Dominique Meeùs
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Poincaré sur le monde et sur la science

Cette harmonie que l’intelligence humaine croit découvrir dans la nature, existe-t-elle en dehors de cette intelligence ? Non, sans doute, une réalité complètement indépendante de l’esprit qui la conçoit, la voit ou la sent, c’est une impossibilité. Un monde si extérieur que cela, si même il existait, nous serait à jamais inaccessible. Mais ce que nous appelons la réalité objective, c’est, en dernière analyse, ce qui est commun a plusieurs êtres pensants, et pourrait être commun à tous ; cette partie commune, nous le verrons, ce ne peut être que l’harmonie exprimée par des lois mathématiques.

C’est donc cette harmonie qui est la seule réalité objective, la seule vérité que nous puissions atteindre ; et si j’ajoute que l’harmonie universelle du monde est la source de toute beauté, on comprendra quel prix nous devons attacher aux lents et pénibles progrès qui nous la font peu à peu mieux connaître. (Henri Poincaré, La valeur de la science, Éditions du cheval ailé, Constant Bourquin, éditeur, Genève, 1946, Introduction, p. 65.)

Tout ce qui n’est pas pensée est le pur néant, puisque nous ne pouvons penser que la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées ; dire qu’il y a autre chose que la pensée, c’est donc une affirmation qui ne peut avoir de sens.

Et cependant — étrange contradiction pour ceux qui croient au temps — l’histoire géologique nous montre que la vie n’est qu’un court épisode entre deux éternités de mort, et que, dans cet épisode même, la pensée consciente n’a duré et ne durera qu’un moment. La pensée n’est qu’un éclair au milieu d’une longue nuit.

Mais c’est cet éclair qui est tout. (Henri Poincaré, idem, p. 293. Ce sont les mots qui terminent le livre.)

Einstein sur la science et le monde

La physique et la réalité

[…]

La science n’est pas une collection de lois, un catalogue de faits non reliés entre eux. Elle est une création de l’esprit humain au moyen d’idées et de concepts librement inventés. Les théories physiques essaient de former une image de la réalité et de la rattacher au vaste monde des impressions sensibles. Ainsi, nos constructions mentales se justifient seulement si, et de quelle façon, nos théories forment un tel lien.

[…]

« Trois arbres » c’est quelque chose de différent de « deux arbres ». D’autre part, « deux arbres » et « deux pierres » sont des choses différentes. Les concepts des nombres purs 2, 3, 4…, dégagés des objets qui leur ont donné naissance, sont des créations de l’esprit pensant, qui décrivent la réalité de notre monde.

[…]

À l’aide des théories physiques nous cherchons à trouver notre chemin à travers le labyrinthe des faits observés, d’ordonner et de comprendre le monde de nos impressions sensibles. Nous désirons que les faits observés suivent logiquement de notre concept de réalité. Sans la croyance qu’il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l’harmonie inteme de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science. Cette croyance est et restera toujours le motif fondamental de toute création scientifique. À travers tous nos efforts, dans chaque lutte dramatique entre les conceptions anciennes et les conceptions nouvelles, nous reconnaissons l’éternelle aspiration à comprendre, la croyance toujours ferme en l’harmonie de notre monde, continuellement raffermie par les obstacles qui s’opposent à notre compréhension. (Albert Einstein et Léopold Infeld, L’évolution des idées en physique, Petite bibliothèque Payot 47, Payot, Paris, 1974, p. 274-276.)

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