Dominique Meeùs
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Recherche fondamentale et impérialisme

L’expérience met aussi en lumière divers aspects des relations entre Europe et États-Unis dans la recherche et certaines différences d’attitude entre l’Europe et les États-Unis en matière de recherche.

Quant aux relations, il y a bien sûr à la fois collaboration et concurrence. De nombreux chercheurs américains collaborent aux travaux du CERN et les États-Unis ont obtenu en 1997 le statut d’observateur. Cependant la politique des États-Unis a longtemps été de privilégier les outils purement nationaux.

Il n’y a pas de doute que l’Union européenne a des visées impérialistes, mais elles sont, pour le moment, plus timides et moins militaires que celles des États-Unis. Les milieux dirigeants des États-Unis sont pris dans la contradiction de vouloir se targuer d’être à la pointe de la recherche scientifique tout en maintenant leur suprématie militaire par rapport au reste du monde et leur domination sur une grande partie de celui-ci, ce qui coûte cher. Mis en service en 1983, le Tevatron, puissant outil du Fermilab, a dû fermer ses portes en septembre 20111. La construction du SSC (Superconducting Super Collider), portant tous les espoirs des États-Unis de découvrir les premiers le boson de Higgs, décidée en 1988 et commencée en 1991, a été arrêtée en 1993 par le Congrès.

Face à cela, le CERN se caractérise comme international, non commercial et non militaire. Construit à partir de 1998 et terminé en 2008, le LHC a obtenu, le 4 juillet 2012, relativement peu de temps après sa mise en service, un résultat majeur.

Dans un article remarquable sur le boson de Higgs2, Steven Weinberg, un des concepteurs centraux du modèle standard, semble mettre la science dans le voisinage douteux de la guerre : « On peut avancer un argument en faveur de ce genre de dépenses, même pour ceux qui ne se préoccupent pas d’apprendre les lois de la nature. Explorer les frontières ultimes de notre connaissance de la nature est par un certain côté comme la guerre : cela pousse la technologie moderne à ses limites, fournissant souvent de la nouvelle technologie d’une grande importance pratique. » On doit supposer que Weinberg préfère obtenir ces retombées technologiques par la science que par la guerre. Cependant, il est possible de défendre la valeur de la recherche fondamentale pour elle-même et le CERN montre qu’on peut mener cette recherche autrement.

C’est le point de vue de François Englert, un des concepteurs du mécanisme de Brout-Englert-Higgs : « C’est pour moi un sentiment merveilleux de voir cela [la collaboration de dix mille personnes à la découverte du boson de Higgs] et me donne l’impression que de temps en temps, il y a quelque chose dans la nature humaine qui ne participe pas au désastre collectif vers lequel nous semblons parfois aller. […] Voir cinquante nationalités coexister sans problème, dans l’entraide, loin d’un monde qui va mal, est très réconfortant. Il faudrait, je lance l’idée, donner le prix Nobel de la paix au CERN. Il le mérite bien. Au-delà du développement technologique extraordinaire réalisé, c’est l’image de ce rassemblement de l’humanité qui est formidable3. »

Pour suivre :

Matt Strassler, « Pourquoi la particule de Higgs est importante ? »

Notes

(1) The Economist, « So long, and thanks for all the quarks », 1er octobre 2011.

(2) S. Weinberg, The New York Times, « Why the Higgs Boson Matters », 13 juillet 2012.

(3) « Le boson devrait lui donner le Nobel », entretien de Guy Duplat avec François Englert, La Libre Belgique, 4 juillet 2012.

Pour suivre :

Matt Strassler, « Pourquoi la particule de Higgs est importante ? »

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