Dominique Meeùs
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711.
L’aristocratie ouvrière

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Engels et Lénine ont démontré comment l’opportunisme dans le mouvement ouvrier s’est développé à partir d’une couche privilégiée de la classe ouvrière : l’aristocratie ouvrière. Ils ont démontré comment la corruption idéologique et la recherche des avantages matériels allaient de pair.

— « L’impérialisme, qui signifie le partage et l’exploitation du monde, procure des profits de monopole élevés à une poignée de pays très riches, crée la possibilité économique de corrompre les couches supérieures du prolétariat ; par là même, il alimente l’opportunisme, lui donne corps et le consolide. » (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916.)

Cette corruption à l’intérieur de la classe ouvrière prend une forme politique : les partis et syndicats réformistes.

— « Sur la base économique indiquée, les institutions politiques du capitalisme moderne — la presse, le Parlement, les syndicats, les congrès, etc. — ont créé à l’intention des ouvriers et des employés réformistes et patriotes, respectueux et bien sages, des privilèges et des aumônes politiques correspondant aux privilèges et aux aumônes économiques. Les sinécures lucratives et de tout repos dans un ministère ou au comité des industries de guerre, au Parlement et dans diverses commissions, dans les rédactions de “solides” journaux légaux ou dans les directions de syndicats ouvriers non moins solides et “d’obédience bourgeoise”, — voilà ce dont use la bourgeoisie impérialiste pour attirer et récompenser les représentants et les partisans des “partis ouvriers bourgeois”. » (L’impérialisme et la scission du socialisme, 1916.)

La société capitaliste se caractérise par deux classes « antagoniques », la bourgeoisie et la classe ouvrière. Antagonisme signifie que la contradiction entre ces deux classes est inconciliable : elle provient de l’exploitation économique et ne peut être résolue que par la disparition de l’exploitation, par la victoire de la classe ouvrière et la confiscation des moyens de production. Comment se situe la direction syndicale au sein de cette contradiction ? La vision marxiste des classes, de l’origine de classe, de la situation de classe et de la position de classe apporte l’éclairage nécessaire. (Voir l’encadré 711 bis.)

711 bis. Les classes

L’un des plus grands apports de Marx a été de donner une vision scientifique sur les classes, la lutte de classes et l’histoire*. Il est utile par rapport au jugement des directions syndicales de se remettre en mémoire une série de considérations de base à ce propos.

Premièrement, le matérialisme part du point de vue que la conscience est déterminée par les conditions matérielles d’un contexte social donné. Cela va de pair avec la notion que c’est surtout dans la production de ses conditions matérielles d’existence, donc dans le travail, que l’homme se développe en tant que force productive et en tant qu’être social. Ce travail prend de nouvelles formes à mesure que se développent les forces productives.

Deuxièmement, entre les gens se créent des relations réciproques, qui correspondent à un stade de développement déterminé des forces productives. Ces relations sont dénommées par Marx « rapports de production ». Lorsque les rapports de production ne concordent pas avec l’évolution des forces productives, la situation est objectivement mûre pour des révolutions sociales, lors desquelles les nouvelles classes en développement prennent le pouvoir. C’est en ce sens que le matérialisme historique conclut que la lutte de classes constitue le moteur de l’histoire.

Troisièmement, le profil social d’une société dépend d’un ensemble de facteurs, dont les facteurs matériels forment le fondement. Les forces productives et les rapports de production forment un tout, appelé « le mode de production ». Une société donnée peut être caractérisée par un mode homogène de production (par exemple, capitaliste) ou par une cohabitation de modes de production différents (par exemple semi-féodal et capitaliste). Ceux-ci constituent l’infrastructure de la société. L’un de ces modes de production est toutefois dominant et il conditionne la superstructure. Il s’agit de la forme politique et juridique, de l’appareil d’état, ainsi que du système idéologique se greffant sur l’infrastructure.

La forme précise que présente cette réalité sociale historique est appelée la formation sociale.

Quatrièmement, la répartition des classes à l’intérieur de chaque formation sociale est définie par des facteurs objectifs, par le positionnement par rapport à l’infrastructure et à la superstructure. Afin d’éviter toute confusion, il faut clairement faire une distinction entre la « situation de classe », la « position de classe » et « l’origine de classe ».

La situation de classe est une donnée matérielle, objective. La société est divisée en classes sociales sur base de la place que les individus occupent dans le processus social de production, sur base de leur rapport avec les moyens de production. Sous le capitalisme, il en découle deux classes antagoniques, la bourgeoisie et la classe ouvrière. À côté, il y a des couches intermédiaires ou de transition, principalement les différentes couches de la petite bourgeoisie. La situation de classe n’est pas définie par les idées. Au contraire, les idées dépendent en dernière instance de la situation de classe, des intérêts matériels de classe.

La position de classe est la position subjective adoptée à l’avantage de l’une ou de l’autre classe, dans une conjoncture politique donnée. Le lien entre situation et position de classe n’est pas mécanique. Tous les membres d’une classe sociale donnée ne défendent pas nécessairement les intérêts de leur classe.

Il ne faut pas confondre ces deux notions avec l’origine de classe, qui renvoie à la classe ou à la couche sociale dont on est issu.

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On trouvera un résumé de cette vision marxiste des classes sociales entre autres, dans le livre de Marta Harnecker Les concepts élémentaires du matérialisme historique, Éditions Contradictions, d’où nous avons tiré ces définitions.

Pour la période de naissance des partis et syndicats réformistes, Engels et Lénine ont décrit l’origine de classe, la situation et la position de classe des dirigeants syndicaux comme suit :

— La majorité des dirigeants syndicaux provenaient de la classe ouvrière — parfois de ses couches supérieures — ou de la petite bourgeoisie.

— Leur position matérielle ou situation de classe était celle de la couche supérieure de la classe ouvrière, de l’aristocratie et de la bureaucratie ouvrière. La bureaucratie ouvrière se développait surtout aux places faciles et privilégiées à l’intérieur de l’appareil du mouvement ouvrier.

— Leur position de classe politique était celle de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie. En échange d’avantages politiques et sociaux, ils aidaient cette dernière à faire subsister le système, à parer la révolution. Ils occupaient dès lors une position stratégique aux yeux de la bourgeoisie : ils étaient les mieux placés, de par leur base sociale parmi la classe ouvrière, pour diffuser les idées de la collaboration de classe. C’est pourquoi Lénine les dénomma « porte-parole de la bourgeoisie dans la classe ouvrière », ou encore, « agents de la bourgeoisie, vendus à l’impérialisme ».

Soixante-dix ans plus tard, quel est notre jugement des directions syndicales ?

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