Dominique Meeùs

Dernière modification le   

retour à la table des matièresau dossier marxisme

614.
Avoir confiance dans les masses

En qui avoir confiance ? C’est une question fondamentale : elle fait la distinction entre réformisme et marxisme révolutionnaire. Le matérialisme historique montre que ce sont les masses exploitées qui font l’histoire, et pas les héros, les rois, empereurs ou autres nobles. « Les masses sont les véritables héros », disait Mao Tsé-toung. Pour avoir des liens étroits avec les masses, il faut être convaincu de cette vérité, qui détermine la manière dont on voit le monde, le type de programme politique qu’on se fixe, les alliés qu’on se cherche et sur qui on compte pour réaliser ce programme.

Le réformisme se penche sur les « insuffisances », les « faiblesses » du capitalisme belge. Il concocte de « meilleures » recettes pour que le capital belge affronte avec succès la course concurrentielle. Il veut un capitalisme plus dynamique pour rattraper le retard technologique en cours. Ceci l’amène à soutenir directement la domination impérialiste sur les pays du tiers monde et à collaborer à des opérations « d’assainissement », dont les ouvriers et autres travailleurs font les frais.

La volonté du réformisme est de maintenir éternellement l’assujettissement de la classe ouvrière à la classe des capitalistes. Le réformisme part du point de vue que la contradiction capital-travail est conciliable, que la classe ouvrière tire plus d’avantages d’un capitalisme bien portant. L’intérêt commun peut être garanti par une concertation « raisonnable ». Tout cela le conduit à respecter la bourgeoisie, à faire confiance à ses services d’étude, à respecter ses institutions, à craindre de perdre les bonnes relations. Telle est la base du syndicalisme de concertation, du syndicalisme « réaliste », du syndicalisme de capitulation. Ce type de syndicalisme craint les masses et leurs revendications « sans nuances », leur combativité. La plupart du temps, les programmes de revendications sont conçus dans l’idée d’un compromis, non avec la ferme volonté d’obtenir des conquêtes de principe. Certains dirigeants syndicaux sont passés maîtres dans l’art de la manipulation, de la tromperie envers les masses, par l’utilisation d’un langage apparemment combatif, mais dénué de tout contenu. Ils ont le plus grand mépris pour les masses « arriérées », se sentent au-dessus de la mêlée et rejettent sur la base l’entière responsabilité de leur propre capitulation.

Le syndicalisme révolutionnaire part d’un point de vue totalement opposé. Le capitalisme est un système historiquement condamné, qui doit disparaître le plus rapidement possible. La contradiction entre capital et travail est inconciliable. Croire dans la force des masses est la meilleure des armes. Les masses sont à même de détruire le capitalisme et de développer un système social et économique supérieur. Le syndicalisme de combat fera tout pour protéger et développer cette volonté de lutte, pour la diriger sur des voies correctes, à savoir : viser l’ennemi principal. Les syndicalistes de combat ne réagissent pas témérairement à toute provocation, mais ils construisent des rapports de force autour des revendications et des mots d’ordre les plus importants. Ils mènent les mouvements de lutte jusqu’au bout, jusqu’à ce que l’énergie des masses soit totalement déployée. Ce n’est que quand tous les moyens de lutte ont été épuisés que des compromis sont éventuellement mis à l’ordre du jour.

Une telle conception se base sur des liens étroits avec les masses. Les délégués et les permanents syndicaux doivent vouloir et oser écouter les attentes des masses et les défendre. Ils ne doivent pas se considérer au-dessus des masses, mais respecter toutes les opinions et en retirer les aspects positifs pour faire progresser la lutte. Mao appelle cela « appliquer la ligne de la masse ». Appliquer la ligne de la masse, ce n’est pas seulement écouter les masses, c’est aussi apprécier, analyser et éduquer les masses, avec les idées les plus avancées. C’est s’appuyer sur l’avant-garde pour gagner le grand groupe intermédiaire et neutraliser l’arrière-garde. C’est propager les idées prolétariennes et combattre les idées bourgeoises qui s’introduisent inévitablement.

L’exemple des trois grèves des mines limbourgeoises, de 1986 à 1988, montre ce dont sont capables des syndicalistes conscients et révolutionnaires, comment ils réussissent à mobiliser les forces vives parmi les masses et dans le syndicat. Le livre De Slag om de Mijnen (la bataille des mines, publié uniquement en néerlandais) dans lequel ces syndicalistes systématisent leur expérience est un manuel de base à l’intention de tout syndicaliste de combat. Lors des élections sociales de 1987, après la fin de la deuxième grande grève, les syndicalistes de combat et les dirigeants de la grève ont remporté une victoire écrasante. Jan Grauwels a obtenu 1 270 voix de préférence, soit 50,8 % des voix de la mine de Waterschei, le meilleur résultat personnel de tout le pays. Luc Cieters a engrangé une voix sur trois (805 voix de préférence) à Beringen. Luc Cieters : « Ceci confirme que le courant pour le syndicalisme de combat et pour un programme anticapitaliste est devenu un courant de masse dans les mines. Ce résultat signifie que les travailleurs de la mine soutiennent notre conception du syndicalisme. Nous sommes déterminés parce que nous avons une vue élaborée du développement du système capitaliste. C’est ce que nous avons expliqué aux gens. Par exemple, en leur disant que Petrofina achète des terrains carbonifères en Amérique et veut fermer les mines en Belgique pour gagner de l’argent en important du charbon. Nous avons démontré que Geyselinck défend les intérêts de Shell. Le devoir d’un syndicat est d’informer. Nous le faisons en tant que délégués. Par notre pratique, nous avons gagné la confiance des gens, si bien que nous pouvons aussi les entretenir de choses plus difficiles. Nous avons beaucoup appris des tentatives individuelles d’anciens délégués et des expériences syndicales au chantier naval de Boel à Tamise. Apprendre à aller vers les masses, leur faire confiance et se battre pour qu’elles ne soient pas trahies. Ce n’est que pour un tel syndicalisme qu’on peut encore enthousiasmer les gens aujourd’hui. En d’autres lieux où cette alternative n’existe pas, je pense que l’indifférence à l’égard du syndicat va croissant. C’est un développement très dangereux7. »

La même conception du travail syndical est très concrètement illustrée par Jan Cap, dans son livre In naam van mijn klasse (au nom de ma classe). C’est à partir de liens exceptionnels avec les masses et d’une position de classe spontanée que s’est développée, chez Jan Cap, la notion de la nécessité d’un parti communiste. Il avait des dizaines d’années d’expérience de syndicaliste de combat à la CSC lorsqu’il a décidé d’adhérer au PTB. Les positions qu’il développe dans son livre peuvent être résumées comme suit :

(1) Partir d’une analyse de classe.

(2) En dégager des principes dont on ne s’éloigne jamais. Prendre le temps nécessaire pour les faire adopter par un large groupe d’ouvriers.

(3) Soumettre à l’analyse les opinions de la masse. Distinguer ce qui est juste de ce qui ne l’est pas.

(4) Avoir une confiance à toute épreuve dans les masses. Rejeter la théorie de la culpabilité de la base.

(5) Développer pleinement la démocratie. Des élections libres et démocratiques, des assemblées régulières à l’usine.

(6) Ne jamais avoir peur des masses, et pas davantage de leurs critiques. Oser s’appuyer sur les masses.

(7) Être patient, ne jamais perdre courage.

(8) Chercher des points d’intérêt qui motivent les masses.

(9) Tirer toujours les leçons positives des échecs.

(10) Oser prendre des risques. En tant que dirigeant, oser endosser la responsabilité des actes des masses.

(11) Veiller à obtenir l’aval des permanents.

(12) Être convaincu que c’est dans l’action que les ouvriers apprennent le plus.

(13) La politique est une nécessité vivante pour la classe ouvrière. La seule question : quelle politique ?

(14) Une politique ouvrière ne s’acquiert pas spontanément. Il faut puiser dans les enseignements du marxisme-léninisme.

(15) Une telle chose n’est possible que dans un parti révolutionnaire.

(16) La lutte n’est jamais terminée. L’avenir appartient à la classe ouvrière et aux peuples du tiers monde.

Notes
7.
Hugo Franssen, De Slag om de mijnen : Het syndicale werkboek van Jan Grauwels en Luc Cieters, EPO, 1988, p. 149-150.