Dominique Meeùs

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41.
Mutations réelles et fictives

Les phénomènes que nous avons décrits dans les trois premiers chapitres — la crise, les nouvelles technologies et l’internationalisation — ont, sans aucun doute, des répercussions importantes sur la composition de la classe ouvrière. Afin de procéder à une analyse exacte de ces mutations, il faut répondre à la question : qui appartient à la classe ouvrière, quelles couches y a-t-il au sein de la population travailleuse ? Ce sont des questions essentielles qui, d’un point de vue marxiste, exigent une réponse à deux autres questions, à savoir : qui produit la plus-value et qui est exploité ? (Voir l’encadré 41 bis.)

Il en ressort :

* Que le prolétariat industriel est et reste le noyau dur de la classe ouvrière, c’est-à-dire ceux et celles qui fournissent du travail productif et sont exploités dans le secteur de la production matérielle ou des services qui y sont directement liés.

* Autour de lui, il existe une large couche de travailleurs exploités,

Il en résulte que la statistique bourgeoise et les « mutations » doivent être interprétées avec beaucoup de précautions. Nous en examinerons les plus importants aspects.

41 bis. Qui produit la plus-value ? Qui est exploité ?

Qui produit la plus-value ?

Le critère déterminant pour différencier le travail productif du travail non productif est la production — ou la non-production — de plus-value. Seul le travail productif produit une nouvelle valeur et de la plus-value. (En ce qui concerne la plus-value : voir l’encadré 222 bis.) D’après Marx, « est productif le travail rémunéré qui engendre du capital ». Chaque travail rémunéré ne produit pas de plus-value, les secteurs non productifs accaparent une partie de la plus-value produite dans les secteurs productifs. Il faut insister sur le fait que le sens marxiste de « travail productif » n’a rien à voir avec travailler durement, mais qualifie le genre de travail.

* Voici une définition simple du travail (non) productif.

L’objectif du travail productif est la production de « marchandises », l’objectif du travail non productif est la production de « services ». Le travail productif a pour objectif la production d’une chose vendable, porteuse d’une « valeur d’usage ». Dans ce contexte-là, le travail productif est la transformation d’une « valeur d’usage » (matière première) en une autre (objet utilitaire). Le travail non productif, par contre, est « consommé » au cours de son exécution. On ne peut ni le stocker, ni le détruire, ni le transporter. Il contient un travail qui satisfait un besoin fictif ou réel de l’individu. Ce travail ne produit pas de nouvelle valeur d’usage ou de plus-value. Que ces services soient oui ou non présentés sur le marché n’entre pas en ligne de compte.

Cette définition permet de se prononcer quant au caractère productif, par exemple, de l’enseignement, des services de santé, de l’entretien des voitures, des blanchisseries, etc. Ce sont évidemment des services non productifs. Le fait que certains de ceux-ci soient exploités à l’échelle industrielle n’y change rien. L’enseignement et les services de santé publique ne créent pas eux-mêmes les fonds avec lesquels ils sont payés (ce que fait par contre le travail productif en produisant de la plus-value), ils créent ou réparent du potentiel de travail.

* Cette définition « simple » ne résout pas tous les problèmes. Les choses sont bien plus complexes pour tous ceux qui sont impliqués dans et autour du processus de production de produits matériels. Le processus de production est un processus collectif* au sein duquel il y a une division du travail, dans lequel la production et les services s’entremêlent et qui nécessite à la fois du travail manuel et intellectuel. Qui preste, qui ne preste pas un travail productif ? Il y a une différence évidente entre les employés qui n’exécutent que des tâches comptables (certainement pas productives) et les techniciens ou ingénieurs qui créent, gèrent, contrôlent la production. La division entre travail « manuel » et « intellectuel » est ici de moins en moins évidente pour différencier le travail productif et non productif. En tout cas, le travail de production recouvre davantage que les seuls travailleurs de la production. Les services d’entretien des machines et des bâtiments de production font partie du travail productif, au même titre que les services techniques, les techniciens, les services de recherche appliquée et les managers. Cela ne veut pas dire que tout le monde, dans l’entreprise, effectue un travail productif. Les services de comptabilité, les services financiers, l’inventaire, la publicité, les relations publiques… n’appartiennent pas aux services productifs.

* En fin de compte, on peut dire qu’il y a — ou non — travail productif dans la mesure ou ce travail est — ou’non — dérivé de la production. En ce qui concerne le transport, par exemple, nous devons faire une différence entre le transport de personnes et le transport de marchandises. Le premier est un service non productif, le dernier est la poursuite de la production dans le domaine de la circulation. La valeur d’usage d’un produit ne devient réelle que si la marchandise est effectivement utilisée ; c’est pourquoi le transport de marchandises jusqu’à sa destination crée un supplément de valeur.

Qui est exploité ?

Exécuter un travail productif n’est pas synonyme d’être exploité. L’exploitation est déterminée par les rapports de production et pas par le genre de travail. (Voir l’encadré 221 bis.)

* Tout d’abord, une grande partie du travail non productif est soumise à l’exploitation. Ceci est le cas pour tous les travailleurs des services non productifs. Eux aussi vendent leur force de travail, soit aux entreprises privées, soit au « capitaliste collectif, l’État. Dans les entreprises privées (commerce, finances…), c’est grâce à leur travail que le capitaliste peut s’approprier une partie de la plus-value du secteur productif : dans ce sens, eux aussi travaillent une partie de la journée pour « leur propre compte » (leur salaire) et une partie pour le capitaliste. Dans les services publics, ils travaillent durant une partie de la journée pour eux-mêmes et durant l’autre partie ils travaillent gratuitement pour « la collectivité ». La vague de privatisation démontre que certains capitalistes veulent accaparer ce travail non rémunéré pour obtenir une partie du « gâteau de la plus-value » nationale.

* En second lieu, tous ceux qui prestent un travail productif ne sont pas des exploités. Directeurs, managers et cadres supérieurs d’une entreprise prestent un travail productif dans la mesure où ils « contribuent » (au sens large) au processus de production collectif, mais, par leur position, ils appartiennent à la classe des exploiteurs et non pas à celle des exploités (même s’ils sont des « salariés »).

Schématiquement, on aura :

Population active : 4 250 (× 1 000) Secteur privé : 2 000 Secteur public : 1 000 Travailleurs productifs non exploités Travailleurs   productifs   et   exploités Travailleurs     exploités Industrie :   950 Services :  1 050 Chômeurs Indépendants
*
On trouve une étude du concept de « travail collectif » chez Marx dans Jacques Nagels, Travail collectif et travail productif dans l’évolution de la pensée marxiste , Éditions de l’Université de Bruxelles, 1974.

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