´ εἰ λευκός· εἰ οὖν ταύτῃ λευκός, ὅτι μέλας καὶ οὐ μέλας οἴοιτ´ 〈ἂν〉 διειλέχθαι, συλλογιστικῶς τελειώσας τὴν ἐρώτησιν. Ἐπ´ ἐνίων δὲ λανθάνει πολλάκις, ἐφ´ ὅσων, ὅταν πῂ λέγηται, κἂν τὸ ἁπλῶς δόξειεν ἀκολουθεῖν, καὶ ἐν ὅσοις μὴ ῥᾴδιον θεωρῆσαι πότερον αὐτῶν κυρίως ἀποδοτέον. Γίνεται δὲ τὸ τοιοῦτον ἐν οἷς ὁμοίως ὑπάρχει τὰ ἀντικείμενα· δοκεῖ γὰρ ἢ ἄμφω ἢ μηδέτερον δοτέον ἁπλῶς εἶναι [κατηγορεῖν]· οἷον, εἰ τὸ μὲν ἥμισυ λευκὸν τὸ δ´ ἥμισυ μέλαν, πότερον λευκὸν ἢ μέλαν; (On confond de même et la restriction et le sens absolu ; par exemple, si l’Indien étant tout à fait noir il est cependant blanc par les dents, il est tout à la fois blanc et non blanc ; ou bien s’il est les deux, en quelque façon à la fois, il faut donc que les contraires coexistent en lui. Tout le monde peut aisément voir dans certains cas des paralogismes de ce genre ; par exemple, si supposant que l’Éthiopien est noir, on demande s’il est blanc par les dents. Si donc il est blanc de cette façon, on pourra croire avoir prouvé par syllogisme qu’il est noir et non noir tout à la fois, quand on aura terminé son interrogation. Mais cette erreur reste souvent cachée : et c’est dans tous les cas où lorsqu’on dit la chose avec une restriction, le sens absolu semblerait devoir suivre, et dans tous ceux où il n’est pas facile de voir lequel des deux sens on doit prendre au propre. Et cela se présente toutes les fois que les opposés sont également au sujet. Il paraît, en effet, ou que les deux en même temps, ou que ni l’un ni l’autre, ne doivent être attribués absolument : par exemple, si une moitié est blanche et l’autre moitié noire, on demande si la chose est blanche ou noire ? |
Balibar, F. (1984). Galilée, newton lus par einstein: Espace et relativité. Paris: Presses universitaires de France. |
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Added by: Dominique Meeùs 2010-10-06 04:44:57 |
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La physique aristotélicienne établit une différence de nature intrinsèque entre repos et mouvement liée à l’existence d’un ordre cosmique en vertu duquel chaque objet possède dans l’Univers une place, un « lieu » qui lui est propre — car il est conforme à sa nature —, vers lequel il tend à revenir s’il en est écarté, et où il reste immobile si rien ne vient l’en déloger. La tendance au repos est en quelque sorte constitutive de la matière. Le mouvement, par contre, est conçu soit comme un retour à l’ordre (c’est ce qu’Aristote appelle mouvement naturel, car le corps y réalise sa tendance naturelle au repos en son lieu naturel), soit comme une rupture contre-nature de cet ordre qui ne peut être provoquée que de façon violente (et que pour cette raison Aristote appelle mouvement violent). Repos et mouvement sont donc conçus comme des notions contraires, s’excluant l’une l’autre : un même corps est soit au repos, soit en mouvement ; mais s’il est au repos, il l’est absolument. S’il en est ainsi c’est qu’il existe un lien direct entre le mouvement d’un corps et sa constitution interne. Le mouvement est une transformation qui affecte la nature intime du corps ; il n’est donc pas équivalent, pour un même corps, d’être au repos ou d’être en mouvement. De ce point de vue, le mouvement aristotélicien se compare tout à fait à ce que la physique moderne nomme un changement d’état et dont l’évaporation, passage, pour un même corps, de l’état liquide à l’état vapeur, constitue le prototype. Dans les deux cas, il y a passage d’un état physique à un autre : passage de l’état liquide à l’état gazeux dans le cas de la vaporisation ; passage de l’état de repos en un certain lieu à un état de repos dans un autre lieu, dans le cas du mouvement selon Aristote. Dans les deux cas, ce passage est corrélatif d’une modification de la structure interne du corps, modification qui doit être provoquée par un agent extérieur. On sait que dans le cas de la transformation liquide-vapeur, l’agent, « moteur » de la transformation, est constitué par une source de chaleur extérieure, laquelle en augmentant l’agitation des molécules constitutives du corps rompt leurs liaisons ; à une structure interne ordonnée des molécules dans l’état liquide fait ainsi place une structure désordonnée caractéristique de l’état gazeux. De même, chez Aristote, le changement que constitue le mouvement ne peut se concevoir sans cause, sans moteur. Dans le cas du mouvement naturel, ce moteur est la nature même du corps qui tend à le ramener à sa place naturelle ; dans le cas du mouvement violent, le moteur est externe, exerçant une action continue par contact — soit pression, soit traction — sur le corps en mouvement. Quoi qu’il en soit, le mouvement du corps se marque par une modification de structure interne. D’où il s’ensuit que le type de mouvement dont un corps est capable dépend de sa composition physique. La physique aristotélicienne distingue quatre éléments constitutifs de la matière : eau, terre, feu, air. « Les éléments et les mouvements se correspondent chacun à chacun » (Aristote, Traité du Ciel, chap. I). Ainsi la Terre, constituée de l’élément terre dont la nature est d’être attiré par le centre du Monde, s’y trouve-t-elle rassemblée tout entière ; et immobile de surcroît, puisqu’elle occupe alors son lieu naturel. Les astres, par contre, d’essence éternelle et immuable comme tout ce qui est dans les Cieux, ne peuvent se réaliser qu’en tournant indéfiniment autour de ce centre. Quant aux corps sublunaires (c’est-à-dire terrestres), corruptibles et altérables par essence, ils sont — par essence également — soumis au changement, donc au mouvement. Mouvement qui non seulement les transporte d’un lieu en un autre, mais les modifie également, jusqu’à ce qu’ayant rejoint leur lieu naturel, ils se soient enfin réalisés. Le repos, on le voit, est pensé, non pas comme un mouvement nul, mais comme son terme et sa finalité. En ce sens, il en diffère radicalement, absolument. Il ne peut y avoir équivalence entre eux. C’est une conception toute différente qui est défendue par Salviati dans le texte (Galilei, 1632) cité ci-dessus. « Le mouvement est mouvement et agit comme mouvement en tant qu’il est en relation avec des choses qui en sont privées. » Le mouvement, donc, n’est pas un changement, corrélatif d’une transformation. C’est une modification des relations, des rapports entre les choses ; ce n’est que cela. Car cette modification laisse les choses elles-mêmes complètement indifférentes. Qu’elles soient en mouvement ou au repos ne les affecte nullement dans leur être ; le mouvement est un état au même titre que le repos ; pas plus que le repos, le mouvement n’est un changement d’état. Les choses sont extérieures à leur mouvement. Ainsi se trouve affirmée l’équivalence entre repos et mouvement. Ou dit d’une autre façon : le mouvement d’un corps n’est pas l’indice d’une structure interne particulière. Par contre, le mouvement — et le repos — sont l’indice d’une tout autre chose : l’évolution des rapports entre les corps. Ce qui revient à dire que le mouvement ne concerne jamais un seul corps isolé ; contrairement au changement qui n’affecte qu’un seul corps, le mouvement — et le repos — ne se conçoivent qu’à deux. Lorsqu’on bouge (ou reste au repos), ce n’est pas par rapport à soi-même, mais par rapport aux autres. Mouvement et changement sont dissociés. |
Blondeau, R. A. (1991). Wetenschap in de taal der vlamingen: Vanaf jacob van maerlant tot de stichting van de akademiën. Gand: Reinaert — Het Volk n.v. |
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Added by: Dominique Meeùs 2020-09-30 18:53:20 |
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Weerdicheyt der Duytsche Tael Stevin is niet uit principiële overtuiging een voorstander en een onvermoeibare verdediger geweest van zijn moedertaal, maar dit is geleidelijk tot stand gekomen omdat hij als man van de toegepaste wetenschap, meer te doen had met Latijn- en Grieksonkundigen, met mensen uit de praktijk, dan met geschoolde denkers. Hoewel zijn eerste werkje, Tafelen van Interest (1582), reeds in de volkstaal werd geschreven — omdat handelaars en rekenplichtigen geen wetenschapsmensen waren —, toch maakte hij hier nog overvloedig gebruik van vreemde woorden, voorzeker omdat hij dacht dat bepaalde termen die konden afgeleid worden uit de volkstaal, minder zouden begrepen worden, ofwel omdat hij hiervoor nog onvoldoende was gemotiveerd. Zijn volgend werk, Problematum Geometricorum (1583), was bovendien volledig in het Latijn geschreven. Op dit gebied moet er zich echter in de volgende jaren een ommekeer voltrokken hebben. Op aandringen van „vrienden en landgenoten”, en omdat hij vastgesteld had dat velen door het lezen van boeken zich wisten te bekwamen in de Arithmetika, de Algebra, de Geometrie en de Astronomie, maar dit niemand tot de Conste der Dialectiken had gebracht, en hij de oorzaak hiervan meende te vinden in het ontbreken van een werkje hierover in „onse Neerduytsche Tale”, zorgde hij zelf voor een dergelijke handleiding : Dialectike ofte Bewijs-const (1585), „een schoolse uiteenzetting van de redeneerkunst”. Daarin deed hij een bijzondere poging om zoveel als mogelijk termen uit de volkstaal te gebruiken, en hij stelde voor arithmetika te vervangen door telconst, geometrie door meetconst, musike door singconst, grammatika door letterconst, dialectike door bewijsconst, enz. Toch slaagde hij er niet in vreemde of bastaardwoorden volledig te weren, uit vrees niet begrepen te worden, maar aan het slot van de uiteenzetting gaf hij een lijst van zeven bladzijden, waarin zijn Nederlandse vertaling naast de Latijnse termen kwamen te staan. In dit werkje komt bij wijze van voorbeeld een „corte Dialectikelicke t’Samenspraeck” voor, tussen Jan en Pieter, waarin de bruikbaarheid van de Nederduytsche Tale bij de redeneerkunst wordt besproken. Het betoog was voornamelijk gesteund op het groot aantal eenlettergrepige woorden die veel samenstellingen toelieten. Nog hetzelfde jaar (1585) verscheen De Thiende, waarin hij een werk over sterrenkunde in het vooruitzicht stelt dat zal geschreven worden „in onse Duytsche Tale, dat is inde aldercierlicste alderrijckste, ende aldervolmaeckste Spraecke der Spraecken, van wiens groote besonderheydt wy cortelick noch al veel breeder ende seeckerder betooch verwachten, dan Pieter ende Ian daer af ghedaen hebben inde Bewijsconst ofte Dialectike onlancx uytghegheven”. Het „breeder en seeckerder betooch" inzake de „Duytsche Tale” verscheen reeds het jaar daarop als inleiding van het werkje Beghinselen der Weeghconst en draagt als titel Uytspraeck vande Weerdicheyt der Duytsche Tael. Daarin gaat hij grondig na waarom zijn moedertaal alle eer waard is. Ten eerste, wegens haar oudheid en ten tweede om haar bijzondere struktuur, en hier bedoelt hij weer de vele eenlettergrepige woorden die in de „Duytsche Tael” veel talrijker voorkomen dan in het Latijn en het Grieks. Wat hij aantoont met een lijst van de „duytsche” éénsillabige woorden, 742 werkwoorden en 1 428 naamwoorden, met de Latijnse en Franse vertaling er naast. Het belangrijkste is evenwel dat Stevin, toen er nog geen Nederlandse wetenschappelijke terminologie bestond, zelf woorden moest kreëren om de bastaardwoorden te weren. Vele van de door hem gevormde uitdrukkingen zijn naderhand in het Nederlandse taaleigen opgenomen, soms wel lichtelijk gewijzigd. Woorden zoals wiskunde, raaklijn, snijlijn, omtrek, middelpunt, evenwijdig, evenaar, evenredig, en vele andere, zijn van hem afkomstig. De pogingen die in Vlaanderen waren ondernomen om de eigen taal te verheffen, waren in het Noorden gevolgd, met mensen als de dichter Dirk V. Coornhert (1522-1590) en de bijdrage van Stevin is hier van uitzonderlijke betekenis geweest. Hoewel Stevin aan de Leidse universiteit had gestudeerd, en er meerdere professoren tot zijn vriendenkring behoorden ; hoewel men daar de beste krachten uit het meer gekultiveerde Zuiden trachtte binnen te halen, heeft hij toch nooit aan deze instelling een leeropdracht gekregen. Busken Huet (1826-1886) (75), dacht dat dit misschien te maken had met zijn beperkte kennis van het Latijn. Want al beweert men graag dat Leiden niet voortploeterde met de scholastieke gebruiken zoals Parijs en Leuven, het wist zich toch ook niet helemaal aan de tijdgeest te onttrekken en de mannen die er kwamen doceren, waren gevormd naar de oude traditie, waarin het Latijn domineerde. Maar ook aan de Leidse ingenieursschool, opgericht in 1600, waar nochtans geen Latijn vereist was, werd hij niet aangesteld. Sommigen menen dat dit te maken had met het feit dat hij een aanhanger was van Copernicus, die 65 jaar na de publikatie van zijn wereldstelsel, bij gebrek aan bewijzen nog altijd niet aanvaard was, noch in wetenschappelijke, noch in religieuze kringen. |
Bunge, M. (2008). Le matérialisme scientifique S. Ayache, P. Deleporte, É. Guinet & J. Rodriguez Carvajal, Trans. Paris: Éditions Syllepse. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2017-04-01 21:24:07 |
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Nous tenons les principes de la dialectique pour être les suivants : […] D2. Tout objet est contradictoire de manière inhérente, c’est-à-dire qu'il est constitué de composants et d’aspects qui s’opposent mutuellement. D3. Tout changement est le produit de la tension ou de la lutte des contraires, que ce soit à l’intérieur du système en question ou entre différents systèmes. […] |
La thèse D2, selon laquelle tout objet est une unité de contraires, est couramment considérée comme constituant la thèse essentielle de la dialectique. Mais, à nouveau, la phrase n’a guère de sens, à moins que l’on ne précise le terme de « contraire ». Et, comme nous l’avons vu dans les deux dernières sections, ce n’est pas facile, et en tous cas cela n’a pas été réalisé par les philosophes dialecticiens. Je soumets l’idée que D2 a un sens si le contraire, ou la contradiction ontique, est conçue comme une relation entre propriétés, à savoir la relation d’action contraire ou de neutralisation […]. […] Par exemple, dans un pays surpeuplé, l’augmentation de la population et le bien-être de cette population sont réciproquement contraires parce que la première propriété fait échouer les tentatives de maintien et d’élévation du niveau de vie. Si le mot « contraire » est pris dans ce sens, alors on peut affirmer qu’il existe des systèmes dominés par des contradictions internes. Mais ceci est bien loin de l'affirmation selon laquelle tous les systèmes sont contradictoires. Par exemple, selon la physique contemporaine, les électrons et les photons n’ont pas de contradictions internes. Ce qui est tout aussi bien, parce que si toute chose était composée de parties réciproquement contradictoires alors chacune de ces parties serait composée de manière similaire et l’on serait face à une régression infinie. Maintenant, si tout ce qu’on peut dire est que certaines choses (ou certaines de leurs parties) sont contraires à d’autres sous certains aspects […], alors tout ce que nous pouvons conclure est que certains systèmes ont des composants ou des traits qui s’opposent l’un à l’autre sous certains aspects. C’est-à-dire que nous obtenons la thèse suivante d’une moindre portée : D2a. Certains systèmes ont des composants qui sont contraires les uns aux autres sous certains aspects. |
Ce dont il est question, c’est de savoir si la compétition est universelle au point d’être à l’origine de tout changement. Et il semble également évident que tel n’est pas le cas, c’est-à-dire qu’il y a des changements qui ne sont pas le fruit d’une quelconque contradiction ontique. Par exemple, le mouvement d’une particule ou d’une onde électromagnétique dans l’espace libre n’est pas conflictuel. Pas plus que la formation d’une molécule d’hydrogène à partir de deux atomes d’hydrogène, au moins parce que ces demiers ne peuvent pas être considérés comme s’opposant l’un à l’autre, tout au contraire, on pourrait dire qu’ils coopèrent. Nous pouvons tout au plus accepter la thèse suivante, d’une moindre portée : D3a. Certains changements sont produits par l’opposition (sous certains aspects) de choses différentes ou de différents composants d’une seule et même chose. Mais ceci est presque trivial. |
Casanova, G. (1947). Mathématiques et matérialisme dialectique. Paris: Éditions sociales. |
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Added by: Dominique Meeùs 2013-05-28 15:03:34 |
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Toutes les fois que la fraction a/b est plus petite que la fraction a′/b′, la soustraction a/b − a′/b′ est impossible, car il ne peut exister de fraction c/d qui, ajoutée à a′/b′, donnerait a/b comme somme. Ainsi, il est contradictoire de supposer la soustraction a/b − a′/b′ possible dans le domaine des nombres rationnels précédemment introduits. Deux attitudes sont alors concevables : ou bien se refuser à envisager l’opération de soustraction lorsque a/b est plus petit que a′/b′ ou bien considérer l’opération comme possible, poser la contradiction comme réellement existante et nier la notion précédente de rationnel en affirmant la présence de nouveau nombres dont nous ne savons jusqu’à présent rien d’autre si ce n’est le fait qu’ils ne peuvent coïncider avec les rationnels précédemment définis. La première attitude est une attitude statique, incapable de nous faire progresser. La seconde attitude seule va ouvrir une nouvelle route à la pensée mathématique. Après avoir nié la notion de nombre fractionnaire précédemment introduite — nombres que nous appellerons désormais positifs — les mathématiques nient cette négation en attribuant à ces nouveaux nombres — dits négatifs — les règles de calcul qui étaient la propriété des nombres positifs […] |
Cresson, A., & Serreau, R. (1963). Hegel: Sa vie, son œuvre, avec un exposé de sa philosophie. Paris: Presses universitaires de France. |
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Added by: Dominique Meeùs 2011-10-21 02:49:40 |
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Reconnaissons-le : on peut penser tout ce qu’on voudra de ces thèmes généraux. Envisagés sous cette forme, on ne saurait leur refuser une incontestable grandeur. Vu de loin, le système de Hegel est comme une de ces cathédrales gothiques qu’on aperçoit dans un vaste paysage avec ses tours symétriques et ses clochetons réguliers. Il fait un effet énorme et grandiose. Il est colossal. Mais dès que, au lieu de se contenter d’une vue d’ensemble, on se préoccupe des détails de sa construction, on éprouve des déceptions pénibles. On croyait avoir affaire à du granit et à des murailles solides. On en vient à se demander si l’on n’a pas été enthousiasmé par un simple décor d’Opéra fait de bouts de bois rajoutés, de morceaux de toile peinte et d’astucieux faux semblants. C’est sans doute ce qui explique et l’engouement suscité au début par l’œuvre de Hegel, et le discrédit où, dans sa lettre, elle est rapidement tombée, sans compter ses renouveaux actuels. Les auditeurs de la première heure et les rénovateurs ont été et sont éblouis par les vastes perspectives qu’Hegel ouvre à leurs yeux. Mais les lecteurs quand ils ont l’esprit calme et suffisamment critique sont fatalement frappés du caractère artificiel, voulu, souvent arbitraire, jusqu’au ridicule et au calembour, de sa dialectique orgueilleuse. Nulle part, en effet, plus que chez Hegel, on ne voit danger de l’esprit de système. Thèse, antithèse, synthèse, c’est un « lit de Procuste ». Et c’est assurément un jeu qui demande beaucoup d’ingéniosité, d’imagination et de subtilité que celui qui consiste à tout y faire entrer. Mais comment pratiquer un tel jeu sans utiliser, et les artifices verbaux, et les obscurités propices, et les grandiloquences impressionnantes, et les escamotages, bref tous les procédés ordinaires des illusionnistes ? « Il n’est pas, disait Bossuet et a répété Pasteur, de pire dérèglement de l’esprit que de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient. » Formule à méditer quand on lit Hegel. |
Les œuvres de Hegel sont d’une lecture extrêmement difficile. « Lorsqu’on lit Hegel, dit M. Koyré, […] on a bien souvent l’impression de ne rien comprendre. Chose plus grave : même lorsque l’on comprend ou croit comprendre, on a trop souvent le sentiment pénible de ne pas suivre. On a l’impression d’assister, en témoin émerveillé et impuissant, à une acrobatie surprenante, à une espèce de sorcellerie. Et l’on a parfois toutes les peines du monde à se persuader soi-même que c’est sérieux, que Hegel […] ne se fiche pas de nous. » Cette difficulté tient non seulement au fond, à l’extrême tension de la pensée, mais aussi à la forme : même aux yeux des Allemands le style de Hegel est lourd et inélégant, sa syntaxe est compliquée et souvent confuse. Le plus grave, pour nous Français, c’est que sa pensée adhère très étroitement à la langue allemande dont elle exploite « l’esprit spéculatif » par de véritables calembours. Ainsi les équivoques du vocabulaire viennent appuyer la dialectique : p. ex. Bestimmung signifie à la fois détermination et destination ; aufheben, c’est à la fois supprimer, conserver et élever. Des étymologies (parfois fausses) soutiennent l’argumentation. P. ex. le concept (Begriff, traduit « notion » par Véra) est la compréhension qui saisit, embrasse (be-greift) tout dans l’universel, alors que le jugement (Ur-teil) est le partage originel (ursprüngliche Teilung) qui en sépare le particulier (Das Besondere = das Besonderte). L’essence (Wesen), c’est ce qui a été (ge-wesen) logiquement avant l’être immédiat ; celui-ci est ainsi intériorisé (er-innert) comme le souvenir (Erinnerung). Hegel méprise les termes abstraits gréco-latins universellement adoptés : il les emploie souvent dans un sens péjoratif (p. ex. un Räsonnement est faux) ou pour doubler son vocabulaire quand il veut opposer le réfléchi à l’immédiat : p. ex. l’être déterminé comme existence immédiate (Da-sein = être là) devient Existenz quand on l’explique comme résultant, sortant (ex-sistens) de ce qui le conditionne. — Pour traduire exactement Hegel il faut donc renoncer à toute élégance de style, donner à certains termes un double sens et même fabriquer des mots comme l’ « être-là », la « choséité », etc. |
Dover, G. (2001). Dear mr darwin: Letters on the evolution of life and the human nature. Londres: Phoenix (Orion Books Ltd). |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2009-08-05 16:09:45 |
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It is interesting that quantitative changes probably precede qualitative changes in biology. This reminds me of Karl Marx’s concept of dialectical materialism. Quantitative changes need to accumulate to a certain point before they cause a qualitative change in state — like heating liquid water to the fixed point at which it turns into gaseous steam, or cooling water to the point at which it turns into solid ice. This is similar to the processes of evolution, whether by natural selection or molecular drive. But biological organisms are not like the simple case of water because we do not know at what point we should be expecting a change of state, be it a new species, a new appendage or a new example of molecular coevolution. |
de Duve, C. (2013). Sept vies en une: Mémoires d’un prix nobel. Paris: Éditions Odile Jacob. |
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Added by: Dominique Meeùs 2013-01-13 09:54:03 |
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La protection de l’environnement est une autre option que j’évoque pour prévenir les effets délétères de la sélection naturelle. Tout en me déclarant énergiquement en faveur d’une telle action, je ne puis m’empêcher de déplorer certaines dérives du mouvement écologique vers des objectifs politico-économiques qui n’y sont pas nécessairement liés, ainsi que vers une idéologie irrationnelle qui sacralise la nature et condamne, par principe, tout effort de la contrôler et de la modifier avec les moyens de la science. L’opposition inconditionnelle aux organismes génétiquement modifiés (OGM), qui domine surtout en Europe, appartient à cette attitude doctrinale qui fait fi du dialogue rationnel qui devrait accompagner chaque cas particulier. |
Gould, S. J. (1990). Aux racines du temps B. Ribault, Trans. Paris: Éditions Grasset et Fasquelle. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2009-09-06 17:42:21 |
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Tout homme de science plongé dans les méandres d’un problème embrouillé vous dira que sa complexité ne saurait se résumer en une dichotomie, un conflit de deux interprétations antagonistes. Néanmoins, pour des raisons que je n’arrive toujours pas à comprendre, l’esprit humain se complaît à opposer les contraires — en tout cas dans notre culture, mais sans doute d’une façon plus générale, comme l’ont prouvé les analyses structuralistes de systèmes de pensée non occidentaux. Quant à notre propre goût pour l’antithèse, il remonte au moins à Diogène Laërce et à son célèbre aphorisme : « Protagoras soutenait que toute question comporte deux aspects très exactement opposés l’un à l’autre. » J’ai pesté contre ce genre de simplification, mais j’ai aujourd’hui l’impression qu’une autre stratégie serait plus profitable au pluralisme. Je désespère d’amener mes semblables à laisser tomber cette tactique familière et rassurante qu’est la dichotomie. Sans doute vaudrait-il mieux élargir le cadre du débat en faisant appel à des dichotomies plus opportunes, ou tout bonnement autres que les divisions habituelles. Toutes les dichotomies ne sont que des simplifications, alors que la redistribution d’une quelconque opposition sur des axes variables de plusieurs dichotomies orthogonales doterait l’intelligence d’une marge de manœuvre beaucoup plus vaste, sans nous obliger à nous priver de nos outils de réflexion les plus confortables. Le problème ne tient pas tant à ce que nous soyons portés à forger des dichotomies, mais que nous imposions au monde et à toute sa complexité les divisions par deux erronées ou fallacieuses. […] […] Je ne souhaite pas discuter ici la question de savoir si certaines dichotomies sont plus « vraies » que d’autres. Toute dichotomie est utile ou trompeuse. Elle n’est en soi ni vraie ni fausse. Elle n’est qu’un modèle simplificateur servant à la mise en ordre de la pensée, mais assurément pas du monde. |
Jouary, J.-P., & Spire, A. (1983). Invitation à la philosophie marxiste. Paris: Messidor/Éditions sociales. |
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Added by: Dominique Meeùs 2009-12-20 17:58:44 |
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Si on jette un coup d’œil sur la réalité dans son ensemble, ce qui apparaît d’abord, c’est un enchevêtrement […] Il s’agit là de l’apparence de la dialectique, qui est l’interaction. […] Ce qui apparaît ensuite, c’est que […] « Tout se meut, change, devient et périt ». Autrement dit, l’évolution est un aspect moins superficiel de la dialectique. […] Il n’est pas faux de dire que la dialectique est une théorie de l’interaction et du développement. Mais il convient d’aller plus loin et de ne jamais perdre du vue que ça renvoie à l’étude de la contradiction dans l’essence même de la chose. […] Il s’agit d’un appel à analyser concrètement de quelle manière chaque chose est dans son essence contradictoire […] |
Koursanov, G. (Ed.). (1978). Histoire de la dialectique marxiste: Étape léniniste D. Sanadzé & M. Arséniéva, Trans. Moscou: Éditions du Progrès. |
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Added by: Dominique Meeùs 2009-08-12 14:23:47 |
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[…] au cours du développement de la science et de la philosophie se sont révélées certaines interprétations erronées de cette fonction de la dialectique [sa fonction méthodologique en science] et, partant, son application erronée dans la recherche scientifique. Une de ces erreurs était qu’en appliquant la dialectique aux sciences particulières, on se bornait à illustrer tels ou tels thèses, principes, lois de la dialectique par certains exemples empruntés au domaine de la connaissance des sciences particulières (les tentatives furent fréquentes, notamment, de confirmer « encore une fois les thèses et les déductions connues de la dialectique par de nouveaux faits obtenus au cours du développement des sciences particulières »). La dialectique était réduite ainsi à une somme d’exemples de vérités dialectiques connues. Dans la compréhension de la fonction méthodologique de la dialectique, lorsqu’on la considérait en tant que méthode, en tant que « moyen de résoudre les questions, les problèmes », etc., on commettait également l’erreur grave de l’interpréter comme permettant, en partant seulement de la doctrine dialectique, de résoudre un problème concret quelconque de telle ou telle science particulière, de justifier la véracité d’une thèse théorique quelconque d’une conception déterminée d’une science particulière. C’est ainsi que négligeant l’analyse des faits, des phénomènes concrets, certains philosophes tentaient de déduire directement de la doctrine dialectique, en partant uniquement de considérations « philosophiques » générales, des réponses aux questions de savoir si la génétique, la doctrine de N. Marr sur la langue, la conception biologique de T. Lyssenko étaient correctes, si la cybernétique, la mécanique quantique, la théorie de la relativité, etc., étaient correctes. Autrement dit, pour résoudre la question de la véracité de telle ou telle théorie, d’une thèse théorique, on cherchait à remplacer l’analyse du contenu scientifique des théories, des faits concrets, de la pratique par des références aux thèses générales de la dialectique. |
Lepape, P. (1992). Diderot. Paris: Éditions France Loisirs. |
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Added by: Dominique Meeùs 2009-08-31 16:19:53 |
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Les abstractions, répète Diderot, sont des filets à mailles larges qui ne ramènent à la surface que les gros poissons de la réalité. Le reste leur échappe, et donc la réalité elle-même, qui est faite de mille choses diverses, d’une pluralité d’exceptions sans la prise en compte desquelles on ne comprend rien. L’exception, le phénomène qui ne rentre pas dans la théorie, c’est précisément ce qu’il faut étudier pour avancer, pour s’élever dans la connaissance. Lorsque Diderot abordera directement la philosophie politique — dans l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron —, ou quand il cherchera à conseiller Catherine II, il n’oubliera pas les leçons d’analyse concrète apprises auprès du petit abbé Galiani : on ne commande au réel qu’en se soumettant à sa diversité. |
Levins, R., & Lewontin, R. C. (1985). The dialectical biologist. Harvard: Harvard University Press. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2020-03-03 15:30:17 |
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A second consequence of the heterogeneity of all objects is that it directs us toward the explanation of change in terms of the opposing processes united within that object. Heterogeneity is not merely diversity: the parts or processes confront each other as opposites, conditional on the whole of which they are parts. For example, in the predator-prey system of lemmings and owls, the two species are opposite poles of the process, predation simultaneously determining the death rate of lemmings and the birth rate of owls. It is not that lemmings are the opposite of owls in some ontological sense, or that lemmings imply owls or couldn’t exist without owls. But within the context of this particular ecosystem, their interaction helps to drive the population dynamics, which shows a spectacular fluctuation of numbers. What characterizes the dialectical world, in all its aspects, as we have described it is that it is constantly in motion. Constants become variables, causes become effects, and systems develop, destroying the conditions that gave rise to them. Even elements that appear to be stable are in a dynamic equilibrium of forces that can suddenly become unbalanced, as when a dull gray lump of metal of a critical size becomes a fireball brighter than a thousand suns. Yet the motion is not unconstrained and uniform. Organisms develop and differentiate, then die and disintegrate. Species arise but inevitably become extinct. Even in the simple physical world we know of no uniform motion. Even the earth rotating on its axis has slowed down in geologic time. The development of systems through time, then, seems to be the consequence of opposing forces and opposing motions. This appearance of opposing forces has given rise to the most debated and difficult, yet the most central, concept in dialectical thought, the principle of contradiction. For some, contradiction is an epistemic principle only. It describes how we come to understand the world by a history of antithetical theories that, in contradiction to each other and in contradiction to observed phenomena, lead to a new view of nature. Kuhn’s (1962) theory of scientific revolution has some of this flavor of continual contradiction and resolution, giving way to new contradiction. For others, contradiction is not only epistemic but political as well, the contradiction between classes being the motive power of history. Thus contradiction becomes an ontological property at least of human social existence. For us, contradiction is not only epistemic and political, but ontological in the broadest sense. Contradictions between forces are everywhere in nature, not only in human social institutions. This tradition of dialectics goes back to Engels (1880) who wrote, in Dialectics of Nature, that “to me there could be no question of building the laws of dialectics of nature, but of discovering them in it and evolving them from it.” Engels’s understanding of the physical world was, of course, a nineteenth-century understanding, and much of what he wrote about it seems quaint. Moreover, dialecticians have repeatedly attempted to make the identification of contradictions in nature a central feature of science, as if all scientific problems are solved when the contradictions have been revealed. Yet neither Engels’ factual errors nor the rigidity of idealist dialectics changes the fact that opposing forces lie at the base of the evolving physical and biological world. Things change because of the actions of opposing forces on them, and things are the way they are because of the temporary balance of opposing forces. In the early days of biology an inertial view prevailed: nerve cells were at rest until stimulated by other nerve cells and ultimately by sensory excitation. Genes acted if the raw materials for their activity were present; otherwise they were quiescent. Gene frequencies in a population remained static in the absence of selection, mutation, random drift, or immigration. Nature was at equilibrium unless perturbed. Later it was recognized that nerve impulses act both to excite and to inhibit the firing of other nerves, so the state of a system depends on the network of opposing stimuli, and that network can generate spontaneous activity. Gene action is regulated by repressors, repressors of the repressors, and all sorts of active feedbacks in the cell. There are no genetic loci immune to mutation and random drift, and no populations are free of selection. The dialectical view insists that persistence and equilibrium are not the natural state of things but require explanation, which must be sought in the actions of the opposing forces. |
Lewontin, R. C., Rose, S., & Kamin, L. J. (1985). Nous ne sommes pas programmés: Génétique, hérédité, idéologie M. Blanc, R. Forest & J. Ayats, Trans. Paris: Éditions La Découverte. |
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Added by: admin 2008-06-14 17:29:04 |
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Cette compréhension, selon nous, doit être dialectique, par opposition au réductionnisme. L’explication réductionniste cherche à déduire les propriétés des « touts » des propriétés intrinsèques des parties, ces dernières propriétés caractérisant les parties avant leur assemblage en structures complexes. La démarche caractéristique du réductionnisme est d’assigner des poids relatifs à différentes causes partielles et de chercher à établir l’importance de chacune en faisant varier un seul paramètre à la fois. Au contraire, les explications dialectiques n’attribuent pas de propriétés aux parties prises isolément de leur association en « touts », mais considèrent que les propriétés des parties surgissent de leur association. Ou encore, on peut dire que les propriétés des parties et des « touts » se déterminent les unes les autres. Les caractéristiques des individus humains n’existent pas à l’état isolé : elles sont engendrées par la vie sociale ; mais la nature de cette vie sociale est de son côté une conséquence du fait que nous sommes des êtres humains et non, par exemple, des végétaux. Il s’ensuit que l’explication dialectique s’oppose aux modes d’explications culturelles ou dualistes qui séparent le monde en différentes sortes de phénomènes — culture et biologie, esprit et corps — explicables de manière différente, par des moyens qui ne se recoupent pas. Les explications dialectiques cherchent à rendre compte de l’univers matériel d’une façon cohérente, unitaire, mais non réductionniste. Pour la dialectique, l’univers est unitaire, mais en changement constant ; les phénomènes observables à tout instant font partie de processus, processus qui ont une histoire et un futur, dont les voies ne sont pas uniquement déterminées par leurs unités constitutives. Les « touts » sont composés d’unités dont on peut décrire les propriétés ; mais l’interaction de ces unités, lors de la constitution des « touts », engendre des complexités qui font que les produits obtenus sont qualitativement différents des parties constitutives. On peut penser à la cuisson d’un gâteau : le goût du produit est le résultat d’une interaction complexe d’ingrédients (beurre, sucre, farine…) exposés pendant des laps de temps différents à des températures élevées ; ce goût ne peut être décomposé en tant pour cent de farine, tant pour cent de beurre, etc., bien que chaque ingrédient (ou ce qu’il en est advenu à haute température) contribue au produit final. Dans un univers où des interactions complexes de ce genre se produisent constamment, l’histoire devient capitale. La position et l’état d’un organisme à un moment donné ne dépendent pas seulement de sa constitution à ce moment, mais aussi d’un passé qui impose diverses contingences à l’interaction présente et future de ses parties constitutives. Une telle conception du monde abolit les antithèses entre réductionnisme et dualisme, entre nature et culture, ou hérédité et environnement ; entre un monde statique et ses composantes qui interagissent mais (de manière limitée et prédéterminée en fait, au long de chemins définis à l’avance). Dans les chapitres qui suivent, l’explication de cette position apparaîtra au cours de notre critique du déterminisme biologique, par exemple dans notre analyse des relations entre génotype et phénotype (chapitre 5) et entre esprit et cerveau. |
Il y a un problème encore plus fondamental auquel doivent faire face les théoriciens de la nature humaine biologique. Supposons que la biologie du développement soit capable de dire quelle réponse développementale à l’environnement va donner tel génotype humain, par rapport à tel comportement. Dans ces conditions, les caractéristiques d’un individu pourraient être prédites, étant donné tel environnement. Or, celui-ci est de nature sociale. Et qu’est-ce qui déterminera l’environnement social ? D’une façon ou d’une autre, les caractéristiques des individus jouent, quoiqu’elles ne soient pas déterminantes. Il y a aussi un rapport dialectique entre l’individu et la société, chacun étant la condition du développement et de la détermination de l’autre. La théorie de ce rapport dialectique, où les individus à la fois font et sont faits par la société, relève d’un thème social, pas biologique. Les lois qui gouvernent les rapports de génotype individuel à phénotype individuel ne peuvent pas elles-mêmes fournir ces lois du développement de la société. En outre, il doit y avoir des lois qui relient les natures individuelles à la nature de la collectivité. Ces problèmes de la théorie sociale disparaissent dans la vision réductionniste du monde parce que, pour un réductionniste, la société est déterminée par les individus, sans qu’il y ait d’action en retour. |
Marx, K. (1969). Le capital : critique de l’économie politique: Livre premier : le développement de la production capitaliste, tome 1 J. Roy, Trans. Vol. 1. Paris: Éditions sociales. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2011-02-22 15:19:25 |
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Le Messager européen, revue russe, […] déclare que mon procédé d’investigation est rigoureusement réaliste, mais que ma méthode d’exposition est malheureusement dans la manière dialectique allemande. […] Je ne saurais mieux répondre à l’ « écrivain russe » que par des extraits de sa propre critique, qui peuvent d’ailleurs intéresser le lecteur. |
Meulders, M. (2001). Helmholtz: Des lumières aux neurosciences. Paris: Éditions Odile Jacob. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2013-01-13 09:03:35 |
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Autre concept cher à Schelling : la polarité, qui est à la base du dynamisme créatif de la nature, car celui-ci est assuré par le conflit de deux forces antagonistes qui tendent à s’équilibrer sans jamais y parvenir, et dont l’aimant est l’exemple par excellence réalisé dans la nature. |
Monod, J. (1973). Le hasard et la nécessité: Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne. Paris: Éditions du Seuil. |
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Added by: admin 2009-05-05 20:41:58 |
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Le système tout entier, par conséquent, est totalement, intensément conservateur, fermé sur soi-même, et absolument incapable de recevoir quelque enseignement que ce soit du monde extérieur. Comme on le voit, ce système, par ses propriétés, par son fonctionnement d’horlogerie microscopique qui établit entre ADN et protéine, comme aussi entre organisme et milieu, des relations à sens unique, défie toute description « dialectique ». Il est foncièrement cartésien et non hégélien : la cellule est bien une machine. |
Ollman, B. (2003). Dance of the dialectic: Steps in marx’s method. Urbana and Chicago: University of Illinois Press. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2009-08-12 16:36:27 |
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With all the misinformation conveyed about dialectics, it may be useful to start by saying what it is not. Dialectics is not a rock-ribbed triad of thesis-antithesis-synthesis that serves an all-purpose explanation; nor does it provide a formula that enable us to prove or predict anything; nor is it the motor force of history. The dialectic, as such, explains nothing, proves nothing, predicts nothing, and causes nothing to happen. Rather, dialectics is a way of thinking that bring into focus the full range of changes and interactions that occur in the world. As part of this, it includes how to organize a reality viewed in this manner for purposes of study and how to present the results of what one finds to others, most of whom do not think dialectically. |