Dominique Meeùs
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— au dossier marxisme
Nous l’avons déjà mentionné : aux États-Unis, un travailleur sur quatre ne fait plus partie des « forces de travail traditionnelles ». 35 millions de personnes sont des travailleurs temporaires, à temps partiel ou simplement de la main-d’œuvre louée. Une étude récente de l’OIT estime qu’actuellement, dans les pays industrialisés, à peu près 50 millions de personnes travaillent à temps partiel, ce qui représente une augmentation de 30 % par rapport à la décennie précédente12.
À mesure que le patronat parvient à faire passer son modèle de production flexible, il scinde la classe ouvrière en une unité principale, assistée en son sein et à sa périphérie par des unités super-flexibles à statut précaire. L’État agit de même dans ses propres entreprises et administrations, surtout par souci d’économie. La législation qui prévoyait des freins à une telle prolifération de sous-statuts est systématiquement démantelée.
La structure pyramidale, modale, de l’entreprise se présente ainsi13 :
A : management supérieur
B : cadres
C : travailleurs fixes
D : travailleuses fixes
F : travailleurs en sous-traitance à l’intérieur de l’entreprise
G : forces de travail plus ou moins spécialisées
mises à disposition par des firmes indépendantes (L)
H : travailleurs saisonniers ou temporaires
I,J : travailleurs à temps partiel
K : entreprises de sous-traitance et sociétés intérim
M : main-d’œuvre bon marché dans les filiales étrangères
En 1987, les contrats temporaires représentaient déjà 7 % des emplois en Belgique (soit plus de 200 000) et plus de 12 % dans les services publics. Ces chiffres englobent les contrats à durée déterminée, les contrats saisonniers, les stages de jeunes, les emplois non statutaires dans les services publics et les différents circuits de travail. Parfois, ils font fonction de force de travail bon marché ; ainsi, les jeunes stagiaires ne reçoivent que 90 % du salaire normal. Dans les entreprises, les contrats temporaires font office de tampon, pour éponger les pointes saisonnières, et de réserves de recrutement. Les plus dévoués peuvent rester, les autres retournent au chômage. En faisant ainsi pression sur les travailleurs temporaires, on peut également augmenter le rythme de travail de tous les ouvriers. Le travail intérimaire est le prototype du travail de rapiéçage, fourni par des travailleurs qui sont prêts à accepter n’importe quel travail, même le plus malsain, le plus sale pour une récompense bien basse. C’est le dernier refuge pour beaucoup de travailleurs immigrés. « Entre le 1er avril 1987 et le 31 mars 1988, sur une base annuelle, quelque 107 707 personnes différentes ont décroché un contrat intérimaire, pour une période longue ou courte. Ceci représente à peu près 5 % des travailleurs dans le secteur privé14. »
En ce qui concerne la sous-traitance, les chiffres font défaut. Certaines entreprises travaillent essentiellement avec des sous-traitants internes ; dans certaines sociétés de la chimie anversoise, les deux tiers (!) du personnel sont des travailleurs en sous-traitance. La plupart des entreprises qui travaillent en just-in-time ont des contrats fixes avec plusieurs fournisseurs. La plupart des fabricants automobiles ont des contrats de sous-traitance pour fabrication de sièges. Dans ces entreprises, les salaires sont souvent plus bas, la protection syndicale est moindre ou inexistante et on travaille sous chantage permanent : un mauvais travail ou une livraison tardive pourrait entraîner une rupture de contrat. La société cliente attise la concurrence entre les différentes sociétés de sous-traitance et pousse ainsi les normes de production à la hausse et les normes sociales à la baisse.
Plusieurs sociétés de services expérimentent à nouveau le travail à domicile (et le travail à distance), une tare qui, croyait-on, avait été exterminée par le mouvement syndical au 19e siècle. C’est bien le comble du morcellement et de l’isolement du travailleur, entièrement livré à l’arbitraire, sans défense et payé à la prestation.
Enfin, il y a le travail à temps partiel, un mode de travail en pleine expansion, qui représente déjà plus de 17 % de l’emploi, soit un demi-million de travailleurs. Disons plutôt « travailleuses », puisqu’il s’agit essentiellement de femmes. Pour la moitié, il s’agirait d’un choix volontaire, pour l’autre moitié d’un choix imposé, accepté pour échapper au chômage. Le travail à temps partiel est souvent présenté comme une réponse à la demande de temps libre et de disponibilité familiale. Pour le patronat, il s’agit d’une catégorie de travailleurs qui n’est qu’à moitié concernée par les intérêts collectifs des travailleurs (primo), mais qu’on peut doublement exploiter (secundo). Les travailleurs à temps partiel supportent un rythme plus soutenu, ce qui, à son tour, permet de faire pression sur les autres travailleurs. Pour l’État et le patronat, le travail à temps partiel est aussi la manière la plus commode de camoufler les chiffres réels de chômage (tertio) et de contrecarrer la revendication de réduction généralisée de la durée du temps de travail avec maintien de salaire (quatro). Un quadruple profit pour les patrons, une catastrophe pour les intérêts collectifs des travailleurs.