Deutsch, J. (2012). Le gène: Un concept en évolution. Paris: Éditions du Seuil. |
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Added by: Dominique Meeùs 2016-10-08 05:34:48 |
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Un concept de gène élargi. Pour les fondateurs de la théorie de l’information, le message est une suite linéaire de signaux symboliques. Nous avons vu l’influence et l’importance de cette conception dans la proposition et la découverte du code génétique, le dictionnaire qui permet de passer de la séquence en nucléotides de l’ADN à la séquence en acides aminés des protéines (chap. 13). Nous avons vu aussi qu’aujourd’hui le concept moléculaire du gène, réduit à un segment d’ADN codant, est insuffisant. Il y a bien plus de signaux dans la chromatine que les signaux alphabétiques codants (chap. 17 à 20). Il y a dans la séquence de l’ADN lui-même des signaux de type analogique, non numérique. Ces signaux représentent une part non négligeable de la quantité d’ADN et leur importance, tant fonctionnelle chez les êtres vivant aujourd’hui que dans l’évolution, est considérable. De plus, tout le message n’est pas inscrit dans l’ADN. Nous avons vu que, chez les eucaryotes, la structure de la chromatine, la façon dont les protéines de la chromatine sont associées à l’ADN, constitue aussi un message transmis, dit épigénétique. Il est important de conserver le concept d’information génétique, différent de la forme des organismes, en sachant qu’il faut distinguer l’information du message : l’information est le message lu et interprété par la cellule, voire par l’organisme entier en développement, dans le cas des organismes pluricellulaires. En ce qui concerne le message biologique, il nous faut envisager une conception élargie. Le message biologique n’est pas seulement une suite linéaire de signaux symboliques. Le message doit être vu comme un ensemble, dont la structure n’est pas nécessairement linéaire, de signaux numériques ou non. On est ainsi conduit à une conception élargie du gène : le gène est le message, de type symbolique et/ou analogique, inscrit dans les composants nucléique et protéique de la chromatine, transmis de cellule à cellule et de génération en génération, qui est interprété, grâce aux propriétés de la cellule et de l’organisme, en information permettant la création des formes du vivant. Le génome, c’est-à-dire l’ensemble des messages, contient des signaux régulateurs qui contrôlent le passage des messages géniques en information. Les signaux régulateurs sont inscrits dans les composants nucléiques et aussi protéiques (épigénétiques) de la chromatine, et sont donc aussi des gènes. C’est par le moyen (medium) de ces signaux régulateurs que le génome est ouvert sur l’environnement. |
de Duve, C. (2002). À l’écoute du vivant. Paris: Éditions Odile Jacob. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2010-09-13 05:17:10 |
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Les relations que l’on vient d’esquisser ont une signification universelle. Chez tous les êtres vivants connus, l’information génétique est entreposée dans la séquence de bases de molécules d’ADN, reproduite par réplication de cet ADN et exprimée par le biais des molécules d’ARN et de protéines synthétisées selon les instructions qu’il recèle. On désigne sous le nom de génome l’ADN total d’un organisme. Le génome est subdivisé en unités, appelées « gènes », dont on peut dire, en première approximation, que chacune code pour une chaîne protéique distincte (sauf les quelques gènes qui codent pour des ARN fonctionnels, mais on y reviendra). Pour le colibacille, le génome comprend environ trois millions de bases, soit l’équivalent en signes typographiques de dix fois Qu’est-ce que la vie ? de Schrôdinger. Le génome humain, qui a fait la une des journaux lorsque sa séquence complète fut annoncée en février 2001, comprend environ deux mille fois plus. Pour l’enregistrer — bien entendu, c’est un ordinateur qui en est chargé — il faudrait environ trois cents volumes de la taille du Petit Robert, de quoi occuper une bonne vingtaine de mètres de rayonnage dans une bibliothèque. C’est énorme. Et c’est aussi fort peu si l’on songe que toutes les instructions qui spécifient un être humain, depuis sa conception jusqu’à sa mort, se trouvent condensées dans l’équivalent de quelque trois cents livres, réduits, par la merveille de la miniaturisation moléculaire, à environ deux mètres d’ADN pelotonnés au sein d’une petite sphère d’un centième de millimètre de diamètre, le noyau de la cellule. |
Monod, J. (1973). Le hasard et la nécessité: Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne. Paris: Éditions du Seuil. |
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Added by: admin 2009-05-05 20:41:58 |
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On peut donc voir une contradiction dans le fait de dire que le génome « définit entièrement » la fonction d’une protéine, alors que cette fonction est attachée à une structure tridimensionnelle dont le contenu informatif est plus riche que la contribution directement apportée à cette structure par le déterminisme génétique. Cette contradiction n’a pas manqué d’être relevée par certains critiques de la théorie biologique moderne. Notamment Elsässer qui voit précisément dans le développement épigénétique des structures (macroscopiques) des êtres vivants un phénomène physiquement inexplicable, en raison de l’ « enrichissement sans cause » dont il paraît témoigner. Cette objection disparaît lorsqu’on examine en détail les mécanismes de l’épigénèse moléculaire : l’enrichissement d`information correspondant à la formation de la structure tridimensionnelle provient de ce que l’information génétique (représentée par la séquence) s’exprime en fait dans des conditions initiales bien définies (en phase aqueuse, entre certaines limites, étroites, de températures, composition ionique, etc.) telles que, parmi toutes les structures possibles, une seule d’entre elles est en fait réalisable. Les conditions initiales, par conséquent, contribuent à l’information finalement enfermée dans la structure globulaire, sans pour autant la spécifier, mais seulement en éliminant les autres structures possibles, proposant ainsi, ou plutôt imposant une interprétation univoque d’un message a priori partiellement équivoque. |
Les êtres vivants, par leurs structures macroscopiques comme par leurs fonctions, sont, nous l’avons vu, étroitement comparables à des machines. Ils en diffèrent radicalement, en revanche, par leur mode de construction. Une machine, un artefact quelconque, doit sa structure macroscopique à l’action de forces extérieures, d’outils agissant sur une matière pour lui imposer une forme. C’est le ciseau du sculpteur qui dégage du marbre les formes d’Aphrodite ; mais la déesse, elle, est née de l’écume des flots (fécondés par l’organe sanglant d’Ouranos) d’où son corps s’est épanoui de lui—même, par lui—même. Je voudrais, dans ce chapitre, montrer que ce processus de morphogénèse spontanée et autonome repose en dernière analyse sur les propriétés de reconnaissance stéréospécifique des protéines ; qu’il est donc d’ordre microscopique, avant de se manifester dans des structures macroscopiques. |
Le premier point qu’il importe de mettre en lumière, c’est que le « secret » de la réplication ne varietur de l’ADN réside dans la complémentarité stéréochimique du complexe non-covalent que constituent les deux fibres associées dans la molécule. On voit donc que le principe fondamental de stéréospécificité associative, qui rend compte des propriétés discriminatives des protéines, est également à la base des propriétés réplicatives de l’ADN. Mais dans l’ADN, la structure topologique du complexe est beaucoup plus simple que dans les complexes de protéines, et c’est ce qui permet à la mécanique de la réplication de fonctionner. En effet, la structure stéréochimique d’une des deux fibres est entièrement définie par la séquence (la succession) des radicaux qui la composent, en vertu du fait que chacun des quatre radicaux n’est individuellement appariable (en raison de restrictions stériques) qu’avec un seul des trois autres. |
Le système tout entier, par conséquent, est totalement, intensément conservateur, fermé sur soi-même, et absolument incapable de recevoir quelque enseignement que ce soit du monde extérieur. Comme on le voit, ce système, par ses propriétés, par son fonctionnement d’horlogerie microscopique qui établit entre ADN et protéine, comme aussi entre organisme et milieu, des relations à sens unique, défie toute description « dialectique ». Il est foncièrement cartésien et non hégélien : la cellule est bien une machine. |
Il faut ajouter enfin, et ce point est d’une très grande importance, que le mécanisme de la traduction est strictement irréversible. Il n’est ni observé, ni d’ailleurs concevable, que de l’ « information » soit jamais transférée dans le sens inverse, c’est-à-dire de protéine à ADN. Cette notion repose sur un ensemble d’observations si complètes et si sûres, aujourd’hui, et ses conséquences, en théorie de l’évolution notamment, sont si importantes, qu’on doit la considérer comme l’un des principes fondamentaux de la biologie moderne (1). Il s’ensuit en effet qu’il n’y a pas de mécanisme possible par quoi la structure et les performances d’une protéine pourraient être modifiées et ces modifications transmises, fût-ce partiellement, à la descendance, si ce n’est comme conséquence d’une altération des instructions représentées par un segment de séquence de l’ADN. Tandis qu’inversement il n’existe aucun mécanisme concevable par quoi une instruction ou information quelconque pourrait être transférée à l’ADN. (1) Certains critiques (Piaget par exemple) de la première édition du présent ouvrage ont trouvé apparemment grande satisfaction à pouvoir mentionner certains résultats récents où ils croyaient voir une réfutation expérimentale de cette proposition. Il s’agissait de la découverte par Temin et par Baltimore d’enzymes doués de la propriété de transcrire l’ARN en ADN, c’est-à-dire dans le sens opposé à celui de la transcription classique. Ces belles observations en fait ne violent en rien le principe selon lequel la traduction d’information séquentielle dans le sens ADN (ou ARN) à protéine est irréversible. Les auteurs de cette découverte, qui sont des biologistes moléculaires très distingués n’ont jamais tiré de leurs travaux les conclusions que Piaget, par exemple, semble en déduire. |