La physique aristotélicienne établit une différence de nature intrinsèque entre repos et mouvement liée à l’existence d’un ordre cosmique en vertu duquel chaque objet possède dans l’Univers une place, un « lieu » qui lui est propre — car il est conforme à sa nature —, vers lequel il tend à revenir s’il en est écarté, et où il reste immobile si rien ne vient l’en déloger. La tendance au repos est en quelque sorte constitutive de la matière. Le mouvement, par contre, est conçu soit comme un retour à l’ordre (c’est ce qu’Aristote appelle mouvement naturel, car le corps y réalise sa tendance naturelle au repos en son lieu naturel), soit comme une rupture contre-nature de cet ordre qui ne peut être provoquée que de façon violente (et que pour cette raison Aristote appelle mouvement violent). Repos et mouvement sont donc conçus comme des notions contraires, s’excluant l’une l’autre : un même corps est soit au repos, soit en mouvement ; mais s’il est au repos, il l’est absolument. S’il en est ainsi c’est qu’il existe un lien direct entre le mouvement d’un corps et sa constitution interne. Le mouvement est une transformation qui affecte la nature intime du corps ; il n’est donc pas équivalent, pour un même corps, d’être au repos ou d’être en mouvement. De ce point de vue, le mouvement aristotélicien se compare tout à fait à ce que la physique moderne nomme un changement d’état et dont l’évaporation, passage, pour un même corps, de l’état liquide à l’état vapeur, constitue le prototype. Dans les deux cas, il y a passage d’un état physique à un autre : passage de l’état liquide à l’état gazeux dans le cas de la vaporisation ; passage de l’état de repos en un certain lieu à un état de repos dans un autre lieu, dans le cas du mouvement selon Aristote. Dans les deux cas, ce passage est corrélatif d’une modification de la structure interne du corps, modification qui doit être provoquée par un agent extérieur. On sait que dans le cas de la transformation liquide-vapeur, l’agent, « moteur » de la transformation, est constitué par une source de chaleur extérieure, laquelle en augmentant l’agitation des molécules constitutives du corps rompt leurs liaisons ; à une structure interne ordonnée des molécules dans l’état liquide fait ainsi place une structure désordonnée caractéristique de l’état gazeux. De même, chez Aristote, le changement que constitue le mouvement ne peut se concevoir sans cause, sans moteur. Dans le cas du mouvement naturel, ce moteur est la nature même du corps qui tend à le ramener à sa place naturelle ; dans le cas du mouvement violent, le moteur est externe, exerçant une action continue par contact — soit pression, soit traction — sur le corps en mouvement. Quoi qu’il en soit, le mouvement du corps se marque par une modification de structure interne. D’où il s’ensuit que le type de mouvement dont un corps est capable dépend de sa composition physique. La physique aristotélicienne distingue quatre éléments constitutifs de la matière : eau, terre, feu, air. « Les éléments et les mouvements se correspondent chacun à chacun » (Aristote, Traité du Ciel, chap. I). Ainsi la Terre, constituée de l’élément terre dont la nature est d’être attiré par le centre du Monde, s’y trouve-t-elle rassemblée tout entière ; et immobile de surcroît, puisqu’elle occupe alors son lieu naturel. Les astres, par contre, d’essence éternelle et immuable comme tout ce qui est dans les Cieux, ne peuvent se réaliser qu’en tournant indéfiniment autour de ce centre. Quant aux corps sublunaires (c’est-à-dire terrestres), corruptibles et altérables par essence, ils sont — par essence également — soumis au changement, donc au mouvement. Mouvement qui non seulement les transporte d’un lieu en un autre, mais les modifie également, jusqu’à ce qu’ayant rejoint leur lieu naturel, ils se soient enfin réalisés. Le repos, on le voit, est pensé, non pas comme un mouvement nul, mais comme son terme et sa finalité. En ce sens, il en diffère radicalement, absolument. Il ne peut y avoir équivalence entre eux. C’est une conception toute différente qui est défendue par Salviati dans le texte (Galilei, 1632) cité ci-dessus. « Le mouvement est mouvement et agit comme mouvement en tant qu’il est en relation avec des choses qui en sont privées. » Le mouvement, donc, n’est pas un changement, corrélatif d’une transformation. C’est une modification des relations, des rapports entre les choses ; ce n’est que cela. Car cette modification laisse les choses elles-mêmes complètement indifférentes. Qu’elles soient en mouvement ou au repos ne les affecte nullement dans leur être ; le mouvement est un état au même titre que le repos ; pas plus que le repos, le mouvement n’est un changement d’état. Les choses sont extérieures à leur mouvement. Ainsi se trouve affirmée l’équivalence entre repos et mouvement. Ou dit d’une autre façon : le mouvement d’un corps n’est pas l’indice d’une structure interne particulière. Par contre, le mouvement — et le repos — sont l’indice d’une tout autre chose : l’évolution des rapports entre les corps. Ce qui revient à dire que le mouvement ne concerne jamais un seul corps isolé ; contrairement au changement qui n’affecte qu’un seul corps, le mouvement — et le repos — ne se conçoivent qu’à deux. Lorsqu’on bouge (ou reste au repos), ce n’est pas par rapport à soi-même, mais par rapport aux autres. Mouvement et changement sont dissociés. |