Sujet: Fwd: In memoriam Christian de Duve
De : Jean Pestieau <jean.pestieau@gmail.com>
Date : 06/05/2013 23:42
Pour : […], =?ISO-8859-1?Q?Dominique_Mee=F9s?= <dominique@d-meeus.be>, […]


In memoriam Christian de Duve

Comprendre la vie pour avancer

L’homme de science Christian de Duve s’est éteint samedi 4 mai passé, à l’âge de 95 ans, entouré de ses quatre enfants. Il a dédié sa vie à la science et au progrès, sans jamais oublier l’importance de l’homme et de ses actions, avec les conséquences que celles-ci pouvaient avoir.


Dans un discours1 prononcé en 2005 à l’Académie royale de médecine de Belgique, Christian de Duve pointait le défi futur de l’humanité : « L’apparition de l’Homme représente une étape clé, un tournant dans l’histoire de la vie sur Terre. Pour la première fois, cette histoire a donné naissance à des êtres suffisamment intelligents pour comprendre la nature de la vie, au point de pouvoir la manipuler presque à volonté. (…) C’est une constatation en même temps exaltante et inquiétante. Exaltante, car nous pouvons désormais détourner le cours aveugle de la sélection naturelle et l’orienter dans des directions que nous aurons choisies librement et consciemment. Inquiétante, car on peut se demander si nous possédons suffisamment de sagesse pour exercer cette redoutable responsabilité.

Un regard sur le monde d’aujourd’hui pourrait laisser craindre par les plus pessimistes d’entre nous qu’en privilégiant notre intelligence, la sélection naturelle ait négligé de privilégier en même temps la sagesse nécessaire pour en gérer les produits. (…) On ne peut qu’espérer que les générations futures deviennent conscientes de cette déficience mieux que leurs aînés, à temps pour pouvoir encore en corriger les conséquences néfastes qui se  profilent à l’horizon. »1

La science, l’homme, la société : des éléments indissociables pour Christian de Duve, qui a consacré d’importantes recherches au domaine médical, et a également défendu la recherche contre les attaques nationalistes. En octobre 2007, Christian de Duve signait en effet avec plusieurs scientifiques belges francophones et néerlandophones une lettre ouverte demandant aux négociateurs, pour la formation d’un nouveau gouvernement, de renoncer au projet de certaines formations nationalistes de régionaliser la politique scientifique belge. De Duve et ses cosignataires voulaient le maintien d’une politique scientifique fédérale « forte, cohérente et intégrée » et revendiquaient un « refinancement significatif » de toutes les activités de ce secteur.

L’origine de la vie

Né en Angleterre en 1917, il fait ses études à Louvain et se passionne pour la recherche. En particulier sur l’action de l’insuline, une substance dont le manque est à la base du diabète. Il découvre des composantes essentielles de la cellule vivante, le lysosome, en quelque sorte l’estomac de la cellule, et le peroxysome. Cette découverte lui vaudra le prix Nobel de physiologie/médecine en 1974. Christian de Duve a dirigé longtemps deux laboratoires : l’un à l’UCL, l’autre à New York (Rockefeller University). Le fruit de ses recherches a permis des avancées significatives dans la recherche médicale.

Depuis un quart de siècle, Christian de Duve avait quitté la recherche en biochimie pour s’intéresser à l’origine de la vie. Il s’était inscrit fermement dans le cadre de la théorie de l’évolution des espèces de Darwin. Il a écrit plusieurs livres sur la cellule, les origines de la vie et l’évolution de l’espèce humaine.


En 2006, il déclarait à Solidaire2 : « Aujourd’hui, l’évolution n’est plus une théorie, c’est un fait ! C’était une théorie quand elle a été proposée il y a deux siècles. Une théorie qu’on a appelée l’hypothèse transformiste, selon laquelle les êtres vivants se sont transformés progressivement jusqu’à donner naissance aux humains. Cette hypothèse était basée sur les fossiles. Depuis lors, on a beaucoup plus de données sur les fossiles, sur leur âge, grâce aux progrès de la géologie. Il est clair qu’il y a une relation entre la complexité des êtres vivants qui ont laissé des fossiles et l’âge des terrains où ceux-ci ont été trouvés. Plus un fossile est complexe, plus il est jeune. Mais ce qui prouve véritablement cette théorie et l’étend à tout ce qui n’a pas laissé de restes fossiles, ce sont les similitudes qui existent entre les gènes qui exercent la même fonction dans des êtres vivants différents. On retrouve les mêmes gènes chez l’homme, chez le ver de terre, chez la méduse, chez la mouche, dans les arbres, les microbes, parce que les fonctions chimiques sont les mêmes. Aujourd’hui, on connaît des centaines de gènes qui exercent la même fonction chez des êtres vivants différents. Et qui manifestement viennent d’un ancêtre commun ».

Dans son livre À l’écoute du vivant (édition Odile Jacob), il expliquait le lien entre activités humaines ordinaires et recherche scientifique:

« Historiquement, la recherche de la connaissance a longtemps été précédée par des préoccupations purement pratiques. De nombreux progrès techniques ont été réalisés empiriquement, sans le bénéfice de connaissances préalables. Leurs inventeurs étaient des bricoleurs de génie qui ont, par essai et erreur et en profitant de l’expérience passée pour faire des améliorations, façonné des outils, fabriqué des armes, construit des machines, édifié des villes, bâti des forteresses, trouvé des médicaments, exploité les sources naturelles d’énergie, conquis les mers, bref créé les premières civilisations techniquement évoluées. Souvent, le succès est venu avant la compréhension. Ainsi, la thermodynamique a été développée pour expliquer la transformation de la chaleur en travail — d’où son nom — longtemps après que des machines à vapeur eurent commencé à pomper de l’eau, propulser des bateaux et tirer des trains.
     De ces racines empiriques, utilitaires, est née, avec le temps, une nouvelle forme d’exploration de l’inconnu, qui est devenue la science moderne. Motivée, comme les philosophies du passé, par le seul désir de comprendre, la démarche scientifique s’est avérée immensément plus puissante, grâce à une stratégie fondée uniquement sur l’observation et l’expérimentation, guidée certes par la réflexion et le raisonnement mais libérée de tout dogme ou idée préconçue (du moins en principe) »


En 2009 , Christian de Duve répondait dans la revue de l’UCL, « Louvain », à la question « Pour vous, il n’y a qu’une et seule réalité ? » : « Philosophiquement, je ne vois pas la nécessité de cette dualité créateur/créature, qui me paraît plutôt une invention humaine très anthropomorphique (...) Pourquoi inventer un être différent [Dieu] pour expliquer ce que nous ne comprenons pas? Pour moi, il n’y a qu’une seule et unique réalité. Je n’ai pas besoin de la dissocier entre ce que je comprends et ce que je ne comprends pas ».


Christian de Duve a consacré sa vie à la science et au progrès de l’homme. À nous de poursuivre sur cette voie.


Jean Pestieau



1 Ce discours est disponible dans son intégralité dans le n°83 d’Études marxistes
2 Retrouvez cette interview en HTML ou dans la Revue des questions scientifiques en PDF : « Christian de Duve : Aux origines de la vie ». En espagnol: www.ecumenico.org/article/sobre-la-evolucion/