Dominique Meeùs,
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(University of Illinois Press, Urbana and Chicago, 2003, xii + 236 p.)
Au centre de documentation du PTB, on a eu connaissance (par la New Left Review ?) d’un autre livre de Bertell Ollman, How to Take an Exam… & Remake the World, on s’est intéressé à l’auteur et on a pris le risque de commander Dance of the Dialectic. Personne n’avait alors (automne 2005 ?) le temps de le lire. Moi non plus, mais comme tout le monde sait que je ne suis pas sérieux dans la gestion de mon temps, on me l’a proposé et j’ai bien sûr accepté. Bon, eh bien si vous voulez connaître le verdict avant les détails, je vous le dis tout de suite et sans détour, c’est un livre exceptionnel à lire toutes affaires cessantes.
Depuis, on a trouvé de lui en français La dialectique mise en œuvre : Le processus d’abstraction dans la méthode de Marx, Éditions Syllepse, Paris, 2005, 140 p. Il ne s’agit pas exactement du même livre. Ce seraient des extraits de Dialectical Investigations (Routledge, New York, 1993) qui semblent correspondre aux chapitres 5 et 6 dans la table ci-dessous. Le titre même du livre en français correspond à celui du chapitre 5 du livre en anglais.
Dans ce qui suit, les citations sont en blocs clairement distingués par des marges et une taille de caractères diférentes. Je revendique pour moi seul la propriété intellectuelle du simplisme et des erreurs que vous pourriez trouver dans le reste.
La première question philosophique est celle de ce qui existe. Pour Marx, le monde est un tout complexe. C’est quelque chose qui existe en dehors de nous (qui ne dépend pas de la conscience que nous en avons), qui fonctionne d’une manière déterminée (pas au petit bonheur) et où tout est étroitement lié.
La question suivante est celle de la connaissance de ce monde. Nous en faisons partie et nous avons un cerveau qui nous permet de travailler sur les signaux que nous recevons de ce monde. Mais notre cerveau n’est pas capable d’appréhender le monde dans son entièreté et dans toute sa complexité. Nous divisons la réalité en accord avec notre pratique en morceaux que nous appelons des objets. Il y en a beaucoup trop ; pour en faire quelque chose, nous devons les classer, ce que nous faisons par notre langage. Nous groupons les objets sous des appellations communes (étoile, femme, homme, rivière, machine, euro…) et nous nommons aussi leurs qualités (rouge, grand, beau, chaud, amer, immoral…)
Ce que nous comprenons du monde est déterminé par ce qu’est le monde, qui nous sommes, et la façon dont nous conduisons notre étude. Or, de nos jours, les problèmes qui surgissent lorsqu’on essaye de comprendre la réalité se trouvent aggravés par une approche qui privilégie dans les choses tout ce qui les fait apparaître comme statiques et indépendantes les unes des autres, au détriment de leurs qualités dynamiques et systémiques. (La dialectique mise en œuvre, p. 22.)
L’étude du monde est l’objet des sciences dont en premier la physique. Une question ontologique dépasse le domaine de la physique et on peut classer comme métaphysique la position exposée ci-dessus sous le titre ontologie.
C’est autre chose que les marxistes qualifient de métaphysique, dans un sens péjoratif, et qu’ils opposent à dialectique : c’est l’attitude qui consiste à philosopher de manière non critique sur des concepts que nous avons nous-mêmes fabriqués, comme la justice. La justice n’est pas dans le monde, elle est dans notre tête. C’est une erreur de la considérer comme quelque chose qui, sur le même plan que le monde, existe en dehors de nous, de manière éternelle et qui est susceptible d’une étude définitive. Si on ne reconnait pas que la justice (ou la démocratie, ou les droits de l’homme) est une invention humaine historiquement et culturellement déterminée, on ne peut évidemment rien en dire de sensé.
De nombeux matérialistes marxistes (y compris certains de ceux qui prétendent représenter un point de vue « autorisé », « officiel ») ont un point de vue curieusement idéaliste de la dialectique : pour eux, la nature obéit aux « lois de la dialectique ». La dialectique serait ainsi d’après eux une force surnaturelle.
Face à toute la mésinformation qui circule sur la dialectique, il est peut-être utile de commencer en précisant ce qu’elle n’est pas. La dialectique n’est pas cette triade d’airin thèse-antithèse-synthèse censée tout expliquer ; elle ne fournit pas de formule apte à prouver ou prédire quoi que ce soit ; elle n’est pas non plus la force motrice de l’histoire. La dialectique, en tant que telle, n’explique rien, ne prouve rien, ne prédit rien et n’est la cause de rien. La dialectique est plutôt une façon de penser qui oriente notre attention sur toute la palette des changements et interactions possibles qui s’exercent dans la réalité. Elle inclut également une manière d’organiser la réalité perçue de cette manière afin de l’étudier, et d’une façon de présenter les résultats obtenus aux autres, la grande majorité desquels ne pensent pas dialectiquement. (La dialectique mise en œuvre, p. 23.)
Nous sommes responsables de nos moyens intellectuels et c’est à nous de choisir les bons. Pour Marx, puisque le monde est un tout complexe, le découper en objets relativement indépendants (ce qu’ils sont très peu), pour en étudier ensuite les relations, n’est pas la bonne méthode. Pour lui, les objets d’étude doivent être saisis avec leurs relations internes et externes. Le capital, ce n’est pas un équipement qui sert à la production ; c’est une relation sociale entre les hommes qui travaillent et ceux qui les font travailler, c’est tantôt de l’argent, tantôt des marchandises, c’est quelque chose qui a un passé (lié à la féodalité) et un avenir. Donc les pièces que Marx découpe dans le monde pour l’étudier, le comprendre, nous l’expliquer et le changer, ce sont des paquets de relations. (Ce qu’Ollman appelle la philosophie des relations internes.) Si on ne comprend pas cela, il est difficile de comprendre Marx.
La dialectique restructure notre pensée de la réalité en remplaçant notre notion de « chose » issue du sens commun, selon laquelle une chose a une histoire et a des relations externes avec d’autres choses, par la notion de « processus », qui contient sa propre histoire et ses futurs possibles, et par celle de « relation », qui contient comme partie intégrante de ce qu’elle est ses liens avec d’autres relations. Rien n’a été ajouté ici qui n’existât déjà. Il s’agit plutôt de décider où et comment tracer les frontières, et d’établir les unités dans lesquelles on puisse penser le monde (ce qu’on appelle, en termes dialectiques, « abstraire »). Alors que les qualités que nous percevons à travers nos cinq sens existent véritablement dans la nature, les disctinctions conceptuelles qui nous indiquent où une chose se termine et où la suivante commence dans l’espace et dans le temps sont des constructions sociales et mentales. Aussi profond que soit l’impact du monde réel sur les frontières que nous traçons, c’est nous qui, en fin de compte, en faisons le découpage, et des personnes issues de cultures et de traditions philosophiques différentes peuvent en fait les tracer différemment.
Lorsqu’il abstrait le capital en tant que processus, par exemple, Marx y inclut l’accumulation primitive, l’accumulation, et la concentration du capital, toute son histoire réelle en somme, comme partie intégrante de ce qu’il est. Et quand il abstrait le capital en tant que relation, ce sont ses liens réels avec le travail, la marchandise, la valeur, les capitalistes et les travailleurs, – tout ce qui contribue à son apparence et à son fonctionnement – qui se trouvent incorporés sous la même rubrique comme ses aspects constitutifs. Toutes les unités dans lesquelles Marx pense le capitalisme, et l’étudie, sont abstraites à la fois comme processus et comme relations. Partant de cette conception dialectique, la tâche de Marx – à la différence de ses adversaires guidés par le sens commun – n’est jamais de savoir pourquoi une chose commence à changer, mais de découvrir les différentes formes que ce changement revêt, et pourquoi il donne parfois l’apparence de s’être arrêté. De même, la question n’est jamais pour Marx de chercher à savoir comment une relation s’est établie, mais encore une fois, de détecter les différentes formes dans lesquelles elle s’incarne, et pourquoi les aspects d’une relation déjà existante peuvent donner l’apparence d’être indépendants. La critique que Marx fait de l’idéologie qui resulte d’une focalisation exclusive sur les apparences, sur les empreintes laissées par les événements isolés de leur histoire réelle et du système plus large où ils se trouvent, est du même ordre. (La dialectique mise en œuvre, p. 24-25.)
S’il y a différentes manières de voir le monde et d’organiser ses représentations, il y a aussi différentes logiques. Si Marx a condamné l’idéalisme de la philosophie hégélienne et l’a « remise sur ses pieds », il n’a jamais dit qu’il en rejetait la logique et la lecture de ses écrits indique au contraire qu’il l’a adoptée.
Aphorisme: On ne peut comprendre totalement « le Capital » de Marx et en particulier son chapitre I sans avoir beaucoup étudié et sans avoir compris toute la Logique de Hegel. Donc, pas un marxiste n’a compris Marx ½ siècle après lui ! !
(Lénine, Cahiers sur la dialectique de Hegel, Gallimard, Paris, 1938, p. 175, cité en exergue par Henri Lefebvre dans Logique formelle, logique dialectique, Éditions sociales, Paris, 1947, p. 7. Aussi dans la collection Idées n° 141, Gallimard, Paris, 1967, p. 241. Je cite ici ce texte dans sa traduction des Cahiers philosophiques ou tome 38 des Œuvres, p. 170.)
(Presque un siècle plus tard, on n’est pas beaucoup plus avancé. D’où l’urgence de lire Ollman.)
Considérer un morceau du monde (puisque nous ne pouvons pas l’appréhender tout entier en une fois), c’est un processus d’abstraction. Il faut bien choisir ses abstractions : quant à l’extension (prendre du monde un plus gros ou un plus petit morceau à la fois) ; quant au niveau de généralité (le capital dans toute son histoire ou la mondialisation au début du 21e siècle) ; quant au point de vue (le point de vue du travailleur ou le point de vue du capitaliste). Il faut prendre d’autres abstractions selon le développement de l’étude, adaptées à ses différents moments, aux différentes questions.
Il s’agit d’un recueil d’articles ou de chapitres qui ont été publiés ailleurs. Il y a parfois certaines répétitions, pas gênantes et qui peuvent d’ailleurs aider à comprendre et à consolider la compréhension. Les chapitres 10 et 11, où il critique d’autres courants de pensée qu’il compare au sien, comportent chacun un rappel, un résumé de sa position et peuvent donc servir de résumé du livre.
Introduction: Marxism, This Tale of Two Cities, p. 1
STEP 1
1. The Meaning of Dialectics, p. 11
STEP 2
2. Social Relations as Subject Matter, p. 23
3. The Philosophy of Internal Relations, p. 36
4. In Defense of the Philosophy of Internal Relations, p. 51
STEP 3
5. Putting Dialectics to Work: The Process of Abstraction in Marx’s Method, p. 59
STEP 4
6. Studying History Backward: A Neglected Feature of Marx’s Materialist Conception of History, p. 115
7. Dialectic as Inquiry and Exposition, p. 127
8. Marxism and Political Science: Prolegomenon to a Debate on Marx’s Method, p. 135
9. Why Dialectics? Why Now? or, How to Study the Communist Future Inside the Capitalist Present, p. 155
STEP 5
10. Critical Realism in Light of Marx’s Process of Abstraction, p. 173
11. Marx’s Dialectical Method Is More Than a Mode of Exposition: A Critique of Systematic Dialectics, p. 182
12. Why Does the Emperor Need the Vakuza? Prolegomenon to a Marxist Theory of the Japanese State, p. 193
Bibliography, p. 217
Index of Names and Ideas, p. 223