Dominique Meeùs
Dernière modification le
retour à la table des matières
— au dossier marxisme
Au sein du processus de production, on assiste au même glissement. La nouvelle technologie accroît la part de travail intellectuel, avec une part plus importante de facteurs tels que la gestion, le contrôle et le management. On exige du personnel plus qualifié. Pour les processus fortement automatisés, la distinction entre tâches de production et tâches de contrôle s’estompe. De là une forte tendance, surtout dans le secteur de la chimie, à revendiquer un statut d’employé pour ce genre de travail de production. C’était l’enjeu de la grève chez Beecham-Heppignies en 1989. Mais ça ne signifie pas que le travail manuel en tant que tel disparaisse. L’automatisation complète et surtout la robotisation se heurtent à de gros problèmes dans les secteurs à grand nombre de composantes (comme l’automobile) : le prix de revient des robots, les nombreuses pannes et défaillances, le temps d’entretien, le manque de souplesse et l’absence de « feeling ». Toutes les prédictions concernant la disparition rapide du travail manuel se sont avérées fausses et la robotisation se déroule beaucoup moins vite que prévu initialement. L’ouvrier de production demeure le chaînon indispensable de la production de biens, de valeur et de plus-value. De plus, le mythe des nouvelles méthodes de production « douces », qui placeraient l’ouvrier dans un fauteuil, doit être dénoncé. (Voir le paragraphe 233.) En général, on exige du travailleur beaucoup plus de travail manuel et intellectuel, donc un travail plus complexe et plus intensif, produisant plus de valeur. D’une part, ceci augmente l’emprise des ouvriers sur le déroulement de la production et exige de plus hautes qualifications et de « la polyvalence » pour certaines catégories d’entre eux. D’autre part, nous assistons à une « prolétarisation » des tâches intellectuelles. Beaucoup de tâches qui, dans le passé, étaient dissociées de la production y sont maintenant intégrées. Conformément à la conception taylorienne, le travail intellectuel est décomposé en éléments standardisés qui sont transférés à l’ordinateur. De ce fait, une grosse partie du travail de l’employé s’assimile de plus en plus au « travail à la chaîne ». L’augmentation de la productivité, le transfert de certaines tâches vers la production mettent l’emploi de bon nombre d’employés en danger et leurs conditions de travail ressemblent de plus en plus à celles des travailleurs de production.
Ce n’est pas seulement le cas pour les services liés à la production, mais cela s’applique à l’entièreté du secteur des services, tant publics que privés, tant secteur marchand que non marchand. Toutes les restrictions effectuées dans le secteur public et non marchand ont mené à des rationalisations et à l’établissement de « contrats de gestion autonomes » où les impératifs de marché et du profit éclipsent totalement le principe de l’intérêt public, à la suite de quoi le statut de fonctionnaire public est sans cesse davantage menacé et grignoté.
Bref, la distinction entre ouvriers, employés et fonctionnaires s’estompe en ce qui concerne leurs conditions d’exploitation, même si la distinction entre travailleurs productifs et non productifs garde sa valeur. Une fraction plus large des travailleurs « se prolétarise ». Le nombre de « salariés », qui était de 2,9 millions en 1966, est aujourd’hui de 3,5 millions (chômeurs inclus). La part des salariés dans la population active est passée de 78 % en 1966 à 85 % aujourd’hui. Plus que jamais, il y a place pour un syndicalisme de classe unifié, réunissant ouvriers et autres travailleurs, employés et fonctionnaires.