Althusser, L. (1974). Philosophie et philosophie spontanée des savants (1967): Cours de philosophie pour scientifiques. Paris: Librairie François Maspero. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2009-08-23 21:21:26 |
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Matérialisme [chez Monod] Dans l’Élément 1 [l’élément intra-scientifique de sa philosophie spontanée de savant, l’élément de sa philosophie qui émane de sa pratique scientifique], Monod (1968) a défini le contenu matérialiste de sa tendance en éliminant le mécanisme et le vitalisme, et en disant qu’il n’y a pas de « matière vivante », mais des systèmes vivants, et en désignant dans l’A.D N. le « support physique » de ces systèmes vivants. Mais, lorsque Monod sort du domaine de la biologie, de ce qu’il appelle d’un terme déjà suspect la « biosphère » (terme teilhardien) pour parler de ce qu’il appelle d’un terme encore plus suspect la « noosphère » (terme teilhardien), il ne respecte plus les règles qui commandaient le contenu matérialiste de l’Élément 1 [intra-scientifique]. C’est alors qu’on voit s’inverser, dans l’usage des concepts mêmes de l’Élément 2 [je crois devoir corriger 1 en 2 ; et c’est alors l’élément extra-scientifique de sa philosophie spontanée de savant], la tendance matérialiste qui régnait dans l’Élément 1 [intra-scientifique], en tendance idéaliste, et même spiritualiste. Le symptôme le plus frappant de cette inversion nous est fourni par l’inversion de l’attitude de Monod à l’égard de Teilhard : dans l’Élément 1 [intra-scientifique], Monod est à 100 % contre Teilhard. Dans l’Élément 2 [extra-scientifique], Monod a recours à deux concepts de Teilhard : avant tout, la « noosphère » et la « biosphère ». Il en résulte, on va le voir, que la composante dialectique, exprimée par le concept d’émergence, devient elle-même idéaliste, et retombe dans ce que Monod a évité dans l’Élément 1 [intra-scientifique], savoir le couple spiritualisme-mécanisme. En clair : Monod propose une théorie de la naissance de l’humanité : « Seul le dernier en date de ces accidents pouvait conduire au sein de la biosphère à l’émergence d’un nouveau règne, la noosphère, le royaume des idées et de la connaissance, né le jour ou les associations nouvelles, les combinaisons créatrices chez un individu, ont pu, transmises à d'autres, ne plus périr avec lui. » Thèse précisée : c’est le langage qui a créé l’homme. Le règne de l’homme, c’est la noosphère, La noosphère, c’est « le royaume des idées et de la connaissance ». Dans cette extrapolation, Monod se croit matérialiste, parce que le langage n’est pas pour lui d’origine spirituelle, mais simplement une émergence accidentelle, qui a pour support biophysiologique les ressources informationnelles du système nerveux central humain. Pourtant, Monod est, dans sa théorie de la noosphère, en fait (et non selon ses convictions déclarées) idéaliste, très précisément mécaniste-spiritualiste. Mécaniste, car il croit pouvoir rendre compte de l’existence et du contenu de la « noosphère » par les effets déclenchés par l’émergence du support biophysiologique du langage (le système nerveux central humain). En termes clairs : il croit rendre compte du contenu de l’existence sociale des hommes, y compris de l’histoire de leurs idées, par le simple jeu de mécanismes bioneurologiques. C’est du mécanisme que d’étendre sans aucune justification scientifique les lois biologiques à l’existence sociale des hommes. Monod insiste sur la légitimité de cette extension arbitraire : « La noosphère, pour être immatérielle, peuplée seulement de structures abstraites, présente d’étroites analogies avec la biosphère d’où elle a émergé. » Et il n’y va pas par quatre chemins : appelant de ses vœux l’avènement du très grand esprit « qui saura écrire, comme pendant à l’œuvre de Darwin, une “histoire naturelle de la sélection des idées” ». Monod n’attend même pas que ce très grand esprit soit né : il lui donne bénévolement les bases de son œuvre à venir : une stupéfiante théorie biologiste des idées comme êtres doués des propriétés spécifiques des espèces vivantes, vouées aux mêmes fonctions et exposées aux mêmes lois : il y a des idées possédant un pouvoir d’invasion, d’autres vouées à dépérir en tant qu’espèces parasites, d’autres condamnées par leur rigidité à une mort inéluctable. Nous retombons, avec ce très grand biologiste d’avant-garde, dans des banalités qui ont plus d’un siècle d’existence, et à qui Malthus et le darwinisme social ont donné une belle flambée de vigueur idéologique pendant tout le 19e siècle. Théoriquement parlant, le mécanisme de Monod réside dans la tendance suivante : plaquer mécaniquement les concepts et les lois de ce qu’il appelle la « biosphère » sur ce qu’il appelle la « noosphère », plaquer le contenu du matérialisme qui est propre aux espèces biologiques, sur un tout autre objet réel : les sociétés humaines. C’est un usage idéaliste du contenu matérialiste d’une science définie (ici, la biologie moderne) dans son extension à l’objet d’une autre science. Cet usage idéaliste de contenu matérialiste d’une science définie consiste à imposer arbitrairement à une autre science, possédant un objet réel différent de la première, le contenu matérialiste de la première science. Monod déclare que le support physique de la biosphère est l’A.D.N. En l’état actuel de la science biologique, cette thèse matérialiste est inattaquable. Mais, lorsqu’il croit être matérialiste en donnant pour base biophysiologique à ce qu’il appelle la « noosphère », c’est-à-dire à l’existence sociale et historique de l’espèce humaine, l’émergence du support bioneurologique du langage, il n’est pas matérialiste, mais, comme on dit, « matérialiste mécaniste » , ce qui signifie aujourd’hui, en théorie de l’histoire humaine, idéaliste. Aujourd’hui, car le matérialisme mécaniste qui a été, au 18e siècle, le représentant du matérialisme en histoire, n’est plus aujourd’hui qu’un des représentants de la tendance idéaliste en histoire. Mécaniste, Monod est, en même temps, et nécessairement, spiritualiste. Sa théorie du langage qui a créé l’homme peut être entendue d’une oreille intéressée par certains philosophes de l’anthropologie, de la littérature, voire de la psychanalyse. Mais il faut se méfier des oreilles intéressées : leur intérêt étant de faire des contresens intéressés sur ce qu’on leur dit pour pouvoir entendre ce qu’elles désirent entendre et qui peut être juste en ce qu’elles veulent entendre, mais qui est faux en ce qu’on leur dit. La théorie du langage créateur de l’homme est, dans le cours de Monod, une théorie spiritualiste qui ignore la spécificité de la matérialité de l’objet qu’elle concerne en fait. Dire que le langage a créé l’homme, c’est dire que c’est non pas la matérialité des conditions d’existence sociales, mais ce que Monod appelle lui-même « l’immatérialité » de la noosphère, ce « royaume des idées et de la connaissance », qui constitue la base réelle, donc le principe d’intelligibilité scientifique de l’histoire humaine. Nulle différence essentielle ne sépare ces thèses que Monod croit scientifiques, mais qui ne sont qu’idéologiques, des thèses les plus classiques du spiritualisme conventionnel. De fait, quand on a donné pour toute base matérielle à la « noosphère » le support biophysiologique du système nerveux central, il faut bien remplir le vide de la « noosphère » avec le secours de l’Esprit, car on s’est interdit tout autre recours, en tout cas tout recours scientifique. C’est ainsi que le matérialisme de l’Élément 1 [intra-scientifique] est inversé en idéalisme dans l’Élément 2 [extra-scientifique] de la P.S.S. de Monod. Inversion de tendance affectant un même contenu (les mêmes concepts) : la tendance idéaliste étant constituée chez Monod comme résultante du couple mécanisme-spiritualisme. On peut retracer la généalogie logique de cette inversion : matérialisme au départ, puis mécanisme, spiritualisme, enfin idéalisme. Dans le cas de Monod, le point précis de sensibilité, le point où s’opère l’inversion, c’est le mécanisme. Un usage mécaniste du matérialisme biologique hors de la biologie, dans l’histoire, produit l’effet d’inversion de la tendance matérialiste en tendance idéaliste. |
Changeux, J.-P. (2002). L’homme de vérité M. Kirsch, Trans. Paris: Éditions Odile Jacob. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2016-05-30 21:00:01 |
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Curieusement, la neuroscience a été imprégnée pendant des dizaines d’années par une philosophie empiriste tacite. Elle était déjà présente dans les premières recherches sur l’arc réflexe […] Pavlov produisait des réponses conditionnées […] Il affirmait ainsi que, pour construire un réflexe conditionné, le cerveau « devait être dégagé de toute autre activité nerveuse ». Jusqu’à une époque récente, les enregistrements électrophysiologiques standard consistaient le plus souvent en des réponses évoquées, c’est-à-dire provoquées par des stimuli issus du monde extérieur, chez des animaux anesthésiés. Ce modèle semble aujourd’hui bien naïf et certainement trop simple. En réalité, le cerveau se comporte naturellement comme un système autonome qui projette en permanence de l’information en direction du monde extérieur, au lieu de recevoir passivement son empreinte. […] L'activité intrinsèque spontanée du cerveau est l’une de ses composantes majeures. |
Garaudy, R. (1953). La théorie matérialiste de la connaissance. Paris: Presses universitaires de France. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2010-11-28 12:02:45 |
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La terre exista même avant tout être doué de sensibilité, avant tout être vivant. Nulle matière organique ne pouvait exister sur son globe aux premières étapes de son existence. La matière inorganique précéda donc la vie, et la vie dut se développer pendant des milliers de millénaires avant que l’homme apparut, et, avec lui, la connaissance. Les sciences nous conduisent donc à cette affirmation que le monde a existé dans des états où nulle forme de vie ni de sensibilité n’étaient possibles, c’est~à-dire à cette affirmation qu’il existe une réalité extérieure à la pensée et indépendante d’elle. |
Haldane, J. B. S. (1946). La philosphie marxiste et les sciences É. Bottigelli, Trans. Paris: Éditions sociales. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2013-01-13 09:12:01 |
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À n’importe quelle étape du développement de la science, nous pouvons expliquer des contradictions qui embarrassaient nos ancêtres. Aujourd’hui, par exemple, au lieu de dire comme Platon qu’une table est à la fois dure et molle, nous pouvons vérifier par certaines mesures le degré de dureté du bois, sa résistance à la rupture, etc. Il y a un certain nombre de choses qui étaient paradoxales pour Platon et qui ne le sont plus pour nous. D’autre part, des contradictions nouvelles ont apparu de notre temps qui semblent nous embarrasser autant que les contradictions que nous trouvons futiles et qui embarrassaient Platon. Par exemple, les électrons semblent avoir en même temps des propriétés qui nous obligent à les considérer comme des particules, et d’autres propriétés qui ne s’expliquent que s’ils sont des systèmes ondulatoires. Dans deux mille ans d’ici, ces difficultés paraîtront certes très élémentaires, mais je pense que nos descendants rencontreront sans doute des contradictions inhérentes à la matière qu’ils trouveront très difficile de résoudre. |
Lefebvre, H. (1962). Le matérialisme dialectique 5th ed. Paris: Presses universitaires de France. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2011-10-22 14:16:45 |
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La logique formelle a engagé la pensée rationnelle dans une série de conflits. Le premier est un conflit entre la rigueur et la fécondité. Dans le syllogisme (même s’il n’est pas absolument stérile) la pensée n’est rigoureusement cohérente qu’en se maintenant dans la répétition des mêmes termes. Il est bien connu que l’induction rigoureuse n’est pas celle qui permet de passer des faits aux lois. Tout fait, toute constatation expérimentale introduisent dans la pensée un élément neuf, donc sans nécessité du point de vue du formalisme logique. Les sciences se sont développées en dehors de la logique formelle, et même contre elle. Mais alors si la science est féconde, elle ne part pas de vérités nécessaires, elle ne suit pas un développement rigoureux. La logique et la philosophie restent hors des sciences, ou ne viennent qu’après elles, pour constater leurs méthodes spécifiques, sans rien leur apporter. Réciproquement les sciences sont extérieures à la philosophie — au-dessous ou au-dessus d’elle — et leurs méthodes de découverte n’ont rien à voir avec la logique rigoureuse. Le savant prouve le mouvement de la pensée en avançant dans la connaissance; mais le philosophe se venge en mettant en question la valeur de la science. Le conflit entre la rigueur et la fécondité s’élargit; il fait naître le problème de la connaissance et de la valeur de la science. |
Lévy, J.-P. (1997). La fabrique de l’homme. Paris: Éditions Odile Jacob. |
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Last edited by: Dominique Meeùs 2010-01-02 08:12:20 |
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Les limites Dans cet univers infini où notre place ne cesse de se restreindre et nos explications traditionnelles de s’effondrer, nous prenons conscience de l’incapacité humaine à totalement expliquer le monde, sans pouvoir espérer d’autres intelligences une future révélation. Ce n’est pas la connaissance du vivant qui sera l’obstacle. Les réponses aux questions que son existence soulève sont proches, quand elles ne sont pas déjà acquises. La vie est explicable de bout en bout, même si nous ne pouvons dire exactement aujourd’hui comment elle s’est initialement formée. La logique des scénarios possibles nous est connue, si bien que nous pourrons probablement progresser vers une certitude, même si nous ne parvenions pas à les reproduire en laboratoire. La pensée, dans la compréhension de ses mécanismes intimes, nous pose de difficiles questions, mais tout permet de croire que leur résolution est désormais engagée. L’âme humaine fabriquée par le cerveau, imparfaite et mortelle, ne devrait plus nous poser de problème : chacune certes restera singulière, mais nous savons pourquoi. Il n’existe même pas à proprement parler de nature humaine puisque nous n’avons fait que poursuivre l’exploitation de fonctions apparues avant nous. Tout cela ne nous prive en rien, pourtant, de notre dignité et des devoirs que notre humanité nous impose, si nous acceptons de considérer notre situation objective. L’univers dans lequel nous nous trouvons risque, en revanche, de rester plus impénétrable que le vivant. Nous ignorons jusqu’où il faudra progresser pour aller jusqu’au bout des questions : les particules supposées élémentaires le sont-elles vraiment ? N’ont-elles d’autre réalité que probabiliste ? Pourquoi la matière émerge-t-elle du vide ? Qu’est-ce que ce vide qui grouille de particules virtuelles et bouillonne d’énergie ? Quel sera le destin final de cet univers ? Comment peut-on même envisager une cause explicative d’un début alors qu’elle serait nécessairement hors du système ? |
La conscience primaire que je partage avec mon chien S’il est une fonction cérébrale mal comprise, c’est bien la conscience, cet étrange processus qui fait que nous savons que nous voyons ou que nous pensons, et même que nous savons que nous le savons. Nous avons beaucoup de mal à analyser et à définir ce phénomène. Toujours présente, sauf durant le sommeil lent, la conscience nous met en communication avec le monde et avec nous-même, mais nous ne la dirigeons qu’en certains instants privilégiés. Les neurobiologistes […] commencent seulement à aborder l’étude de la conscience, timidement, avec des méthodes encore maladroites. C’est donc l’un des domaines dans lesquels les philosophes continuent à spéculer, ce qui témoigne, à l’évidence, de l’insuffisance des connaissances scientifiques. L’histoire des connaissances est celle d’un recul permanent de la spéculation abstraite des philosophes, parfois géniale, mais somme toute fort peu productrice de connaissances, devant les méthodes de la science. Mais la conscience est un domaine où la science ne pénètre encore qu’à pas comptés. |
Vignaux, G. (1991). Les sciences cognitives: Une introduction. Paris: Éditions La Découverte. |
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Added by: Dominique Meeùs 2010-11-13 16:46:16 |
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D’une part, la plasticité cérébrale n’est pas indéfinie — quand un certain nombre d’ajustements sont terminés, les voies neuronales perdent toute capacité de se modifier — et, d’autre part, dans certaines parties du cerveau, il est essentiel, en revanche, que demeure une plasticité permanente, parce qu’il s’agit de circuits neuronaux permettant l’apprentissage et assurant au cerveau de stocker continûment de nouvelles connaissances. |
La mémoire n’est plus considérée comme auxiliaire de la connaissance ; elle est partie intégrante de cette connaissance même, et peut-être la forme de toute connaissance. |