Bachelard, G. (1975). Le rationalisme appliqué 5th ed. Paris: Presses universitaires de France. |
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Added by: Dominique Meeùs 2010-11-13 19:53:15 |
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La science de Lavoisier qui fonde le positivisme de la balance est en liaison continue avec les aspects immédiats de l’expérience usuelle. Il n’en va plus de même quand on adjoint un électrisme au matérialisme. Les phénomènes électriques des atomes sont cachés. Il faut les instrumenter dans un appareillage qui n’a pas de signification directe dans la vie commune. Dans la chimie lavoisienne on pèse le chlorure de sodium comme dans la vie commune on pèse le sel de cuisine. Les conditions de précision scientifique, dans la chimie positiviste, ne font qu’accentuer les conditions de précision commerciale. D’une précision à l’autre, on ne change pas la pensée de la mesure. Même si on lit la position de l’aiguille fixée au fléau de la balance avec un microscope, on ne quitte pas la pensée d’un équilibre, d’une identité de masse, application très simple du principe d’identité, si tranquillement fondamental pour la connaissance commune. En ce qui concerne le spectroscope de masse, nous sommes en pleine épistémologie discursive. Un long circuit dans la science théorique est nécessaire pour en comprendre les données. En fait, les données sont ici des résultats. On nous objectera que nous proposons une distinction bien délicate pour séparer la connaissance commune et la connaissance scientifique. Mais il est nécessaire de comprendre que les nuances sont ici philosophiquement décisives. Il ne s’agit rien moins que de la primauté de la réflexion sur l’aperception, rien moins que de la préparation nouménale des phénomènes techniquement constitués. |
Duhem, P. (1908). Σώζειν τὰ φαινόμενα (sauver les phénomènes): Essai sur la notion de théorie physique de platon à galilée. Paris: Librairie scientifique A. Hermann et fils. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2009-12-01 00:15:39 |
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Au cours de l’Antiquité et du Moyen-Âge, la Physique nous présente deux parties si distinctes l’une de l’autre qu’elles sont, pour ainsi dire, opposées l’une à l’autre ; d’un côté se trouve la Physique des choses célestes et impérissables, de l’autre la Physique des choses sublunaires, soumises à la génération et à la corruption. Les êtres dont traite la première des deux Physiques sont réputés d’une nature infiniment plus élevée que ceux dont s’occupe la seconde ; on en conclut que la première est incomparablement plus difficile que la seconde ; Proclus enseigne que la Physique sublunaire est accessible à l’homme, tandis que la Physique céleste le passe et est réservée à l’intelligence divine ; Maïmonide partage cette opinion de Proclus ; la Physique céleste est, selon lui, pleine de mystères dont Dieu s’est réservé la connaissance, tandis que la Physique terrestre se trouve, tout organisée, en l’œuvre d’Aristote. Au contraire de ce que pensaient les hommes de l’Antiquité et du Moyen-Âge, la Physique céleste qu’ils avaient construite était singulièrement plus avancée que leur Physique terrestre. Dès l’époque de Platon et d’Aristote, la science des astres était organisée sur le plan que nous imposons aujourd’hui encore à l’étude de la Nature. D’une part, était l’Astronomie ; des géomètres, comme Eudoxe et Calippe, combinaient des théories mathématiques au moyen desquelles les mouvements célestes pouvaient être décrits et prévus, tandis que des observateurs appréciaient le degré de concordance entre les prévisions des calculs et les phénomènes naturels. D’autre part, était la Physique proprement dite ou, pour parler le langage moderne, la Cosmologie céleste ; des penseurs, comme Platon et Aristote, méditaient sur la nature des astres et sur la cause de leurs mouvements. […] Il s’en faut bien que la Physique des choses sublunaires soit parvenue d’aussi bonne heure à ce degré de différenciation et d’organisation. […] […] La Physique sublunaire ne connaissait guère les théories mathématiques. Deux chapitres de cette physique, l’Optique ou Perspective, et la Statique ou Scientia de ponderibus, avaient seuls revêtu cette forme […] Hors ces deux chapitres, l’analyse des lois qui président aux phénomènes demeurait peu précise, purement qualitative ; elle ne s’était pas encore dégagée de la Cosmologie. En la Dynamique, par exemple, les lois de la chute libre des graves, entrevues dès le 14e siècle, les lois du mouvement des projectiles, vaguement soupçonnées au 16e siècle, demeuraient impliquées dans les discussions métaphysiques sur le mouvement local, sur le mouvement naturel et le mouvement violent, sur la coexistence du moteur et du mobile. Au temps de Galilée seulement, nous voyons la partie théorique, en même temps que sa forme mathématique se précise, se dégager de la partie cosmologique. […] D’autre part, l’antique distinction entre la Physique des corps célestes et la Physique des choses sublunaires s’était graduellement effacée. Après Nicolas de Cues, après Léonard de Vinci, Copernic avait osé assimiler la Terre aux planètes. Par l’étude de l’étoile qui avait apparu, puis disparu en 1572, Tycho Brahé avait montré que les astres pouvaient, eux aussi, s’engendrer et périr. En découvrant les taches du Soleil et les montagnes de la Lune, Galilée avait achevé de réunir les deux Physiques en une seule science. Dès lors, lorsqu’un Copernic, lorsqu’un Képler, lorsqu’un Galilée déclarait que l’Astronomie doit prendre pour hypothèses des propositions dont la vérité soit établie par la Physique, cette affirmation, une en apparence, renfermait en réalité deux propositions bien distinctes. Une telle affirmation, en effet, pouvait signifier que les hypothèses de l’Astronomie étaient des jugements sur la nature des choses célestes et sur leurs mouvements réels ; elle pouvait signifier qu’en contrôlant la justesse de ces hypothèses, la méthode expérimentale allait enrichir nos connaissances cosmologiques de nouvelles vérités. Ce premier sens se trouvait, pour ainsi dire, à la surface même de l’affirmation ; il apparaissait tout d’abord ; c’est ce sens-là que les grands astronomes du 16e siècle et du 17e siècle voyaient clairement, c’est celui qu’ils énonçaient d’une manière formelle, c’est enfin celui qui ravissait leur adhésion. Or, prise avec cette signification, leur affirmation était fausse et nuisible ; Osiander, Bellarmin et Urbain VIII la regardaient, à juste titre, comme contraire à la Logique […] Sous ce premier sens illogique, mais apparent et séduisant, l’affirmation des astronomes de la Renaissance en contenait un autre ; en exigeant que les hypothèses de l’Astronomie fussent d’accord avec les enseignements de la Physique, on exigeait que la théorie des mouvements célestes reposât sur des bases capables de porter également la théorie des mouvements que nous observons ici-bas ; on exigeait que le cours des astres, le flux et le reflux de la mer, le mouvement des projectiles, la chute des graves fussent sauvés à l’aide d’un même ensemble de postulats, formulés en la langue des Mathématiques. Or ce sens-là restait profondément caché ; ni Copernic, ni Képler, ni Galilée ne l’apercevaient nettement ; il demeurait, cependant, dissimulé, mais fécond, au-dessous du sens clair, mais erroné et dangereux, que ces astronomes saisissaient seul. Et tandis que la signification fausse et illogique qu’ils attribuaient à leur principe engendrait des polémiques et des querelles, c’est la signification vraie, mais cachée, de ce même principe qui donnait naissance aux essais scientifiques de ces inventeurs ; alors qu’ils s’efforçaient de soutenir l’exactitude du premier sens, c’est à établir la justesse du second sens qu’ils tendaient sans le savoir ; […] ils croyaient prouver, l’un et l’autre, que les hypothèses copernicaines ont leur fondement en la nature des choses ; mais la vérité qu’ils introduisaient peu à peu dans la Science, c’est qu’une même Dynamique doit, en un ensemble unique de formules mathématiques, représenter les mouvements des astres, les oscillations de l’Océan, la chute des graves ; ils croyaient renouveler Aristote; ils préparaient Newton. En dépit de Képler et de Galilée, nous croyons aujourd’hui, avec Osiander et Bellarmin, que les hypothèses de la Physique ne sont que des artifices mathématiques destinés à sauver les phénomènes ; mais grâce à Képler et à Galilée, nous leur demandons de sauver à la fois tous les phénomènes de l’Univers inanimé. |
Penrose, R., Shimony, A., Cartwright, N., Hawking, S., & Omnès, R. (1999). Les deux infinis et l’esprit humain R. Omnès, Trans. Paris: Flammarion. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2011-06-08 12:53:44 |
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Il [Penrose] est fondamentalement un platoniste qui croit en un monde unique des idées qui décrivent une réalité physique unique. Moi, au contraire, je suis un positiviste qui croit que les théories physiques ne sont que des modèles mathématiques que nous construisons et qu’il n’y a pas de sens à demander si elles correspondent à la réalité, mais seulement si elles prédisent les observations. |
Thuillier, P. (1972). Comment se constituent les théories scientifiques. In Jeux et enjeux de la science (pp. 13–65). Paris: Éditions Robert Laffont. |
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Added by: admin 2009-03-19 23:01:48 |
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La conception positiviste, qui veut éliminer les « pourquoi ? », risque de stériliser l’imagination théorique et de freiner le travail scientifique. La conception réaliste, elle, est difficile à maintenir sous sa forme simpliste : elle risque de donner aux chercheurs une confiance excessive en leurs théories, qui se transforment alors en dogmes intangibles. En fait, le réalisme énonce un idéal : il faut viser à une connaissance vraie, objective. Mais, comme on a essayé de le montrer dans l’étude précédente, il n’y a pas plus de faits purs que de théories pures, et la science, au mieux, est une approche asymptotique de « la réalité ». Le chercheur ne saisit celle—ci qu’en l’interprétant à travers des cadres de pensée très variés et légués par le contexte socio-historique. Ce problème n’est pas neuf, comme en témoigne ce texte d’Aristote où il critique certains cosmologues de son époque : « Loin de chercher à régler sur les phénomènes leurs raisonnements et leurs explications par les causes, ils contraignent les phénomènes à entrer dans le cadre de certains raisonnements et de certaines opinions reçues auxquels ils s’efforcent de faire correspondre leur organisation du monde. » (Traité du ciel, II, 13, les Belles Lettres, p. 85.) |
Weinberg, S. (1993). Dreams of a final theory: Search for the ultimate laws of nature. Londres: Hutchinson Radius. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2011-05-03 08:46:32 |
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John Wheeler is impressed by the fact that according to the standard Copenhagen interpretation of quantum mechanics, a physical system cannot be said to have any definite values for quantities like position or energy or momentum until these quantities are measured by some observer’s apparatus. For Wheeler, some sort of intelligent life is required in order to give meaning to quantum mechanics, Recently Wheeler has gone further and proposed that intelligent life not only must appear but must go on to pervade every part of the universe in order that every bit of information about the physical state of the universe should eventually be observed. Wheeler’s conclusions seem to me to provide a good example of the dangers of taking too seriously the doctrine of positivism, that science should concern itself only with things that can be observed. Other physicists including myself prefer another, realist, way of looking at quantum mechanics, in terms of a wave function that can describe laboratories and observers as well as atoms and molecules, governed by laws that do not materially depend on whether there are any observers or not. |
Positivism did harm in other ways that are less well known. There is a famous experiment performed in 1897 by J. J. Thomson, which is generally regarded as the discovery of the electron. […] It turned out that the amount of bending of these rays was consistent with the hypothesis that they are made up of particles that carry a definite quantity of electric charge and a definite quantity of mass. […] For this, Thomson regarded himself, and has become universally regarded by historians, as the discoverer of a new form of matter, a particle […] : the electron. Yet the same experiment was done in Berlin at just about the same time by Walter Kaufmann. The main difference between Kaufmann’s experiment and Thomson’s was that Kaufmann’s was better. […] Thomson was working in an English tradition going back to Newton, Dalton, and Prout — a tradition of speculation about atoms and their constituents. But Kaufmann was a positivist ; he did not believe that it was the business of physicists to speculate about things that they could not observe. So Kaufmann did not report that he had discovered a new kind of particle, but only that whatever it is that is flowing in a cathode ray, it carries a certain ratio of electric charge to mass. The moral of this story is not merely that positivism was bad for Kaufmann’s career. Thomson, guided by his belief that he had discovered a fundamental particle, went on and did other experiments to explore its properties. He found evidence of particles with the same ratio of mass to charge emitted in radioactivity and from heated metals, and he carried out an early measurement of the electric charge of the electron. This measurement, together with his earlier measurement of the ratio of charge to mass, provided a value for the mass of the electron. It is the sum of all these experiments that really validates Thomson’s claim to be the discoverer of the electron, but he would probably never have done them if he had not been willing to take seriously the idea of a particle that at that time could not be directly observed. |