Fallait-il inviter la théologie dans un cahier scientifique ?

La science explique le monde, dans le sens qu’elle l’explore et le décrit, et qu’elle cherche l’explication du fonctionnement du monde dans le monde lui-même, plutôt que dans un « autre monde ». Ce programme est nécessairement toujours inachevé ; il y aura toujours à découvrir et à expliquer. Certains contestent ce programme. Pour eux ce n’est pas que beaucoup de travail reste à faire. Ils décident a priori que ce travail est impossible ou que certains pans de la réalité doivent nécessairement lui échapper.

Il y a des opposants brutaux qui contestent les acquis de la science. Sur la question qui nous occupe en ce 200e anniversaire de Darwin auquel Le Soir consacre un très bon cahier spécial, il y a d’abord les créationnistes traditionalistes qui prennent la Genèse à la lettre et qui contestent le fait même de l’évolution. Il y a par ailleurs des créationnistes modernes plus déguisés, les tenants du dessein intelligent, qui contestent seulement l’explication darwinienne de cette évolution.

Mais la science a des opposants infiniment plus subtils (et donc plus dangereux) : ceux qui ne l’attaquent plus de front mais qui prétendent en limiter la portée. (« Les scientifiques doivent prendre conscience du caractère inéluctablement partiel de leur savoir… ») Au delà de leur ton posé, leur attaque est assez agressive : s’il y a des courants comme le créationnisme et le dessein intelligent, la faute en est, « par réaction », aux scientifiques qui ne pensent pas comme certains à l’UCL disent qu’on doit penser !

Pour ceux-là, la science ne porte que sur un aspect du réel. En dehors du domaine de la science, il y a une autre réalité, un « autre monde » (ou une autre dimension du même monde), celui du sens, dont eux (les théologiens catholiques modernes et leur entourage universitaire) ont la clef. Eux seuls, prétendent-ils, sont capables d’articuler ces « deux mondes », de n’y voir que deux aspects d’un seul monde, au lieu de les opposer.

Je comprends mal pourquoi il était nécessaire en publiant un cahier spécial sur l’évolution, de concéder à ce courant, et à lui seul, une sorte de droit de réponse préventif contre la science. Il s’agit du courant religieux le moins intégriste dans la forme, mais en fait intellectuellement le plus radical et totalitaire dans sa prétention à contenir la science au nom du « sens ». Fallait-il donc lui demander l’imprimatur ? Ne pouvait-on pas publier un cahier scientifique exempt de toute prise de position partisane et ouvrir le débat ensuite, en dehors de ce cahier, à tout le monde et pas à ce seul groupe ?

Dominique Meeùs.