Quant à la dialectique, elle n’est pas une « vision du monde », mais une méthode de pensée. En quoi consiste-t-elle ? Fondamentalement en ceci : se méfier des cloisonnements arbitraires ; se garder de tout jugement « définitif » ; éviter de ne voir qu’un aspect des choses. C’est à peu près tout. Le reste n’est que l’application de cette méthode générale aux débats qui marquèrent chaque époque. Ainsi, Marx et Engels, confrontés à la tâche d’appliquer le matérialisme à l’économie et à l’histoire des sociétés, ont-ils d’abord dû le libérer de sa gangue mécaniste. Si le chemin est difficile de la mécanique à la thermodynamique, celui qui sépare la physique de l’histoire est infiniment plus complexe encore. Il ne s’agissait pas, pour les fondateurs du socialisme scientifique, de faire table rase des méthodes qui avaient eu tant de succès en physique, mais d’en découvrir de nouvelles, capables d’asseoir notre compréhension des mécanismes sociaux, à son tour, sur une base matérialiste.
Dans ce contexte, la dialectique a donc naturellement pris la forme suivante : voir les phénomènes dans leur relation mutuelle, dans leur mouvement, dans leur évolution qualitative et quantitative, rechercher les contradictions inhérentes aux phénomènes et qui en sont « le moteur », etc. Cette méthode s’est avérée concluante sur son terrain : celui de l’histoire. Il faut pourtant nous garder d’en faire des « lois », car la dialectique doit également s’appliquer à elle-même.
Par exemple : la méthode dialectique a parfois été interprétée comme un rejet de tout réductionnisme. « Voir les phénomènes dans leur relation mutuelle » est une règle généralement efficace quand il s’agit d’étudier des phénomènes complexes, qui, précisément, ne se laissent pas facilement « réduire » : l’histoire, l’économie, la biologie, l’écologie, etc. Par contre, dans beaucoup de domaines plus « élémentaires », comme la physique et la chimie, on obtient souvent de grands succès avec une méthode résolument réductrice, qui consiste à isoler, en pensée, des objets et des phénomènes simples. Est-ce contraire à la dialectique ? Certainement pas à la dialectique telle que nous la comprenons. Peut-être est-ce en opposition avec telle ou telle « loi » de la dialectique que vous trouverez dans des ouvrages de vulgarisation sur la philosophie marxiste. Mais dans ce cas, au nom du matérialisme dialectique justement, il n’y a pas de doute possible : c’est la « loi dialectique » qui est fausse, pas la pratique scientifique qui la contredit ! Dans la conception marxiste du monde, le matérialisme est premier et essentiel. La dialectique n’est qu’une méthode générale qui peut, si on y tient, être exprimée dans des règles. Mais ces règles ne sont ni absolues, ni éternelles ; elles doivent à tout moment se trouver vérifiées par la pratique scientifique.