Ontologie. Comme Proust longtemps s'est couché de bonne heure, longtemps, j'ai réduit l'ontologie à la question première du matérialisme contre l'idéalisme: la matière est (y compris les cerveaux et leurs produits), le reste n'est pas. Je comprenais mal comment les anciens pouvaient faire une science de l'être si la question se réduit à être ou ne pas être. Une chose est, ou bien elle n'est pas. Qu'y aurait-il de plus à en dire? Or on doit penser des degrés dans l'être.

Le monde n'est fait que de particulier. Il est un, contingent. (Issu du big bang, on ne voit pas jusque maintenant pourquoi il n'aurait pas pu être un peu différent. En particulier, on n'arrive pas à déduire les constantes d'une nécessité.) Il est formé d'espace-temps et de matière/énergie.

Les particules élémentaires ont une identité douteuse. (Elles sont nombreuses mais indiscernables.) Cependant il existe des concrétions maroscopiques raisonnablement stables et identifiables, des édifices de particules (même si ces particules y entrent et sortent, πάντα ῥει comme dans le fleuve d'Héraclite) que l'on peut à bon droit considérer comme des choses, comme le soleil, la Senne (rivière qui coule (?) à Bruxelles), ma table de travail ou moi-même.

Les hommes (et dans une certaine mesure aussi les autres animaux supérieurs) ont un système nerveux capable de reconnaître des ressemblances de famille entre certaines choses. Les hommes ayant un commun une certaine langue ont aussi un mot pour dire cette famille, comme "pomme". Les singes peuvent reconnaître une pomme en tant que pomme; les hommes aussi et ils peuvent en outre l'appeler "pomme". On peut considérer cela comme un niveau de base du concept, comme un concept élémentaire.

Un niveau supérieur du concept est celui où l'entendement essaie de rendre compte du concept par une série de déterminations, comme la définition du dictionnaire.

À ce propos se pose un problème ontologique: est que, au delà des pommes particulières, "la pomme" existe, soit comme concept élémentaire, soit comme concept de l'entendement. Les nominalistes diront: il n'existe que des pommes particulières. "La pomme" en général n'est qu'un mot qui nous sert à parler des pommes particulières. Cependant la ressemblance de famille qui est à la base du concept de pomme n'est pas une invention de notre esprit, c'est un fait que les systèmes nerveux d'autres animaux peuvent reconnaître. On pourrait donc dire que le concept de pomme existe, non pas comme une chose comme les pommes, mais dans la mesure où il se base sur la réalité de la ressemblance de famille. Nous sentons bien que non seulement les pommes, mais aussi le concept de pomme a plus d'existence que celui de licorne.

Vrac

Engels sur la relation entre monarchie et bourgoisie

… la puissante époque que nous autres Allemands nommons la Réforme d’après le malheur national qui est venu nous frapper en ce temps, que les Français nomment la Renaissance et les Italiens Cinquecento, bien qu’aucun de ces termes n’en donne complètement l’idée. C’est l’époque qui commence avec la deuxième moitié du XVe siècle. La royauté, s’appuyant sur les bourgeois des villes, a brisé la puissance de la noblesse féodale et créé les grandes monarchies, fondées essentiellement sur la nationalité, dans le cadre desquelles se sont développées les nations européennes modernes et la société bourgeoise moderne ; … (Engels, Dialectique de la nature, Introduction).

Lénine sur la prise de parti (parti-pris, esprit de parti, partialité) en philosophie (Prinzip der Parteilichkeit)

Le matérialisme suppose en quelque sorte l'esprit de parti ; il nous oblige, dans toute appréciation d'un événement, à nous en tenir ouvertement et sans équivoque au point de vue d'un groupe social déterminé. (« Le contenu économique du populisme », Œuvres, t. 1, p. 433.)

L'indépendance à l'égard de tout parti n'est, en philosophie, que servilité misérablement camouflée à l'égard de l'idéalisme et du fidéisme. (Matérialisme et empiriocritiscisme, Œuvres, t. 14, p. 370.)

Il est impossible […] de ne pas discerner derrière la scolastique gnoséologique de l'empiriocritiscisme, la lutte des partis en philosophie, lutte qui traduit en dernière analyse les tendances et l'idéologie des classes ennemies de la société contemporaine. La philosophie moderne est tout aussi imprégnée de l'esprit de parti que celle d'il y a deux mille ans. Quelles que soient les nouvelle étiquettes ou la médiocre impartialité dont usent les pédants et les charlatans pour dissimuler le fond de la question, le matérialisme et l'idéalisme sont bien des partis aux prises. (Matérialisme et empiriocritiscisme, Œuvres, t. 14, p. 372.)