Dominique Meeùs
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713.
La position de classe

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La meilleure manière de juger de l’attitude subjective demeure le positionnement lors de moments historiques importants. Les points de vue actuels, évoqués dans la première partie de ce livre, reflètent une attitude globale par rapport au capitalisme. L’histoire permet de mesurer le degré de soumission des dirigeants syndicaux au capitalisme et à l’impérialisme. On ne peut échapper à ce propos à la constatation suivante : chaque fois que le pouvoir de la bourgeoisie est sérieusement menacé, la plus haute direction syndicale s’est évertuée à maintenir ou à rétablir « l’ordre social ». Et aux moments les plus cruciaux de l’histoire, l’un des soucis majeurs des deux directions syndicales était la neutralisation des révolutionnaires et de leur influence parmi la masse ouvrière.

1o La direction de la FGTB, qui a toujours affirmé aspirer au socialisme, vole au secours de la bourgeoisie aux moments décisifs, contre la lutte révolutionnaire de masse.

Pendant que la classe ouvrière russe faisait la révolution, en Belgique, le POB et la direction syndicale concluaient une alliance avec la bourgeoisie pour prévenir la révolte de l’après-guerre. La bourgeoisie obtenait le soutien des dirigeants socialistes (la Commission syndicale, précurseur de la FGTB, faisait encore partie du POB) contre l’entrée du POB au gouvernement belge, la promesse du suffrage universel, les huit heures par jour et l’instauration des commissions paritaires. Le soulèvement des ouvriers allemands dans les années 1918-23 a trouvé la sociale-démocratie et les dirigeants syndicaux en travers de sa route. Les socialistes Noske et Ebert ont écrasé la révolte avec l’aide des gardes impériaux, qui ont pris à leur compte l’assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg. Certains de leurs confrères idéologiques en Belgique prétendaient toujours à l’époque (pour des raisons tactiques) qu’ils étaient pour la révolution, mais que le moment n’était pas encore venu… En pratique, ils ont tout fait pour empêcher la progression de la conscience révolutionnaire. Une première chasse aux communistes fut organisée en 1924 à l’aide de la motion Mertens ; celle-ci stipulait l’incompatibilité entre un mandat syndical et l’adhésion au Parti communiste.

Les dirigeants de la Commission syndicale se sont surtout fait connaître en tant que briseurs de grève, lors de la grande grève de 1932. C’est dans l’enthousiasme qu’ils ont ensuite suivi Henri De Man dans sa croisade contre le marxisme révolutionnaire et dans son « plan au-dessus des classes ». Durant cette période de crise, les communistes se faisaient une nouvelle fois massivement exclure du syndicat. Quelques dirigeants syndicaux suivront De Man jusque dans la collaboration. Lors de l’invasion par les troupes d’occupation, les plus haut placés dans la hiérarchie syndicale n’étaient préparés qu’à une seule chose : quitter le pays au plus vite. La majorité d’entre eux n’ont pas revu le pays avant la libération. Les dirigeants de la CGTB (nouveau nom de la Commission syndicale depuis 1937) à Londres ont collaboré pendant toute la guerre avec les services de sécurité américain, anglais et belge pour préparer l’après-guerre. Les plus hauts dirigeants, Jef Rens, Dore Smets et Orner Becu, avaient été pressentis par ces services de sécurité pour combattre l’influence communiste grandissante, dès que la guerre prendrait fin3. Ils ont été pris de vitesse par Louis Major, qui n’avait pas réussi à rejoindre l’Angleterre et s’était ménagé une réputation (bien exagérée) de résistant. Pendant la guerre encore, il négocia avec le patronat en posant les fondements du grand pacte social de l’après-guerre, par lequel la sécurité sociale et le système de concertation furent échangés contre la paix sociale. Il prit résolument la tête de la nouvelle FGTB, devenu syndicat unique, regroupant les trois syndicats qui s’étaient engagés dans la lutte contre le fascisme pendant la guerre (le communiste, le renardiste et celui des services publics). C’était la seule manière pour les anciens dirigeants de la CGTB de reconquérir leur base perdue et de neutraliser le danger principal, un syndicat d’inspiration communiste. En France et en Italie, où la « menace communiste » était encore beaucoup plus grande, les dirigeants réformistes ont mis sur pied de nouveaux syndicats (comme Force ouvrière) en collaboration étroite avec la CIA américaine. Dès que la direction de la nouvelle FGTB avait les rênes bien en main (aidée en cela par le déclin réformiste du PCB), elle chassa tous les communistes de la direction en 1948. Deux ans plus tard se déclencha la grève générale de 1950, la grève la plus politique — avec les grèves pour le suffrage universel — que la Belgique ait connue. La direction de la FGTB suivit de près la voie tracée par la direction du PSB, à savoir combattre le retour de Léopold III tout en s’opposant en même temps à chaque orientation révolutionnaire ou même républicaine. L’ordre capitaliste était préservé.

2o Le syndicat chrétien s’est, depuis sa création, expressément fixé comme objectif de combattre le socialisme et le communisme montant parmi les travailleurs. Le message de Rerum Novarum (1891) était que ce but pouvait être atteint le plus facilement par la construction de syndicats propres, des syndicats chrétiens. La plus haute direction de la CSC est toujours restée fidèle à cet objectif et suivait une ligne très proche du concept papal : collaboration entre travail et capital, respect de la propriété privée des moyens de production, lutte contre les « excès » libéraux, mais pas contre le capitalisme. Il ne faut donc pas s’étonner que la direction de la CSC s’est non seulement opposée de manière rabique à toute lutte de classe radicale, mais qu’elle ait aussi largement emboîté le pas aux plans corporatistes des nazis. Le grand idéologue de la CSC dans les années 30, Joseph Arendt, SJ, était partisan du corporatisme à la Mussolini. À l’exception de son président, Henri Pauwels, et de quelques autres secrétaires francophones comme Jules Fafchamps, toute la tête de la CSC a pris part pendant la guerre aux tentatives de construire un modèle corporatiste. Selon ce modèle, syndicats patronaux et syndicats d’ouvriers devraient collaborer organiquement à tous les niveaux de l’économie. C’est dans ce but que les dirigeants de la CSC ont d’abord tenté d’ériger un front de collaboration avec les trois autres organisations syndicales traditionnelles. Devant l’échec de ce front et dans la même optique, ils ont ensuite collaboré à la tentative nazie de mettre sur pied l’Union des travailleurs manuels et intellectuels (un regroupement syndical fasciste soutenu par Henri De Man). La direction de la CSC a finalement décroché pour ne pas mettre en danger son autonomie et son caractère chrétien. Pendant le reste de la guerre, elle s’est uniquement préoccupée de maintenir le cadre de son organisation, pour être en mesure de combattre le communisme avec force après la guerre. Les nazis les ont laissés travailler en paix, comptant sur leur rôle de garde-fou contre l’influence croissante du mouvement syndical antifasciste, dirigé par les communistes (les Comités de lutte syndicale — CLS).

Après la guerre, August Cool a entamé une croisade contre le communisme à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Cela l’a amené partout où le capitalisme avait besoin d’une main secourable pour construire un mouvement syndical « raisonnable, apolitique », pouvant faire contrepoids aux syndicats d’inspiration révolutionnaire : en Italie, au Congo, au Vietnam, en Amérique du Sud4.

Les grandes grèves de 1950 et de 60‑61 bravaient le sabotage de la direction de la CSC, qui jouait une fois de plus la carte de l’apolitisme syndical » pour conforter son soutien au régime. Et c’est sous le même prétexte que la direction de la CSC a également saboté la résistance à la politique d’austérité dans les années 80. L’hypocrisie du prétexte « apolitique » est complètement démasquée par l’histoire de Poupehan. Des gens comme August Cool et Jef Houthuys font partie, sous leur masque de dirigeants syndicaux, des troupes de choc politiques du PSC-CVP : ils n’ont pas leur place dans le syndicat. Ni August Cool ni Jef Houthuys n’ont pu le cacher à la fin de leur vie : Jef Houthuys fit sa confession sur Poupehan, August Cool devint en 1977 trésorier adjoint du PSC-CVP. Et notre dirigeant « apolitique » s’en alla prospecter dans cette fonction toutes les grandes entreprises pour récolter des fonds électoraux pour le PSC-CVP !

Notes
3.
Dore Smets et Jef Rens l’avouent ouvertement dans leur livre Histoire du Centre syndical belge à Londres 1941-1944, FGTB, 1976.
4.
L’histoire d’August Cool et de son sommet de la CSC est racontée par Peter Franssen et Ludo Martens dans L’argent du CVP : La mort d’un dirigeant de la CSC, EPO, 1984.
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